Ne vous fiez pas au nom de l'auteur, l'action de ce roman se déroule à Turin. Enfin, action est un bien grand mot : Giovanni Ceresa, professeur de lycée, assiste en spectateur passif à l'érosion de son immeuble et de la société italienne dans son ensemble. Un mal mystérieux se répand en effet un peu partout, causant une amnésie progressive des habitants. Certaines personnes disparaissent même sans que l'on se souvienne d'elles par la suite. Giovanni se rend compte de cette dégénérescence ; aussi, pour éviter l'oubli définitif, décide-t-il de noter dans un journal tous ses faits et gestes. C'est ce journal qui nous est proposé ici, litanie répétitive d'observations sur les disparitions, ou sur les groupes de violents Barbus qui sillonnent les rues turinoises, d'actes pour s'occuper de son père invalide et méchants, et de rapports de discussions avec Mme Costanza, la concierge, et Winnie, un voisin qui réussit à se procurer encore de nombreux produits alors que l'industrie italienne est en pleine déliquescence.
Comme le montre un entretien entre deux des personnages de ce roman, la réalité est sans doute autre que ce que perçoit Giovanni. Des indices vont nous être dévoilés peu à peu, avant que la dernière partie du roman nous dévoile, sous forme de commission d'examen, le réel propos de ce livre, qui se révèle alors critique acerbe de la société et de certaines de ses tares, économiques et médiatiques, ainsi qu'apologie de la liberté et de la résistance. Même si, au final, le pessimisme est de mise, les personnes influentes ayant, de toute façon, nettement plus voix au chapitre que le peuple. L'aspect prospectiviste de ce roman peut faire sourire : en effet, les décisions et actes ayant mené à la situation décrite de la société italienne sont fort peu vraisemblables, voire même ridicules, bref on n'y croit pas une seconde. Dès lors, il semble bien que le propos de l'auteur ne soit pas de nous montrer la manière avec laquelle les conditions peuvent évoluer dans le futur, mais plutôt de dresser le constat actuel que la tendance n'est pas franchement à la rigolade. Et, pour incarner cette fâcheuse inclinaison, le personnage de Giovanni Ceresa se révèle parfaitement adapté : malgré sa profession, malgré son éducation, il n'a aucune clé pour comprendre ce qu'il lui arrive. Il est paumé, à la limite du pathétique. Pourtant, sa lucidité le sauve : il se rend compte de son incapacité et de ses limites, comprend que des choses bizarres se produisent et tente de les appréhender. En vain, car il n'a pas les codes, et ne les aura jamais, comme le montre la conclusion cruelle. Giovanni personnifie ainsi parfaitement la dégénérescence de la société italienne, en perte de repères. La première partie du roman, qui s'attache à suivre le quotidien de Giovanni, s'avérant nettement plus convaincante que la deuxième (les raisons ayant conduit au monde dans lequel il évolue), on se demande bien pourquoi De Roma a tant voulu éclaircir son intrigue. Autant expliquer l'inexplicable : à partir du moment où l'on n'y croit pas, où l'on ne peut réellement y croire tant le trait est forcé, sans doute eût-il mieux valu qu'il ne se lance pas dans cette partie trop théorisante.
La fin des jours se révèle ainsi une tentative intéressante de description d'une société italienne en pleine déliquescence, une alerte vis-à-vis de certaines dérives économico-médiatiques, malheureusement gâchée par une volonté de ne pas trop déstabiliser le lecteur en lui donnant toutes les clés plutôt que de le laisser dans le même état d'ignorance que son protagoniste.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 20/8/2012 nooSFere