Adolescent américain de quinze ans, Jack Spark souffre à la fois d'une mère psycho-rigide et d'une santé fragile : curieusement allergique au sel, incapable de supporter le soleil et gravement insomniaque, sa peau blafarde et ses cernes lui font mériter le sobriquet de « Yeux-de-Blaireau ».
En outre, ses résultats scolaires déçoivent et il n'évite le redoublement qu'à condition de passer ses deux mois de vacances à Redrock, un camp de réadaptation pour adolescents perturbés...
Jack y fait la connaissance d'une galerie de personnages attachants, comme la jolie Sinead, kleptomane, le grand noir Ti-Jean, atteint de troubles obsessionnels compulsifs, l'élégant Joshua, suicidaire en raison d'une homosexualité désapprouvée par un père trop autoritaire, etc. Ensemble, ils vont subir la terrible discipline imposée à Redrock par le docteur Krampus, ogre des temps modernes...
Le roman commence donc par une salutaire dénonciation de ces camps éducatifs qui existent aux USA et qui prétendent mâter les adolescents rebelles. Leurs méthodes ont déjà été analysées par Johan Heliot dans son
Ados sous contrôle, mais le camp de Redrock se révèle le cadre d'événements beaucoup plus étranges et les éducateurs s'y montrent plus radicalement monstrueux — dans tous les sens du terme.
L'autre point de départ, c'est le classique mal-être du jeune héros, mal à l'aise avec les autres comme dans son corps en transformation. Son insomnie pourrait trahir une dépression, mais on s'interroge sur cette « allergie » au sel, impossible chez l'homme. Lorsque des cheveux bleus commencent à lui pousser, on comprend que Jack n'est pas tout à fait humain. Qu'est-il ? Non, ni un vampire – malgré la mode – ni un super-héros façon Spiderman ou X-men...
Et c'est ici que la tâche du chroniqueur se heurte à une difficulté majeure : comment rendre compte de la richesse de l'univers mis en place par Victor Dixen sans révéler quelques-unes des nombreuses surprises qui attendent le lecteur ?
Contentons-nous de signaler qu'au fil des révélations, l'auteur nous permettra de revisiter l'Histoire, les mythes et les contes à la lumière d'un éclairage science-fictif astucieux. Nous y découvrirons en vrac le lien de parenté entre la fée Morgane et le physicien Michael Faraday, l'utilité réelle du baquet de Franz-Anton Mesmer, le lien entre les sept longueurs d'onde du spectre électromagnétique et les pouvoirs surnaturels, ce que sont vraiment devenus Napoléon ou le marquis de Carabas, etc. Chut ! J'en ai déjà beaucoup trop dit ! Et attention à ne surtout pas feuilleter le glossaire avant de terminer la lecture, trop de « spoilers » s'y trouvent.
Le Cas Jack Spark réussit ainsi un habile mariage entre fantastique et fantasy d'une part (pour l'ambiance et les créatures) et SF d'autre part (pour l'habile rationalisation de l'univers inventé et une autre surprise dans la dernière partie).
Si l'aventure elle-même est passionnante, le propos sous-jacent se montre également agréable, puisqu'il s'agit avant tout d'un plaidoyer pour le droit à la différence. A travers la dénonciation des camps éducatifs destinés à formater. A travers une plaisante histoire d'amour tourmentée entre la belle (Sinead) et la bête (Jack) — construite en parallèle de l'indémodable Roméo et Juliette, pièce que doivent jouer les pensionnaires de Redrock. A travers enfin les amis de Jack qui permettent d'aborder brièvement les thèmes du racisme, de l'homosexualité... sans mièvrerie ni moralisme. « Accepter » est le maître-mot : on peut « accepter » la différence, même sans la « comprendre » vraiment.
L'ensemble des éléments sus-cités pourrait faire craindre une certaine lourdeur, de longs passages explicatifs, une pesanteur du propos : il n'en est rien ! Doté d'un rythme soutenu et d'un style enlevé – agrémenté d'onomatopées façon BD pas trop envahissantes — , ce récit très attrayant forme au contraire un passionnant thriller. Horreur, émotion et humour y font bon ménage et cette densité ne nuit aucunement à un parfait équilibre entre l'aventure, le merveilleux et la réflexion. Bref, on dévore l'ouvrage avec un appétit d'ogre, sans voir le temps passer.
Voici donc un livre riche et malin, aussi attrayant que simple à lire, bourré de bonnes idées et de personnages sympathiques. Il possède à mon sens toutes les qualités pour rallier à sa cause le plus large lectorat, pour obtenir à la fois un succès critique et surtout public franc et massif.
Doté d'un univers original qui permet d'imaginer de multiples variations, il mériterait assurément un succès supérieur au banal Twilight et ferait un film considérablement meilleur... Souhaitons-lui ce destin !