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Stratégies du réenchantement

Jeanne-A DEBATS


Illustration de Philippe CAZA

GRIFFE D'ENCRE , coll. Recueil n° 8
Dépôt légal : juin 2010
Première édition
Recueil de nouvelles, 250 pages, catégorie / prix : 16 €
ISBN : 978-2-917718-20-9
Genre : Science-Fiction



Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
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Quatrième de couverture
     Devant l’insupportable, il est malaisé de se révolter, mais parfois plus encore de se soumettre.

     Huit nouvelles sur l’art et les raisons de dire non, huit stratégies pour réenchanter le monde jusqu’à, parfois, le détruire.
Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - Aria Furiosa, pages 9 à 32, nouvelle
2 - Saint-Valentin, pages 33 à 59, nouvelle
3 - Paso doble, pages 61 à 83, nouvelle
4 - Stratégies du réenchantement, pages 85 à 107, nouvelle
5 - Privilège insupportable, pages 109 à 135, nouvelle
6 - Gilles au bûcher, pages 137 à 161, nouvelle
7 - Fugues et fragrances au temps du Dépotoir, pages 163 à 224, nouvelle
8 - Nettoyage de printemps, pages 225 à 229, nouvelle
9 - Jean-Claude DUNYACH, L'Art du changement d'état, pages 231 à 239, postface
Critiques
     Deux ans après La Vieille Anglaise et le continent, novella lauréate de nombreux prix littéraires, les éditions Griffe d'encre publient un nouvel ouvrage de Jeanne-A Debats : Stratégies du Réenchantement. Dans l'entrefaite, Debats n'était pas restée inactive ; elle avait publié trois romans pour la jeunesse aux éditions Syros, ainsi que plusieurs nouvelles chez Argemmios, ActuSF et Griffe d'encre. L'une d'elles est d'ailleurs reprise dans ce recueil, « Privilège insupportable », qui figure au sommaire de L'Air, anthologie dirigée par Magali Duez. Cette nouvelle allie le pire — un monde où l'oxygène est compté et où l'on reconnaît les habitants des Niveaux Inférieurs à ce qu'ils ont les lèvres bleues — au plus touchant — l'amour d'un père.
     On peut avoir du mal à accrocher à la novella du recueil, « Fugues et fragrances au temps du Dépotoir ». L'intrigue en est très simple : des Réguliers veulent déplacer une population de Vrais Clochards installés sur une vieille station spatiale contenant un trou noir. Le seul moyen pour ses habitants de garder la station est d'incorporer de la masse, alors que la logique des Réguliers est d'envoyer ce trou noir mobile aux confins de l'Univers afin d'éloigner le danger. La proximité du trou noir a pour effet d'incessantes et énormes variations de pression et des yo-yo temporels. Le problème de ce texte est son extrême complexité ; les ellipses y foisonnent, au point qu'il en devient incompréhensible. Pourtant, une fois qu'on y est plongé, l'histoire est véritablement prenante et on se prend à rêver de voir cet étrange univers développé dans un roman où l'auteur prendrait le temps d'installer son lecteur.
     À l'inverse, on s'immerge sans difficulté dans les autres nouvelles. Jeanne-A Debats joue sur les émotions de ses lecteurs tout en taisant — avec une pudeur étonnante si l'on considère la liberté avec laquelle elle s'empare des thèmes les plus durs — les sentiments des personnages, même lorsqu'ils sont les narrateurs. Du coup, rien ne nous prépare à l'impact, et l'on se prend de plein fouet nos propres peurs, nos propres amours, nos propres rires. Rires, oui, car J-A.D. peut être comique, parfois. Elle donne dans le burlesque, avec « Saint-Valentin », l'histoire hilarante — quoique douce-amère-acide, aussi ! — de l'épouse d'un serial-killer, lassée de trouver des Schtroumpfs morts dans son frigo et de cuisiner des cuisses de fées.
     Mais, si Jeanne-A (sans point) sait faire rire, Stratégies du Réenchantement fait surtout grincer des dents et son auteure peut être terriblement sérieuse, tant dans le fond que dans la forme. J'en veux pour preuve la nouvelle éponyme dont le narrateur souffre d'une maladie sexuellement transmissible due à un virus dont l'effet est de détruire les capacités émotionnelles. Ailleurs, Debats interroge l'histoire — « Aria Furiosa » met un scène un colonel SS obligeant le dernier castrat à chanter pour Rommel — ou projette des futurs angoissants, comme celui de « Paso Doble », l'histoire de deux petits gitans recueillis par l'éleveur d'un taureau de combat recréé grâce à la génétique.
     Malgré les apparences, l'espoir n'est pas totalement absent de l'avenir vu par Debats. « Gilles au bûcher », un texte trop amusant pour être réellement horrible, raconte la renaissance de l'espèce humaine durant l'hiver nucléaire, « cultivée » par un homme qui, contrairement aux enfants qu'il élève, guérit en quelques heures des brûlures dues aux radiations. Enfin, « Nettoyage de printemps », une très courte histoire de voyage temporel, déclenche le dernier éclat de rire avant la postface de Jean-Claude Dunyach.
     Stratégies du Réenchantement est un recueil exigeant composé de nouvelles à la fois tendres et acérées. Un livre à ne pas manquer.

Lucie CHENU
Première parution : 1/11/2010 dans Galaxies nouvelle série 10
Mise en ligne le : 24/2/2013


     Jeanne-A Debats a été l'une des principales révélations de 2008 avec La Vieille Anglaise et le continent, novella qui a raflé à peu près tout ce qui se fait en matière de prix, du Rosny aîné au Grand Prix de l'Imaginaire en passant par le Julia Verlanger. Depuis, ceux qui voulaient poursuivre leur découverte de cet auteur ont dû se tourner vers la littérature jeunesse, où sont parus ses premiers romans. Citons en particulier EdeN en sursis (2009), joli planet-opéra écolo dans l'esprit de Cette Crédille qui nous ronge de Roland C. Wagner, et La Ballade de Trash (2010), roman post-apocalyptique très noir, tous deux publiés chez Syros.

     Stratégies du réenchantement est un recueil de huit nouvelles proposant une belle variété de ton et d'inspiration, de la comédie noire de « Saint-Valentin » et son ogre tueur en série à l'univers oppressant de « Privilèges insupportables » en passant par la S-F pure et dure de « Fugues et fragrances au temps du Dépotoir ». Néanmoins, au-delà de cette diversité affichée, il se dégage de ces différents textes une indéniable cohérence.

     Jeanne-A Debats se focalise le plus souvent sur un petit groupe d'individus, de la cellule familiale à la communauté restreinte, confrontés à un environnement hostile. « Aria Furiosa » met en scène Orlando, chanteur d'opéra castrat, et son proche entourage (son amant et une ancienne danseuse de ballet devenue sa domestique et amoureuse de lui), dans le Paris occupé de la Deuxième Guerre mondiale. Malgré les relations conflictuelles qu'ils entretiennent en permanence, le trio a trouvé au sein de l'hôtel particulier qu'ils occupent le moyen d'échapper au monde qui les entoure, jusqu'à ce que celui-ci fasse une irruption brutale dans leur univers et les oblige à réagir.

     « Privilèges insupportables » et « Gilles au bûcher » ressortissent à la S-F post-apocalyptique, où la planète est devenue un désert radioactif invivable et où les derniers représentants de l'espèce humaine survivent dans un milieu artificiel offrant des conditions de vie plus ou moins pénibles. Dans le premier cas, l'oxygène dont dispose chaque habitant est strictement rationné, le confort individuel s'effaçant au profit du bien collectif. Dans le second texte, Jeanne-A Debats part d'un postulat assez curieux en mettant en scène un personnage historique, ou plutôt l'une de ses incarnations que la culture populaire a répandues, et en faisant de lui, plusieurs siècles après sa naissance, le sauveur de l'humanité. Un sauveur pas vraiment désintéressé, puisque son but premier est de garder à portée de main de quoi assurer sa subsistance.

     « Fugues et fragrances au temps du Dépotoir », assurément le texte le plus fascinant du recueil par la complexité et l'originalité de son univers, décrit le combat de tous les instants que les derniers occupants d'une station spatiale mènent pour conserver leur mode de vie, face à un ennemi qui n'a d'autre but affiché que de leur proposer un monde meilleur. Marginaux et heureux de l'être, les héros de ce récit n'ont aucune envie de céder aux sirènes d'une norme qu'on tente de leur imposer.

     Face aux difficultés du quotidien, il peut être tentant de vouloir transformer le monde, de le rendre plus supportable. C'est le choix que fait la narratrice de « Saint-Valentin ». Il faut la comprendre : être mariée à un ogre tueur en série n'est pas facile tous les jours, et tomber sur un elfe bleu ligoté dans le frigo quand on voulait juste y prendre une brique de lait peut finir par lasser. Sauf que, confrontée aux tracasseries et aux petites humiliations quotidiennes d'une existence « normale », elle aura très vite fait de regretter sa vie d'autrefois et fera tout pour la retrouver.

     Le cas d'Absal, le personnage principal de « Privilèges insupportables », est sans doute le plus représentatif de l'inutilité d'agir sur une vaste échelle. Enfant de révolutionnaires qui ont mis à bas le système politique qui leur était imposé pour en mettre en place un autre, plus égalitaire, il est bien forcé de constater que sa situation n'est pas meilleure que celle de ses parents, bien au contraire. Un point de vue égoïste, certes, mais que ses conditions de vie précaires viennent lui rappeler en permanence. Pour y remédier, Absal ne trouve d'autre solution que d'enfreindre les lois de la communauté, et au final de briser l'un des tabous les plus profondément ancrés dans notre inconscient. Une monstruosité altruiste, seule manière de se libérer de ce monde cauchemardesque.

     Ou alors, quitte à changer le monde, autant le faire de manière radicale et définitive, comme dans « Nettoyage de printemps ». Sauf que du coup, au bout de trois pages, il n'y a plus d'histoires à raconter.

     A choisir, on optera donc plutôt pour ces univers oppressifs que Jeanne-A Debats excelle à décrire, même si l'espoir y est mince et que le plus souvent la mort attend au bout du chemin. Pour le narrateur de « Privilèges insupportables », pour le personnage central de « Gilles au bûcher », cette mort, choisie, constitue un sacrifice libératoire devant permettre à leurs enfants de vivre. C'est également le cas du narrateur de « Stratégies du réenchantement », victime d'une variante du sida le privant de toute émotion, témoin insensible de tout l'amour que lui porte sa fille.

     Dans d'autres cas, le sacrifice que l'on consent n'a d'autre but que la vengeance, comme dans « Paso Doble », nouvelle située dans le même univers que « La Vieille Anglaise et le continent », où l'un des personnages principaux renoncera à son humanité pour châtier l'assassin de son frère.

     Chacune des huit nouvelles de ce recueil est méticuleusement agencée et s'appuie sur une écriture limpide, un contexte parfaitement cerné et une galerie de personnages dépeints avec une acuité rare. Si cela ne suffisait pas à vous convaincre des talents de Jeanne-A Debats, je vous renvoie à la postface de Jean-Claude Dunyach, aussi laudative que pertinente. Et Dunyach faisant l'éloge d'une nouvelliste, c'est un peu Pelé remettant le Ballon d'Or au footballeur de l'année, ou Kim Jong-Il décernant le Grand Dictator Award 2010. En matière d'adoubement, on ne fait pas mieux.

Philippe BOULIER
Première parution : 1/10/2010 dans Bifrost 60
Mise en ligne le : 23/1/2013


     Jeanne-A Debats écrit peu, mais bien.
     Elle avait commis en 2008 La Vieille Anglaise et le continent, une novella douce amère, très bien faite, sur le choix fait par une aristocrate excentrique de finir ses jours dans la peau — et la tête — d'un cachalot. Le texte, élégant et maîtrisé, nous offrait un parcours envoûtant dans le grand bleu, et s'accompagnait d'une trame écologiste où les méchants n'étaient point ceux qu'on croit. De la belle ouvrage, qui, de mémoire, a raflé quatre prix, dont le GPI catégorie nouvelle. En toute logique, on attendait donc Debats au tournant, c'est-à-dire au prochain opus.
     L'opus en question est un recueil de nouvelles, Stratégies du réenchantement, fort justement paru dans la collection du même nom chez Griffe d'Encre, où Jeanne-A a ses habitudes. Un mot tout d'abord sur l'objet : couverture de Caza, pas moins. J'aime bien Caza en général, mais là, on est un peu oppressé, avec un univers carcéral tout rouge qui ouvre sur un improbable ailleurs, meilleur peut-être mais surtout très jaune. On le verra, c'est raccord avec le contenu.
     Le contenu justement : pratiquement que du très bien. Huit nouvelles, et une postface de Dunyach, certes pointue, mais qui ne m'a pas marqué. En quatrième, on lit « huit nouvelles sur l'art et les raisons de dire non », ce qui résume assez correctement le fil rouge du recueil.
     On commence fort à mon goût, avec « Aria Furiosa » : dans une uchronie à peine marquée, le dernier castrat, Orlando, est contraint par un colonel SS de chanter pour Rommel. La réponse du maître sera à la hauteur du chantage atroce de l'officier allemand. Une écriture précise pour un conte bref et intense comme un contre-ut.
     Suit « Saint-Valentin », plus léger, en décalage avec la tonalité du reste de l'ouvrage. Un conte farceur, où la fiancée d'un tueur en série sentimental contraint un ogre bizarre à l'aider à retrouver sa réalité. Bien fait, mais anecdotique.
     Tout autre chose est « Paso Doble », où nous retrouvons pour partie l'univers de la Vieille Anglaise, du moins l'un de ses arguments. Impossible de vous en dire beaucoup sans déflorer cette danse mortelle et belle, sous le soleil d'un monde déliquescent.
     « Stratégies du réenchantement », qui donne son titre au recueil, où une victime du sida4, salaud assumé rendu monstrueusement asocial par le virus, choisit la voie improbable de la rédemption.
     « Privilège insupportable ». Dans ce monde dévasté, plus d'oxygène. Pour survivre, une poignée de survivants a organisé le rationnement. Mais l'un deux, en secret, a trouvé bien mieux, et même s'il doit pour cela transgresser tous les tabous.
     « Gilles au bûcher », raconte un monstre qui élève un troupeau d'humains en vase clos pour son usage. Il a tout calculé pour pouvoir un jour se livrer à nouveau à la chasse, son seul plaisir. Mais un jour, les plus jeunes de la tribu ramènent une statue dorée. Une bien cruelle surprise pour Gilles.
     « Fugues et fragrances au temps du Dépotoir », la plus aboutie du recueil. Dans un satellite artificiel, une tribu de clochards résiste aux Réguliers. Rosso, enfantin et rebelle, amoureux fou de MaryMad, fera l'apprentissage de la vie un peu, de la mort beaucoup. Eros et Thanatos dansant sous les étoiles.
     Et pour conclure ? Une brève, deux pages tout compris, « Nettoyage de printemps », jouissive et radicale. Une conclusion appropriée pour un recueil nerveux, solide et cohérent.
     Hautement recommandable, donc.

Pierre LE GALLO
Première parution : 19/7/2010 nooSFere

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