BLACK BOOK
, coll. A dé couvert n° (1) Dépôt légal : septembre 2010 Roman, 696 pages, catégorie / prix : 9,90 € ISBN : 978-2-915847-91-8 ✅ Genre : Fantasy
Alors qu'elle est inconsciente, une guerrière de l'armée de la République se voit entraînée dans une étrange ville par une petite fille au visage familier.
Alors qu'il donne un cours à l'Académie de magie, un mage s'évanouit et est assailli par la vision d'un cadavre qui lui annonce sa mort prochaine.
Fils d'un homme et d'une fée, Eringvard, victime d'une apparition morbide, aperçoit le mot Corollis s'écrire au cœur des arbres.
Une prêtresse du dieu des Morts, Cythèle, rêve de funestes prophéties et de fleurs qui saignent.
Quatre êtres aux parcours et idées a priori opposés se rencontrent sur le chemin de la ville de Corollis, mystérieuse et depuis longtemps coupée du monde, au sujet de laquelle courent les plus sombres et angoissantes rumeurs.
Lentement mais inexorablement, le piège se referme derrière eux.
La Ronde des vies éternelles est un thriller de fantasy horrifique : loin des clichés merveilleux, sa structure narrative machiavélique se déploie jusqu'à l'impensable dénouement. Nicolas Cluzeau, connu pour son style ciselé inimitable, rythme son récit avec virtuosité en alternant combats épiques, descriptions oniriques et immersives, scènes d'horreur gore et phases d'enquête haletantes.
La collection A dé couvert a pour vocation d'accueillir des œuvres liées de près ou de loin à la sphère rôlistique, qui mettent en scène des univers entrant en résonance avec ceux des jeux de rôle. En effet il s'agira de mettre en valeur l'influence de ce média sur les genres de l'imaginaire, et de la distiller au sein de la collection.
Critiques
Ils sont quatre, mais ils ne connaissent pas. Leur point commun ? Ils vont bientôt mourir du fait d’une malédiction. La cause ? Ils n’en savent rien, mais la solution se trouve dans une petite ville du nom de Corollis. Après leur rencontre dans une taverne, ils se mettent donc en route vers cette cité située au-delà des « Effrois », lieu d’une manifestation magique meurtrière tous les dix ans. Malheureusement, nos héros tombent mal, mais ils n’ont pas le choix.
Quand on lit ce résumé, ou tout simplement les 150 premières pages de ce petit pavé, l’impression assez désagréable d’avoir déjà lu ça dix fois fait son chemin : une troupe d’aventuriers tout aussi caricaturaux les uns que les autres et que rien ne relie doivent s’entraider pour résoudre une quête. La rencontre dans la taverne tient même lieu de cliché suranné. Bref, l’idée d’un ersatz de fantasy tolkienoïde pointe son nez.
Et pourtant, passé ce début assez « bateau », on se rend compte de notre erreur : l’histoire de Nicolas Cluzeau ne peut s’apparenter à ces récits d’aventures bon marché. En effet, dès l’arrivée dans les Effrois (un nom qui veut tout dire), on en découvre toute l’originalité qui tient dans un emploi assez intensif des rêves, des cauchemars et de l’onirisme en général. D’ailleurs le terme choisi par l’éditeur : « fantasy horrifique » prend tout son sens dans ces passages. Et même si on reste loin d’une horreur qui affecte le lecteur, on se rend bien compte que pour les personnages le monde n’a rien de gai. Ainsi, ils n’auront pas à affronter de gros et méchants trolls, mais devront vaincre leurs peurs et leurs angoisses. Si, au début du livre, cette compagnie paraît tout à fait caricaturale – un guerrier, un mage, une amazone et une prêtresse –, nos héros vont dépasser les codes collés à cette catégorisation grâce aux défis qu’ils doivent traverser. Pour dire simplement : leurs peurs les rendent humains.
De plus, l’auteur fait preuve d’une très bonne maîtrise de sa plume. Dès le départ, on a affaire à une langue riche en vocabulaire, en descriptions, en métaphores. Voici un texte où on prend plaisir à chaque phrase, où on se laisse entraîner par la beauté des mots dans la poésie de l'univers qu'ils évoquent. Et si le rythme apparaît parfois assez lent, qui fait la part belle au lyrisme plus qu’à l’action, le lecteur se laisse néanmoins captiver facilement.
Bref, voici un roman agréable à lire, mené par une intrigue maitrisée qui étonne d’autant plus le lecteur que la plupart des indices sont distillés tout au long du texte. Un monde original que je prendrai plaisir à découvrir avec la suite de ce texte, car bien que pouvant tout à fait se lire seul, il s’insère dans un cycle comportant trois autres tomes.
Quatre personnages très différents, dont le seul point commun est leur même date de naissance, sont soudainement assaillis par d'atroces visions sur leur mort prochaine. Ils partent alors pour Corollis où demeurerait la clef de leurs cauchemars. Corollis, une ville étrange située au-delà du défilé labyrinthique des Effrois et longtemps coupée du monde par des forces magiques inconnues...
Cette amorce semble promettre une quête classique avec son lot d'épreuves itinérantes, mais dès les premiers chapitres Nicolas Cluzeau montre une ambition plus grande, aussi bien dans la forme que dans l'inspiration.
D'emblée, de longues descriptions oniriques et fantasmagoriques occupent la scène, à la place de l'action pure et des péripéties mécaniques si fréquentes. Loin d'adopter le style simple et direct dont d'autres se flattent, l'auteur montre son goût pour les envolées horrifiques, pour les formules lyriques et pour un vocabulaire souvent précieux, tout en alternant différentes formes de récits, tels qu'intermèdes oniriques, histoire à épisodes, témoignages à la première personne...
Ainsi, malgré l'inévitable carte qui ouvre le roman, les décors s'avèrent « plus métaphysiques que physiques », rappelant dès lors les univers de Moorcock. Cette référence s'impose d'autant plus que La Ronde des vies éternelles prend place dans le même monde que les précédents ouvrages de Cluzeau — Embûches, Erika et Harmelinde et Deirdre — , c'est-à-dire dans celui de Nordhomme, qui n'est lui-même qu'une infime partie d'un « Multivers » complexe où se bousculent de multiples plans de réalité et une foultitude de dieux et de démons issus de religions contradictoires.
On pourra relever d'autres parentés, comme le rôle majeur dans l'histoire d'un « collecteur d'âmes » qui pourrait très bien s'appeler Stormbringer. Mais n'allons pas voir dans La Ronde des vies éternelles une simple resucée moorcockienne. D'une part, la vision mécaniste de la magie « ondiligne » développée par Cluzeau au fil des ouvrages offre en elle-même un intérêt original ; d'autre part, l'intrigue est bien plus inattendue qu'il n'y paraît et son dénouement — en forme de tragédie familiale basée sur l'ambition, le pouvoir et la culpabilité, dont on se gardera bien de déflorer plus avant la teneur — s'avère passionnant.
Certains lecteurs pourront sans doute être déroutés par le rythme assez lent, par un style parfois excessivement emphatique ou encore par l'absence de personnages aussi dynamiques qu'Harmelinde et Deirdre — même si le caractère un peu effacé des personnages prend finalement un sens avec la compréhension des véritables enjeux. La Ronde des vies éternelles n'est cependant pas de ces livres d'aventures qu'on oublie dès la dernière page tournée et on ne peut que saluer les progrès de l'auteur dont les œuvres de plus en plus denses, exigeantes et ambitieuses ont atteint une indéniable maturité.
Ajoutons que bien qu'il fasse partie d'un cycle, ce roman peut tout à fait se lire indépendamment des autres. Ce seul détail, fort appréciable, prouve que Cluzeau ne cherche pas à faire une trilogie de la moindre bonne idée. Merci à lui !