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À la pointe de l'épée

Ellen KUSHNER

Titre original : Swordspoint, 1987
Première parution : Londres, UK : Unwin Hyman, février 1987   ISFDB
Cycle : Bords-d'Eau vol. 1 

Traduction de Patrick MARCEL
Illustration de Alain BRION

GALLIMARD (Paris, France), coll. Folio SF précédent dans la collection n° 366 suivant dans la collection
Dépôt légal : février 2010
Roman, 416 pages, catégorie / prix : F9
ISBN : 978-2-07-039907-9
Genre : Fantasy

Autres éditions
   in À la pointe de l'épée, ActuSF, 2019
   in À la pointe de l'épée, 2021
Sous le titre À la pointe de l'épée
   CALMANN-LÉVY, 2008

Quatrième de couverture
     Richard Saint-Vière est le plus fameux des tueurs des Bords-d'Eau, le quartier des pickpockets et des prostituées. Aussi brillant qu'impitoyable, violent à ses heures, ce dandy scandaleux gagne sa vie comme mercenaire en vendant ses talents de bretteur au plus offrant, sans trop se soucier de morale. Mais tout va se compliquer lorsque, pour de mystérieuses raisons, certains nobles de la Cité décident de se disputer ses services exclusifs ; Saint-Vière va dès lors se retrouver au coeur d'un inextricable dédale d'intrigues politiques et romanesques qui pourraient bien finir par lui coûter la vie...

     Au-delà du roman d'aventures mâtiné de mélodrame, au-delà de l'hommage savoureux rendu aux grands récits de cape et d'épée, À la pointe de l'épée est une oeuvre forte, profondément dérangeante, sur la nature de la réalité et la moralité de la violence.

     Romancière new-yorkaise, Ellen Kushner est née à Cleveland (Ohio). Passionnée par l'histoire médiévale et les traditions, elle a dirigé une collection de fantasy, avant de se lancer dans l'écriture.
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition CALMANN-LÉVY, Fantasy (2009)

     Deuxième roman publié en France d'Ellen Kushner après Thomas le Rimeur (Folio « SF »), A la pointe de l'épée n'est cependant en rien une nouveauté. Il s'agit en effet du premier roman de l'auteur, paru outre-Atlantique en 1987, et traduit seulement aujourd'hui dans la collection « Fantasy » de Calmann-Lévy. Mais est-ce bien de la fantasy ? A voir... On pourra y chercher longtemps la moindre queue de dragon, la moindre oreille d'elfe. Ce roman ne contient pas davantage de magie, de dieux ou de démons. Ni mythes, ni folklore. De la fantasy, alors ? Pas vraiment. Ou alors, oui, mais pas seulement... A la pointe de l'épée, impératifs commerciaux mis à part, aurait probablement tout autant, si ce n'est davantage, trouvé sa place dans l'autre (excellente) collection de Calmann-Lévy dirigée par Sébastien Guillot, « Interstices ». Rien d'étonnant à cela, dans la mesure où Ellen Kushner, notamment pour ce premier roman, est avec d'autres à l'origine du mouvement américain dit interstitial art, préfigurant — mais avec une vision plus globale encore — les « transfictions » chères à Francis Berthelot. D'ailleurs, si l'on peut bien parler de fantasy pour A la pointe de l'épée, en se focalisant sur son univers « autre » et préindustriel — oscillant en gros entre nos XVe et XVIIIe siècles européens — , il s'agit néanmoins d'une fantasy urbaine, non épique, et tout sauf manichéenne. Pour son « mélodrame d'honneur », Ellen Kushner retient de préférence l'expression de « fantasy de mœurs », calquée sur la so british « comédie de mœurs » (d'aucuns parlèrent même de « mannerpunk » !).

     L'intrigue se situe dans une ville anonyme disparaissant sous la neige, une sorte de république aristocratique dont la géographie témoigne des distinctions sociales : la Colline abrite les riches demeures des nobles à la tête de la cité et les commerces des bourgeois, tandis que les Bords-d'Eau sont une sorte de faubourg à la sinistre réputation, où s'entasse pêle-mêle, dans les bâtisses abandonnées, une faune interlope de prostituées et de pickpockets. Et c'est également dans les Bords-d'Eau que l'on trouve les bretteurs, ces épéistes farouches que les nobles — qui ne se battent plus eux-mêmes depuis fort longtemps — emploient pour régler à leur place et dans le sang leurs affaires « d'honneur »... c'est-à-dire de politique, d'argent ou de cœur, le plus souvent. Les bretteurs se donnent en spectacle, le temps de leur brève et tragique carrière de « champions » et d'assassins. Et Richard Saint-Vière est le plus fameux d'entre eux. Il est « à la mode », et les nobles de la Colline se l'arrachent. C'est ainsi qu'il se retrouvera bientôt entraîné, avec son jeune amant Alec (on notera, juste en passant — mais c'est assez rare pour être souligné — , que la bisexualité est la norme dans cet univers, ne suscitant aucun jugement moral, ce qui permet à l'auteur d'en traiter avec délicatesse et naturel, et nous fait donc des vacances...), dans un complexe maillage de complots, tantôt ambitieux, tantôt dérisoires, ourdis dans l'ombre par des nobles conscients de leur nécessaire supériorité sur la fange des Bords-d'Eau, et ne pouvant même pas imaginer qu'un bretteur puisse, lui aussi, avoir un « honneur ».

     Un roman de cape et d'épée, alors ? En partie seulement : en suivant les combats de Richard Saint-Vière, on ne peut s'empêcher de penser, bien sûr, à quelques fameux escrimeurs littéraires, les mousquetaires de Dumas en tête. Mais Ellen Kushner, de son propre aveu, n'y voit pas une inspiration essentielle, et A la pointe de l'épée n'a effectivement pas grand-chose d'un roman d'action. D'ailleurs, les joutes verbales prennent bien vite le pas sur les sanglants duels, dans cette brillante mise en abyme du spectacle (amoureux, théâtral, politique, judiciaire...). Aussi, quitte à citer une autre œuvre bien française, l'amoralité générale du roman, son attachement à décrire des personnages complexes et ambigus et leurs manipulations capillotractées, son érotisme diffus et la savoureuse préciosité de sa plume, évoquent davantage les Liaisons dangereuses.

     Mais A la pointe de l'épée, plus encore que le classique de Choderlos de Laclos, est un roman « gris », sans bons ni méchants. Les héros apparents ont leurs défauts, les fourbes sont davantage humains que monstrueux. Tous sont le jouet de leurs passions, de leurs émotions. Et c'est ainsi, paradoxalement peut-être, en tout cas à l'encontre des codes propres au genre, que le roman d'Ellen Kushner, à l'instar des « vieilles tragédies de sang et de vengeance » goûtées par le Chancelier du Croissant, parvient « à exprimer une stricte moralité, sans vous coller le museau dedans — à la différence de La Fin du roi, qui souligne son message à trois reprises dès la première tirade ». Le roman d'Ellen Kushner ne juge pas : dans sa « première tirade » (une magnifique introduction, très cinématographique), il se contente de poser qu'ici, il n'y a pas de bons ni de méchants, que cette histoire n'aura rien d'un conte de fées.

     Fantasy, alors ? Peut-être. Ou peut-être pas. On rechigne d'autant plus à trancher que le roman, dans un perpétuel entre-deux, fait à bien des égards figure de manifeste opposé à toute forme d'étiquetage... Mais un très bon roman, à n'en pas douter. Et c'est bien l'essentiel. Ellen Kushner est ultérieurement revenue sur cet univers : si ces « suites » sont du même tonneau, on ne peut qu'espérer une prochaine traduction française.

Bertrand BONNET
Première parution : 1/1/2009
dans Bifrost 53
Mise en ligne le : 5/11/2010

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