Moïse connaissait les explosifs et le rayon de la mort. Salomon avait pourvu de paratonnerres le temple de Jérusalem. L’époque de la pierre polie, si elle a existé, est antérieure à celle du silex taillé. Les hommes préhistoriques savaient construire des maisons de pierre, des huttes, des fortifications. Certains textes sanscrits relatent une guerre atomique. Le Paradis Terrestre se situait sur la planète Vénus. Il y a à Paris (rue des Grands-Degrés, cinquième arrondissement) un maître horloger, Cyril M., dont les horloges rajeunissent les clients. « Ram le Réformateur » quitta l’île de Sein pour échapper aux cruelles druidesses et fut à l’origine, en Asie, d’un âge d’or qui dura 3500 ans. Un rabbin français inventa la lampe électrique sous Saint-Louis. Au XVIIIe siècle, un seigneur autrichien fabriqua, dans un couvent de carmélites, des êtres humains. Il y a 18 millions d’années, Mars, Vénus et la Terre étaient reliées par une « voie magnétique », sur laquelle voguait un immense vaisseau resplendissant.
Telles sont quelques-unes des révélations que le lecteur pourra trouver au hasard des 430 pages de cette Histoire inconnue des hommes. Vraisemblablement stimulé par le succès du Matin des magiciens, Robert Charroux s’élance vaillamment sur les traces de Louis Pauwels et Jacques Bergier, en se proposant de défendre une thèse qu’il résume lui-même (p. 20) :
« Une civilisation très ancienne a précédé la nôtre. Cette civilisation, après avoir connu la radio, la télévision, la fusée sidérale, la bombe H, a disparu dans une catastrophe atomique. Avant de mourir, sachant que des survivants, que des rescapés, après un long et pénible cheminement, continueraient l’aventure humaine, nos ancêtres ont légué un message destiné à préserver les générations futures de leur funeste expérience : Attention à la science. Attention au feu. »
L’auteur affirme avoir « établi le répertoire des preuves, indices, découvertes et connaissances qui appuient cette nouvelle vision de l’histoire humaine » (p. 22), mais le lecteur est cependant obligé de constater que si Robert Charroux a un sens développé du journalisme à sensation, il ne possède guère, en revanche, de méthode, de sens critique, ni surtout de connaissances solides dans les domaines qu’il se propose d’éclairer de lumières nouvelles.
On jugera de ses carences, en découvrant (p. 88) le « principe hypothétique » de l’agravitation : « faire tourner un champ électrostatique par un champ magnétique à la vitesse de la lumière, » puis recourir à la « polarisation des champs de pesanteur » ; on apprendra (p. 142) que « les forces colossales libérées par l’atome pourraient un jour permettre de ralentir la vitesse de gravitation (sic) de la Terre, ce qui aurait pour résultat d’augmenter la pression atmosphérique et, de ce fait, la richesse de l’air en oxygène » ; on découvrira, à propos de notre satellite (p. 217), que « l’image de San Francisco, avec ses gratte-ciel, serait susceptible par effet de projection ou de réfraction, de s’inscrire sur les bords de notre satellite de manière à tromper la vision de l’observateur européen. » Il y a, également dans le domaine astronomique, une interprétation surprenante du gigantisme (p. 180-181), celui-ci pouvant être expliqué, d’après l’auteur, par une attraction particulièrement intense d’une Lune aux caractères non spécifiés. On ne nous dit pas, cependant, si ces géants diminuent de taille chaque fois que la Lune en question passe au-dessus des antipodes…
Si l’imagination trouve brillamment son compte dans ces pages, la simple vérité s’y trouve malheureusement moins bien servie. L’auteur n’hésite pas à donner un petit coup de pouce aux faits lorsqu’ils ne s’inscrivent pas dans le cadre de sa thèse, parlant par exemple (p. 74) de la planète Vénus, en évoquant « sa végétation et sa température par endroits supportable par l’homme, selon les données de la fusée américaine Mariner II » ou s’extasiant (p. 77) devant « la soudaine, merveilleuse et incompréhensible apparition de la civilisation égyptienne » et revenant un peu plus loin à la charge sur le même sujet (p. 84) : « D’un seul coup, l’Égypte, un désert, fait éclater la plus fantastique des civilisations ».
Évidemment, il est dommage que les données fournies par Mariner II ne nous laissent guère d’espoir sur l’habitabilité de Vénus ; de même, on déplorera les vues des historiens, qui présentent l’épanouissement de la civilisation égyptienne comme un phénomène graduel, parfaitement explicable par l’influence du milieu. Or, ni les unes ni les autres ne concordent avec ce qu’avance Robert Charroux. Selon lui, des Vénusiens, débarqués à Tiahuanaco, ont été les premiers apôtres de la civilisation véritable sur notre vieux monde.
Tiahuanaco est, avec Glozel, un des hauts lieux de cette Histoire secrète. On sait que ce nom est celui d’un site historique en Bolivie, et qu’il a été utilisé pour désigner une civilisation qui fleurit, approximativement, vers l’an 1000 après Jésus-Christ. L’accord n’est pas total entre les historiens sur sa chronologie, mais les divergences ne dépassent guère un siècle ou deux. Robert Charroux la repousse courageusement de plusieurs millénaires vers le passé et, après avoir ensemencé le site de révélations dans le début de son livre, il peut tranquillement, par la suite, l’invoquer comme preuve ou comme confirmation des révélations ultérieures.
Quant à Glozel, il s’agit du fameux village de l’Allier où, en 1924, d’étonnantes trouvailles archéologiques furent faites. Le monde savant de l’époque fut divisé en deux camps : il y avait, d’une part, ceux qui estimaient que l’histoire de l’écriture s’enrichissait de 5000 ans ou davantage par les signes dont étaient couverts certains des objets découverts ; et il y avait, d’autre part, ceux qui n’y voyaient qu’une grossière supercherie. Robert Charroux prend, naturellement, le parti des premiers, et il expose leurs arguments en détail. Mais en affirmant que « Glozel est authentique, (et qu’il est) reconnu comme tel par l’immense majorité des préhistoriens du monde entier. » il fait preuve d’une témérité certaine. Rares sont les ouvrages d’histoire où l’on trouve mention de ces découvertes. En revanche, il en est question dans le petit ouvrage intitulé Hoaxes, de Curtis Mac Dougall, ainsi que dans le Dictionnaire des trucs, de Jean-Louis Chardens. Dans ce dernier, on trouve un détail savoureux, que Robert Charroux ne mentionne pas. Un des « héros » de Glozel aurait déclaré à des journalistes : « Nous nous hâtons de vider les tombes, car le ruissellement des eaux risque de tout détruire… ». Cette étrange fragilité d’objets qui auraient séjourné durant des millénaires dans un sol humide est à peine moins étonnante que le contour nettement marqué des signes que portent certains d’entre eux – et que l’on peut admirer dans une photographie figurant dans l’Histoire inconnue des hommes.
Tout cela amène évidemment à s’interroger sur les sources de l’auteur. Des notes, en bas de page, indiquent certaines de celles-ci. Elles sont curieusement disparates. On y trouve mention de textes anciens, de journaux (France-Soir, Paris Presse, Aux Écoutes, Jeudi-Magazine), d’ouvrages divers. En fait, Robert Charroux a surtout fait œuvre de compilateur, sans toujours prendre la peine de trier ni de contrôler. Lorsqu’il écrit (p. 74) : « Saint Augustin rapporte, d’après Varron, que Castor le Rhodien a laissé, écrit, le récit d’un prodige étonnant qui se serait opéré dans Vénus, » il montre en somme la générosité avec laquelle il fait place au moindre écho un peu insolite, quelque douteuse que soit sa source, et sans s’attacher aux déformations qu’il a pu subir depuis qu’il est colporté. Et les informateurs directs ? Robert Charroux se réfère fréquemment à un petit nombre d’auteurs qui semblent jouir de sa confiance (Émile Drouet, Garcia Beltran, Jacques Weiss principalement), mais le lecteur est en droit de se demander quelles sont les qualifications de ceux-ci : elles n’apparaissent pas d’éclatante façon dans ces pages.
Une autre faiblesse du livre, qui rend pénible sa lecture, est le caractère désordonné de sa composition. L’auteur abandonne graduellement son Histoire secrète pour raconter simplement des faits plus ou moins étranges : des tableaux volés aux tranquillisants en passant par les lasers, les fortunes déposées en Suisse et les momies incas, il aborde ainsi un certain nombre de sujets dont les rapports avec l’objet principal de son exposé sont fort vagues.
Que l’on ne s’y trompe pas : les lecteurs de bonne foi ne refuseraient aucunement a priori de croire à l’existence d’Atlantes parmi nous, au rôle historique joué par telle société au nom oublié, voire à l’existence de physiciens nucléaires durant le vingtième millénaire avant Jésus-Christ, si on leur en apportait les preuves. Mais on ne saurait en aucun cas donner ce dernier titre aux affirmations désordonnées de Robert Charroux.
Le livre de celui-ci n’apportera rien de substantiel à ceux qui ont lu le Matin des magiciens. Ceux qui ont été séduits par ce dernier ouvrage trouveront que Robert Charroux enfonce maladroitement des portes ouvertes ; les autres penseront qu’il cherche simplement à profiter d’un filon : ce qui est d’ailleurs un droit que nul ne lui contestera.