Le mélange de l'Imaginaire et du roman historique est en vogue depuis quelques années, à travers des genres comme l'uchronie ou le steampunk, mais aussi certains romans de fantasy qui s'inspirent plus des faits historiques que des mythologies. Un auteur comme Guy Gavriel Kay a même tendance au fil des romans à gommer les éléments fantastiques : dans Les lions d'Al-Rassan, il réinvente les lieux et télescope les époques, au point de rendre indiscernable le vrai du faux pour qui ne connaît pas la période historique dont il s'inspire.
Le lion de Macédoine aborde l'Histoire d'une autre manière. Il fait revivre une période bien précise de l'histoire antique, celle de Philippe de Macédoine et de son fils Alexandre, qui deviendra le Grand : les lieux et les principaux événements historiques demeurent conformes à ce que nous en apprend l'Histoire.
Il introduit pourtant des événements fantastiques qui ne sont pas rapportés dans les manuels. Mais s'ils sont demeurés secrets, ils ont pu se dérouler dans notre monde, sans qu'il soit nécessaire d'évoquer un univers alternatif. Le récit relève donc de l'Histoire cachée – comme dans La lune et le Roi-soleil de Vonda McIntyre – , et non d'une uchronie telle que L'ombre d'Ararat de Thomas Harlan, où une Antiquité alternative se prolonge au Moyen Âge.
Dans la première partie du Prince noir, deuxième volume de la série, l'auteur nous conte d'abord l'accession de Philippe au trône, avec les intrigues de palais, empoisonnements et querelles intestines que cela suppose. Il décrit ensuite ses combats et ses conquêtes destinés à le libérer du poids de ses belliqueux voisins, en insistant sur le rôle de stratège incomparable que joue Parménion le Spartiate, le Lion.
A ce stade, le Prince noir se lit comme un roman historique, avec un réel plaisir dû au style précis, fluide et alerte. Les scènes s'enchaînent rapidement, sans s'appesantir, comme on pourrait le craindre, sur d'interminables combats, et un tableau géopolitique crédible de la Macédoine se dresse ainsi sous nos yeux.
En revanche, l'auteur s'intéresse peu à la vie quotidienne des Macédoniens, et son roman ne dépeint que les faits héroïques ou politiques, à la manière d'un drame épique. Les personnages, conscients de leur destinée, apparaissent taillés dans le bronze : ils savent toujours quelle décision prendre, sans l'ombre d'une hésitation ni d'un remords, et ce n'est donc pas leur complexité qui suscitera l'intérêt du lecteur.
Cette première partie comporte peu d'éléments fantastiques. Certes quelques prêtresses tentent de manipuler les destinées, mais ceci est plus un élément constitutif de la tragédie antique qu'une réelle irruption du surnaturel. Celui-ci surgit à partir du moment où Philippe arrive à Samothrace, l'île des mystères. L'enfant qu'il doit engendrer sur cette île, Alexandre, n'est autre que celui qui va permettre l'incarnation du Dieu Noir.
Ce rebondissement bouleverse l'intrigue, qui prend cette fois un tour de fantasy beaucoup plus affirmé. Laissons le futur lecteur découvrir les circonstances étonnantes qui entourent la naissance de l'enfant. Celui-ci deviendra un personnage beaucoup plus riche que les autres protagonistes, en raison de sa double nature et de ses pouvoirs : par exemple, il brûle ceux qui le touchent, au point que même Philippe ne peut le tenir dans ses bras.
La naissance d'Alexandre est donc un épisode majeur, sur un plan historique bien sûr, mais aussi dans le déroulement de l'intrigue qui de tragédie épique devient récit fantastique, ces deux aspects se complétant et s'enrichissant mutuellement, sans que la cohérence de l'ensemble en souffre. Le mélange de l'histoire et du fantastique n'est pas nouveau, puisqu' Homère le pratiquait déjà, mais peu de romans modernes l'ont exploité de façon aussi satisfaisante.
Le Prince noir est finalement tout à fait réussi, capable de séduire à la fois les amateurs de romans historiques – qui ne seront pas rebutés par un fantastique trop envahissant – et les amateurs de fantasy – qui auront leur compte d'aventures et de démons dans un récit au décor original, tout en évitant la sempiternelle structure de quête.