Nous sommes en 2040, aux États-Unis devenus République islamique. Rakkim, ancien soldat d'élite, part retrouver sa bien-aimée Sarah Dougan. Celle-ci semble avoir fui un danger tel que même son oncle, pourtant chef de la sécurité du régime, ne pourrait la protéger. En effet, la jeune universitaire recherche les preuves d'une machination dont la révélation pourrait ébranler jusqu'à l'existence même de l'État...
Mélange de polar et d'anticipation, ce livre se révèle un échec pour l'exercice de réflexion même s'il peut satisfaire le lecteur grâce à sa maîtrise du suspense.
Tout l'intérêt du côté « anticipation » se trouve en effet anéanti par son invraisemblance. Il aurait été intéressant de voir comment justifier le passage d'une Amérique « bushiste » (au moment de la publication en VO) vers une République islamique ressemblant à celle de l'Iran. Robert Ferrigno essaye bien d'expliquer cette transition, mais les raisons avancées apparaissent fort peu convaincantes. De plus, les trop nombreuses fautes d'appréciation ne passent pas inaperçues, notamment dans la détermination des « héros » de cette république. Ici pas de Saladin, Averroès ou autres Avicenne. Non, la République islamique des États-Unis célèbre Oussama Ben Laden alors que sa glorification par un régime religieux « modéré » ne peut que laisser dubitatif. De même, la ville de San Francisco présentée comme un bastion extrémiste admire tellement le Commandant Massoud qu'elle renomme le fameux Golden Gate Bridge en son honneur, alors que ce militaire a historiquement combattu les talibans en Afghanistan. L'apparition de noms liés à la guerre en Irak comme al-Zarqaoui — chef terroriste tué par un commando américain — ou Falloujah — ville et bataille — montre là aussi une trop grande imprégnation de notre présent. Dans l'ensemble, cela donne l'impression d'un récit trop ancré dans une époque déjà passée, trop rattaché à la vision de l'Islam dans l'Amérique de Bush pour figurer un futur vraisemblable.
Comme sa cousine l'uchronie, l'anticipation reste un exercice demandant de bonnes connaissances historiques et géopolitiques ainsi qu'une rigueur telle que les idées avancées puissent être considérées comme plausibles. Robert Ferrigno ne respecte pas ce contrat et on ne croit pas un seul instant à ce qu'on lit. C'est dommage parce que cela enlève une grande part de l'attrait du livre.
Le versant polar s'avère, lui, bien plus réussi. En effet, assez rapidement le lecteur est entraîné à la suite de Rakkim en quête de sa bien-aimée Sarah. Au menu tous les ingrédients nécessaires : courses-poursuites, action, complots, tueurs, etc. Bref du danger à chaque instant. Si la ressemblance entre notre époque et celle de l'histoire dessert la fameuse « suspension d'incrédulité », elle permet inversement de mettre le lecteur en terrain connu. Robert Ferrigno peut ainsi user de son talent pour manier efficacement révélations et suspense. Sans temps mort, le livre se lit d'une traite malgré ses 580 pages. Au point même qu'on oublie l'invraisemblance du background et que seule demeure l'intrigue haletante.
Au final, cette œuvre déçoit par le peu de rigueur dont l'auteur a fait preuve dans la construction de son anticipation, ridicule dans ses justifications et invraisemblable dans son fonctionnement. Cependant, Robert Ferrigno reste un bon écrivain de polar et son récit se révèle tellement captivant qu'il permet de surpasser cette déception et de prendre un vrai plaisir à la lecture.