Neil GAIMAN Titre original : The Graveyard Book, 2008 Première parution : New York, U.S.A. : HarperCollins Children's Books, 2008ISFDB Traduction de Valérie LE PLOUHINEC Illustration de Dave McKEAN
J'AI LU
(Paris, France), coll. Fantastique (2007 - ) n° 10002 Dépôt légal : mai 2012 Roman, 256 pages, catégorie / prix : 6,90 € ISBN : 978-2-290-05590-8 ❌ Genre : Fantastique
Nobody Owens était presque encore un bébé quand sa famille a péri sous la lame du plus célèbre des tueurs de Londres, le Jack. La nuit du drame, il est cependant parvenu à se réfugier dans un cimetière, où un couple de fantômes l'a recueilli et l'a élevé comme l'un des leurs, sous l'oeil bienveillant de Silas, son ami ni vivant ni mort. Mais cette période heureuse est aujourd'hui révolue, car le Jack rôde toujours, et l'heure est venue d'aller l'affronter une bonne fois pour toutes.
A l'extérieur.
Des oeuvres telles qu'American Gods, Neverwhere, Stardust et bien d'autres ont installé Neil Gaiman comme une référence incontournable de l'imaginaire. L'étrange vie de Nobody Owens, roman d'apprentissage aux accents gothiques, jette sur notre rapport à l'enfance un regard tout à la fois tendre et cruel.
Critiques
L’étrange vie de Nobody Owens, roman destiné à la jeunesse, s’ouvre sur le meurtre sanglant mais feutré d’une famille : le père, la mère, la fille sont égorgés par un mystérieux tueur, membre de la non moins mystérieuse confrérie des « Jack » (parmi lesquels, sans doute, Jack l’Éventreur et Spring-Heeled Jack). Seul le fils, un bambin âgé de dix-huit mois, parvient à s’échapper de la maison et à se réfugier dans le cimetière voisin reconverti en parc naturel. Un cimetière, même abandonné, est peuplé de fantômes et autres créatures surnaturelles. Celui-ci n’échappe pas à la règle, mais l’arrivée d’un bébé, bien vivant, un assassin sur ses talons, revêt un caractère inédit. Les fantômes prennent alors l’enfant sous leur protection, le baptisent Nobody et lui accordent le statut de citoyen libre du cimetière. Silas, créature ni vivante ni morte, seule apte à entrer et sortir de l’enceinte du cimetière, deviendra son tuteur.
L’étrange vie de Nobody Owens est avant tout le roman d’apprentissage d’un gamin sans identité, élevé en marge du monde moderne. Neil Gaiman se réapproprie Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling et le transpose dans son univers de fantasy urbaine teinté de poésie macabre et d’une pointe d’humour. La narration non linéaire s’articule autour des épisodes marquants de la vie de Nobody et les ellipses temporelles permettent de suivre son évolution sur une longue période – une quinzaine d’année, en fait, au cours desquelles Nobody doit trouver sa place dans le monde et se forger une identité tout en survivant à l’adversité (le Jack n’oublie pas sa mission). L’auteur convoque le bestiaire fantastique classique, laissant toutefois planer le doute sur la nature de chacun : fantômes, goules, vampires et loups-garous sont au rendez-vous, mais l’histoire de Nobody étant racontée au travers des yeux de ce dernier, assez naïf, il ne se rend compte ni des dangers, ni de l’étrangeté de ses compagnons. Si ce procédé narratif permet à Gaiman de mettre en lumière ses personnages et de susciter l’émotion, il a aussi pour inconvénient de laisser dans l’ombre une part importante de l’univers du roman : la confrérie des Jack et les motivations de cette dernière sont à peine esquissées, au risque de frustrer le lecteur un tant soit peu exigeant. Au chapitre des regrets, il faut aussi ajouter la discrétion des illustrations de Dave McKean.
Roman plébiscité aux USA et au Royaume-Uni – il a reçu le prix Hugo du meilleur roman, le prix Locus du meilleur roman pour jeunes adultes, la médaille Newbery et la médaille Carnegie, L’étrange vie de Nobody Owens bénéficie d’une traduction française élégante. Si l’adaptation en roman graphique est parue, l’adaptation cinématographique se fait encore attendre malgré l’achat des droits par les studios Disney.
À chaque nouveau roman de Neil Gaiman, on s'attend à être surpris, impressionné, bluffé par la maestria de l'auteur, aussi à l'aise en littérature que dans le domaine qui l'a révélé, les comics (le mythique Sandman). Aussi attendait-on avec impatience cette Étrange vie de Nobody Owens, d'autant plus que ce roman vient après Coraline, chef-d'œuvre de la littérature pour jeunes adapté au cinéma par Henry Selick.
Nobody Owens sait à peine marcher lorsque le Jack (l'allusion est transparente) s'introduit chez lui et tue toute sa famille pour une raison inconnue. Le garçon réussit à s'échapper et trouve refuge au cimetière. Ce dernier est hanté par les fantômes d'à peu près toutes les personnes enterrées dans ce lieu, qui le prennent en charge. Le gamin va ainsi être élevé par les spectres, à l'abri du Jack, mais aussi du reste du monde. Toutefois, il lui faudra bien en sortir un jour, ne serait-ce que pour tenter de résoudre l'épineux problème du tueur à sa recherche...
La première chose à signaler à propos de cet ouvrage est qu'il est assez richement illustré par l'éternel complice de l'auteur, Dave McKean. On ne peut à proprement parler de roman graphique, puisque le texte est quand même largement plus représenté que les dessins, mais ceux-ci illuminent de bien belle manière l'aspect gothique du livre.
L’un des points forts de Gaiman, dans la plupart de ses romans, est de dresser des portraits crédibles et très humains de ses protagonistes. C’est bien évidemment le cas ici : Nobody, bien sûr, mais aussi l’incroyable galerie de personnages du cimetière, sorcière et goules comprises, avec une mention spéciale à Silas, l’éducateur principal de Nobody. En quelques traits, Gaiman est capable de nous faire ressentir les émotions de ses personnages : le Jack, à peine esquissé mais incroyablement dense, est à ce titre révélateur. Cet aréopage de personnages fait tout l’intérêt du roman, qui hormis son postulat de départ (un enfant élevé par des fantômes) reste très classique dans sa description d’un garçon aidé par des êtres surnaturels. C’est peut-être là le seul léger défaut de cet ouvrage : on a l’impression que Gaiman a « cédé à la facilité » en plaçant d’emblée son roman dans une veine littéraire trop exploitée jusqu’à présent, sans réellement chercher à innover au sein de celle-ci. À ce titre, on est un cran en-dessous de la thématique de Coraline, nettement plus originale. Il n’en reste pas moins que le traitement qu’il en donne est d’une justesse éprouvée, et que de manière assez prévisible le résultat s'avère imparable. Ce livre se ainsi lit d’une traite – enfin, arrêtez-vous quand même pour admirer les illustrations de Dave McKean – et donnerait sans doute lieu à une bien belle adaptation cinématographique.