La principale qualité de ce roman est son originalité. Première idée très gouleyante : les nations, durant la Grande Guerre, n'ont pas engagé que leurs citoyens humains, mais aussi leurs ressortissants faëriques. Ainsi Rory O'Donnell, fils de la verte Irlande, a-t-il pour frères d'armes des cluricauns, des grogochs et autres lutins, tandis que dans les tranchées allemandes se terrent des ogres et des kobolds. On se trouve donc ici dans une sorte d'uchronie, où les nations ont conclu une alliance avec leurs minorités faëriques. Envisager les modalités concrètes de ces alliances et de cette coexistence au grand jour aurait pu conduire à des développements amusants ; hélas, l'auteur ne s'y attarde guère.
En effet l’essentiel du livre tient moins dans les bouleversements d'un monde faërique que dans les convulsions du héros, en proie au spleen, ce mélange de mélancolie et de révolte dont parlait Charles Baudelaire dans Les fleurs du mal. Cet aspect ténébreux est contrebalancée par la rencontre avec Sam Tapelton, colosse philosophe et bon vivant, sorte de Gargantua irlandais. Les pérégrinations du duo, qui après la Grande Guerre s'engagera dans la Révolution irlandaise, la truculence de Sam Tapelton, quelques rencontres sentimentales et virées au bordel tirent le roman vers le picaresque, ce qui nous vaut quelques remarques acides sur la vie comme elle va ou sur l'Histoire.
Le risque, lorsqu'on se choisit pour héros un individu qui ressasse son malaise et refuse les plaisirs de la vie, est d'ennuyer le lecteur. Surtout que Fabrice Anfosso en vient à accabler d'une cécité Rory O'Donnell. Relégué à un rôle marginal dans l’action, hermétique à la fureur ambiante et uniquement préoccupé de son nombril, j'ai fini par le perdre de vue en pleine guérilla urbaine dublinoise, et la dynamique de l’histoire par la même occasion.
Le roman renoue avec la trame existentielle du récit et se recentre sur le héros dans son dernier tiers. Il devient alors charmant, en prenant les accents d'une fable dans la manière du Narcisse et Goldmund de Herman Hesse. Mais la résolution de l’intrigue apportée par cette dernière partie semble tellement déconnectée de tout ce qui l'a précédée qu’une certaine perplexité domine finalement.
Il y a là des idées, de l'ambition, une plume agile, mais la cohésion de l'ensemble fait défaut. Au risque de la cuistrerie, je conseillerais à l'auteur de remettre l'ouvrage sur le métier pour remédier aux faiblesses du Chemin des fées, qui en l'état mérite surtout d'être signalé comme une curiosité, et peut-être d’être salué pour avoir ouvert une voie, on pense au Commando des immortels, de Christophe Lambert.