ARGEMMIOS
, coll. Périples Mythologiques Dépôt légal : avril 2009 Première édition Anthologie, 360 pages, catégorie / prix : 22 € ISBN : 978-2-9530239-3-0 Format : 14,0 x 20,0 cm
Quatrième de couverture
La mythologie grecque, ses dieux et ses héros nous sont souvent familiers, eux qui hantent même notre vocabulaire : nous sommes narcissiques, érotiques, nous avons parfois la beauté d'Apollon, la ruse d'Ulysse, nous tombons dans les bras de Morphée... Jusqu'à nos ordinateurs que tentent d'infiltrer des chevaux de Troie !
Qualifiés de classiques, les mythes grecs n'ont cessé d'inspirer les modernes. Aujourd'hui, ce sont 18 plumes francophones qui ont interrogé les Muses afin de vous offrir la quintessence de leurs rêves.
Fantasy, fantastique, et même un peu de science-fiction... Les genres de l'Imaginaire se sont vêtus pour vous des couleurs de l'Olympe. Véritables aèdes du XXIème siècle, nos auteurs se sont fait tragiques, satiriques ou lyriques. Leurs récits vous entraîneront depuis les temps de l'Âge d'Or jusqu'aux étoiles de demain.
Un premier Périple Mythologique, dirigé et présenté par Nathalie Dau (anthologiste de L'esprit des bardes) et Jean Millemann (Pouvoirs Critiques).
1 - Ceryan DAU & Jean MILLEMANN, Ouverture, pages 9 à 9, introduction 2 - Franck FERRIC, Le Bouteille, le barbu et le sens du monde, pages 11 à 21, nouvelle 3 - Marie-Catherine DANIEL, La Caverne des centaures mâles, pages 23 à 32, nouvelle 4 - Claire JACQUET, La Mort d'Héraclès, pages 33 à 46, nouvelle 5 - Jess KAAN, Le Syndrome de Midas, pages 47 à 69, nouvelle 6 - Sophie DABAT, Le Pacte d'Hécate, pages 71 à 86, nouvelle 7 - Éliane ABERDAM, Aube, pages 87 à 105, nouvelle 8 - Nadège CAPOUILLEZ, Cet éternel orgueil, pages 107 à 116, nouvelle 9 - T.K. LADLANI, Prisonnier de son image, pages 117 à 147, nouvelle 10 - Jeanne-A DEBATS, Mayday, pages 149 à 154, nouvelle 11 - Olivier BOILE, L'Esprit de l'Hellespont, pages 155 à 171, nouvelle 12 - Fabrice CHOTIN, Nyctalê de Samothrace, pages 173 à 191, nouvelle 13 - Charlotte BOUSQUET, Le Chêne et le Tilleul, pages 193 à 203, nouvelle 14 - Yan MARCHAND, L'Hospitalier, pages 205 à 233, nouvelle 15 - Anthony BOULANGER, La Descente aux Enfers d'Orphée et Eurydice, pages 235 à 258, nouvelle 16 - Nicholas EUSTACHE, Pierce's track : the Maid & the highway, pages 259 à 274, nouvelle 17 - Romain LUCAZEAU, Les Sept derniers païens, pages 275 à 304, nouvelle 18 - Philippe GUILLAUT, Sémélé, pages 305 à 314, nouvelle 19 - Céline BRENNE, Firestarter, pages 315 à 325, nouvelle 20 - (non mentionné), Petit glossaire mythologique, pages 327 à 346, notes 21 - (non mentionné), Dictionnaire des auteurs, pages 347 à 356, dictionnaire d'auteurs 22 - (non mentionné), Mathieu Coudray, illustrateur, pages 357 à 359, article
Critiques
La première anthologie de Nathalie Dau était parue chez Nestiveqnen, elle s’intitulait L’Esprit des Bardes et avait pour thème la mythologie celtique. Depuis, Nathalie Dau avait en projet d’autres anthologies sur d’autres mythologies, et c’est l’une des raisons qui l’ont poussée à fonder les éditions Argemmios. Le premier opus de la collection Périples Mythologiques, Les Héritiers d’Homère, s’inspire des mythes grecs et est co-dirigé par Nathalie Dau et Jean Millemann.
Humour, légèreté et parfois cynisme alternent avec la tragédie la plus épique. Les auteurs se sont emparés des mythes classiques mais aussi des plus archaïques (Yan Marchand), voire des formes théâtrales antiques (Claire Jacquet), et ont restitué des histoires grotesques ou bouleversantes, plus ou moins réussies – N. Dau et J. Millemann considèrent l’anthologie comme un buffet de mets variés auquel chaque lecteur se sert selon son gré, selon son goût – mais qui laissent rarement indifférent. Quelques-uns de ces « plats » ont pour cadre l’époque antique, comme ceux qu’ont cuisinés Charlotte Bousquet – un texte émouvant et poétique qui parle d’amour et de promesses – ou Marie-Catherine Daniel – le très étonnant « La Caverne des centaures mâles », une des nouvelles les plus originales qui mêle la philosophie de Platon aux légendes anciennes – et quelques autres. Mais la plupart sont situés dans une époque moderne. Là, les auteurs ont pu laisser libre cours à leur imagination et, surtout, à leur style, à leur langage, sans se sentir obligés d’imiter Homère.
L’histoire racontée par Franck Ferric a un petit je-ne-sais-quoi du sublime Malpertuis de Jean Ray, sans doute ce fantastique classique qu’on retrouve aussi chez Éliane Aberdam. Jeanne-A Debats transpose la douleur et la folie de Médée dans une nouvelle très brève et très noire dont le titre est un jeu de mots à l’ironie tragique : « Mayday »... Jess Kaan, avec « Le Syndrome de Midas », livre une critique acerbe du libéralisme au point que ce texte, écrit avant la crise financière de septembre 2008, a un air de prescience – mais sans doute ne s’agit-il que de lucidité de la part de l’auteur. T.K. Ladlani, dans « Prisonnier de son image », détourne de façon terriblement lucide un mythe qu’on croyait frivole, en une nouvelle dont le thème est l’autre, le monstre, l’image. Anthony Boulanger livre une « Descente aux Enfers d'Orphée et Eurydice » des plus tragiquement ancrée dans les maux de notre société : banlieue, drogue, viols... Après un texte humoristique de Nicholas Eustache, la « Sémélé » de Philippe Guillaut, avec son astroport et son bordel, redonne un coup de massue à ceux qui n’auraient pas compris que le maître-mot de la mythologie grecque est la tragédie ! Cette nouvelle effroyable – et fort bien écrite, à la seconde personne, s’adressant à l’héroïne – prend aux tripes et il faut le « Firestarter », de Céline Brenne, véritable catharsis, pour se purger des émotions accumulées...
Un glossaire mythologique vient à point compléter le volume, permettant ainsi aux lecteurs qui ne seraient pas forcément des spécialistes de la culture grecque antique, de connaître l’origine de l’inspiration des auteurs qui composent cette anthologie originale et variée.
Lucie CHENU Première parution : 5/10/2009 nooSFere
Outre l'œuvre, dont on fait le point de départ de la littérature en Occident, la figure d'Homère continue de susciter des interrogations. Encore aujourd'hui, les spécialistes de la Grèce antique ne peuvent affirmer avec certitude s'il s'agissait d'un individu ou d'un collectif d'auteurs. Surfant sur cette ambiguïté primordiale, les toutes jeunes éditions Argemmios (créées par Nathalie Dau pour promouvoir ses propres écrits et qui s'ouvrent désormais à d'autres auteurs) étoffent leur catalogue d'une anthologie inspirée des grands thèmes et mythes popularisés par l'aède aveugle : au programme dix-huit textes (agrémentés d'un glossaire), dont la majorité de fantasy (héroïque et urbaine), plus quelques incursions dans l'inclassable, alors qu'on ne relève en tout et pour tout qu'un seul vrai texte de S-F.
Le détail, c'est ici :
Franck Ferric donne « La Bouteille, le barbu et le sens du monde » sans en donner la clé, ce qui expliquerait qu'on n'a pas vraiment réussi à pénétrer le sens de ce texte pourtant bien écrit. Déambulation alcoolique d'un manutentionnaire au trente-sixième dessous qui, fatalement, va finir par voir dans ses fonds de bouteilles des choses impossibles.
« La Caverne des centaures mâles », de Marie-Catherine Daniel, brode sur une histoire mille fois dite : le passage de l'enfance à l'âge adulte. L'imagerie pénètre bien la rétine (équidés, caverne primordiale, rut contrarié), mais la métaphore n'est pas d'une légèreté extrême et le texte non plus.
On reste dans la farce équine avec « La mort d'Héraclès », de Claire Jacquet, qui accommode le théâtre antique à la sauce vaudeville. Nessus, représentant en lessive qui lave plus blanc que blanc, joue le trouble-fête dans un triangle amoureux dont la résolution vire au Grand Guignol. Marrant.
« Le syndrome de Midas » transporte le mythe de l'homme aux doigts d'or dans la City des traders, au XXIe siècle. Racolé par un fond de gestion prestigieux, le narrateur goûte les joies du fric facile avant de subir un terrible revers qui, littéralement, le jette à l'égout. Convenu, mais Jess Kaan parvient à investir un sujet d'actualité (l'argent, les hommes qui le manipulent) d'une dimension surnaturelle assez prenante.
Sophie Dabat tente de dépoussiérer le mythe de Perséphone et la naissance des Erynies dans « Le Pacte d'Hécate ». Mais tout ça reste un peu paresseux.
« Aube » est une niaiserie romantique à haute densité lacrymale, signée Eliane Aberdam. Voilà un texte qui tient de la fanfic, mauvaise qui plus est, et qui se positionne d'ores et déjà pour le razzie de la pire nouvelle francophone.
« Cet éternel orgueil », de Nadège Lapouillez, propose une variation sur l'histoire d'Arachné, jeune fille punie parce qu'elle était trop talentueuse et trop orgueilleuse. L'héroïne, ici, ne finit pas en insecte velu mais en statue. Style sûr, classique, épuré. Pas mal du tout.
Si Elephant Man avait connu la chirurgie esthétique, il aurait peut-être épousé le destin du Narcisse imaginé par TK Ladlani dans « Prisonnier de son image » : avalé par son portrait, comme Dorian Gray. Belle réussite.
« Mayday » est une short short délicieusement cruelle où Jeanne-A Debats s'essaie à l'écholalie. Joli.
« L'Esprit de l'Hellespont », une fantasy historique d'Olivier Boile, nous explique les vraies raisons du désastre de Salamine. A moins qu'il ne s'agisse d'un plaidoyer écolo ? Au début, c'est mou ; à la fin, aussi. Entre les deux, on s'ennuie féroce.
« Nyctale de Samothrace » explore la psyché inquiète d'une petite fille qui voit dans le noir et veut s'initier aux mystères d'Artémis. Fabrice Chotin livre là une fable trop nébuleuse pour nous.
« Le Chêne et le tilleul » : c'est l'histoire d'un mec qui se coupe les burnes par amour, avant de se transformer en plante verte. Les mythes grecs sont parfois très très bizarres, comme l'avait relevé feu Robert Graves. Charlotte Bousquet nous raconte ça avec un naturel déconcertant.
« L'Hospitalier », théâtral, empesé, démonstratif, n'en reste pas moins l'un des textes forts de l'antho. Agathon est aimé et chéri de Zeus, tant et tant qu'il finit par susciter la jalousie des autres immortels, qui n'auront de cesse de le faire déchoir. Le montage est aussi radical qu'efficace. Yan Marchand met en scène une galerie de personnages cyniques, capricieux, cruels comme des enfants — ou bien agaçants dans leur perfection même — avec une réelle jubilation et un style qui mérite d'être revu.
On n'est en revanche pas parvenu au bout de « La Descente aux Enfers d'Orphée et Eurydice », d'Anthony Boulanger, réécriture contemporaine et ratée de la première ghost story du monde.
« Pierce's Track : the Maid and the Higway » ressemble à un road movie hard boiled plein de sueur et de poussière. Nicolas Eustache s'essaie à un mix improbable mais, ma foi, pas désagréable, entre diverses influences américano centrées (frères Coen, Carpenter).
Voici (enfin !) une fantasy historique qui ne se contente pas d'une simple transposition littéraire : « Les Sept derniers païens » raconte, sur un mode décontracté, la mort programmée du christianisme dans une antiquité finissante. Le jeu de piste mis en place par Romain Lucazeau est enlevé, érudit et haletant, même si l'écriture ne tient pas toujours la distance.
« Sémélé », seule vraie nouvelle de S-F de l'anthologie, remporte la palme de la noirceur. Philippe Guillaut donne une version désenchantée, voire carrément sordide, de la conquête des étoiles. On sort remué par tant de mauvais sentiments.
Enfin, « Firestarter » n'est pas un pare-feu pour Linux mais un trip musical inspiré par Dionysos (déguisé pour l'occasion en dieu-cerf façon celtique), rédigé dans une forme syncopée qui veut coller au fond mais ne décolle pas vraiment. Le texte de Céline Brenne ne laissera pas un souvenir inoubliable.
Comme on l'a vu, le souffle des muses a touché inégalement les auteurs (dont beaucoup sont totalement inconnus ou presque), comme il en va d'ordinaire pour de tels projets. Le principal reproche qu'on peut leur faire — ainsi qu'au deux maîtres d'œuvre, Nathalie Dau et Jean Millemann — est de s'être complu dans une sorte de timidité (voire, pour certaines plumes plus confirmées, dans une certaine facilité) : trop de textes se contentent d'une simple transposition et n'arrivent pas à s'affranchir des mythes dont ils s'inspirent, problème qu'une approche moins consensuelle aurait peut-être pu résoudre. Les anthologistes n'en sont pourtant pas à leur coup d'essai, puisqu'ils avaient déjà travaillé ensemble, l'un en tant qu'auteur et l'autre, déjà, comme anthologiste, sur un recueil du même calibre (L'Esprit des bardes, Nestivqnen). Ces quelques réserves ne sont toutefois pas de nature à entacher le bilan d'un ouvrage globalement satisfaisant, qui devrait être suivi dans le futur d'initiatives similaires (un recueil sur les mythes scandinaves est annoncé). Le travail des éditions Argemmios, comme celui de toutes les micro structures qui sévissent dans nos genres préférés et les font vivre, mérite à ce titre d'être salué et encouragé — et ce même si leurs livres ne sont guère présents en librairies ; privilégiez donc le Net en l'occurrence : <www.argemmios.com>.
Sam LERMITE Première parution : 1/7/2009 dans Bifrost 55 Mise en ligne le : 27/10/2010