Apocalypse doit être pris ici dans son sens réel de révélation. Cette histoire du futur ne nous entraîne pas dans les péripéties d'une guerre nucléaire ou la reconstruction d'un monde dévasté ; il y est question de « l'éternel retour des choses ». En fait il s'agit d'un prolongement des précédents ouvrages (non romanesques) de l'auteur : Saint-Néron et Les cycles de l'éternel retour.
M. Pichon a un faible pour Néron, et je lui accorde volontiers qu'il fut un calomnié, qu'il est innocent de l'incendie de Rome et fit au contraire tout pour le maîtriser, que les vers qui nous restent ne le montrent pas méchant poète, qu'il fut, peut-être, un grand empereur, pleuré sincèrement par la plèbe romaine, et que son véritable portrait reste à faire. Si Pichon s'en tenait là, j'irais avec lui danser la carmagnole sur la tombe de Renan, mais il veut plus : Néron selon lui est le véritable créateur du Christianisme, il imagina un Dieu nouveau et arriva à l'imposer à l'univers. Là je regimbe, quand Pichon se veut historien, mais en revanche je le suis lorsqu'il se fait romancier.
Est-ce par roublardise que l'auteur a situé le développement de sa thèse dans le futur, ou simplement pour suivre la logique de ses théories ? Il importe peu au fond, et l'ouvrage seul compte, lequel est intéressant au plus haut point. Les fanatiques de la SF américaine se diront certainement déçus, car il se manie ici des idées, une théorie de l'histoire du monde, et non pas des galaxies et des astronefs. La SF n'est cependant pas absente du récit et nous vaut quelques jolies trouvailles, comme les travaux des potentialistes ressuscitant le passé, dotant l'humanité d'archives authentiques, que les pouvoirs s'empressent de modeler à leur gré.
Dans cet univers, les U.S.A. tiennent la place de Rome et l'Orient celui des Parthes, et l'action, s'échelonnant au travers de quatre siècles, nous retrace la naissance et la croissance d'une religion nouvelle, par le truchement de témoins, placés à ces instants où l'histoire pivote. Ainsi, nous avons les deux faces de l'histoire, l'officielle, qui a droit de cité dans les manuels, et l'autre, la secrète, celle que l'on tait, les mobiles réels d'une transformation du monde sur le plan éthique et religieux.
Mais, à l'exécution, l'auteur perd de sa liberté, s'étant enfermé dans le carcan de la sujétion à ce qui s'est déjà passé dans notre univers. De là dans le récit des temps faibles. Ainsi les parties 1, 2, 4 et 5 sont les plus réussies. Les deux premières nous font assister à la fin d'une civilisation, minée par l'intoxication née de l'utilisation pacifique de l'énergie atomique. Et peu importe que Salomé se déguise en Paloma et Saint-Jean Baptiste en Adjoran : les personnages vivent, et vivent parce que Pichon peut librement s'abandonner à son don de romancier, en n'empruntant à l'histoire que les grandes lignes, une trame fort lâche, et recréer à sa guise le drame et ses comparses.
Au contraire, la 3° partie consacrée à Iron souffre d'un calque trop poussé : cet empereur américain Glaudin, époux de la starlette Marlinei sa seconde femme Akrine, son fils Iron, le beau-fils Britain, le philosophe Renec et Petton l'écrivain sont de vieilles connaissances, qui ne peuvent encore nous réserver de surprises. Il nous semble lire les Annales de Tacite – pardon, Dacide, lui aussi au rendez-vous. Et c'est dommage.
Sans doute l'auteur était-il forcé d'accentuer les traits de ressemblance pour nous faire saisir toute sa pensée. Mais ainsi le récit prend également une allure de plaisanterie, de fantaisie pure, ce qui est bien à l'opposé du but souhaité. Il eût sans doute mieux valu des déguisements plus lâches et plus subtils comme il en va dans les dernières parties, que ces masques trop transparents.
Mais si la naissance du Versalisme d'Iron ne suscite qu'à moitié notre intérêt, il n'en va pas de même des développements ultérieurs où naît, grandit, et se transforme une religion nouvelle, basée sur l'imposture, et attendue par un monde qui ne croit plus au progrès technique, à l'âge d'or de la science, ni à rien, et qui, par lambeaux, régresse et s'abandonne au chaos.
En dépit de ses défauts, le livre me plaît ; il chatouille délicieusement l'imagination et fait joyeusement la grimace à bien des pontifes. À commencer par les dévots adulateurs de l'Homme, de l'Homme qui… de l'Homme que… Reste à voir, M. Pichon, si ces derniers n'essayeront pas de vous faire brûler comme hérétique ; ils sont en général fermés à l'humour, ont la dent féroce pour qui les nargue, et tiennent des éléphants la tenace rancune.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/10/1964 dans Fiction 131
Mise en ligne le : 1/12/2023