Au large de la terre, un homme sort lentement d'hibernation.
Peu à peu, ses souvenirs lui reviennent.
Il revoit les personnages étranges qui ont croisé sa route en cette fin de siècle : un chef de la police aux curieuses notions de charité, un homme-oiseau, une femme particulièrement « prenante », des politiciens aux combines « fracassantes », et les savants d’une Base aux expériences déroutantes...
Dans une réminiscence baroque, l’homme revit l'interrogatoire étouffant et les mutations d'une terre malade qui l’amenèrent jusque après l’apocalypse...
Ce n'est pas de la SF. Si j'en parle ici c'est à cause de Dick. Car rien de ce qu'il écrit n'est totalement étranger à la SF. Pourtant, quand on lit « voici, débarrassé de l'attirail daté et dépareillé de la SF, un écrivain qui s'exprime... »ça m'étonne. Enormément. Car ce roman (de 1959) est bien en arrière des romans de SF publiés par Dick depuis-ce qui ne signifie pas qu'il n'est pas intéressant. Mais que la SF pour Dick n'est en rien un empêchement à s'exprimer-je dirais, au contraire. On y reviendra. Ce roman se situe dans une ligne romanesque classique aux U.S.A. : proche de Elia Kazan (L'arrangement — L Poche) de Herzog (Folio) de Mailer (Rêve américain-L Poche). La vie américaine au niveau familial, qui sous le regard pseudo naïf du narrateur se révèle une cellule (asilaire) n'attendant pas que la venue des Garçons sauvages de Burroughs pour enfin renaître. Très misogyne, dans la tradition US. La Fay de Dick, c'est la Madeleine de Herzog : ses désirs, dirait Mafalda, ne relèvent pas de l'idéal mais du poncif. Avec le cannibalisme en plus. Sauf le frère, le barjot, les hommes autour d'elles sont paumés. Le frère, lui, se raccroche à la réalité à l'aide de sa culture propre fondée sur les O.V.N.I., la fin du monde, Weird Tales, Astounding, les enfants, les animaux du ciel et la mer. Il recense les faits anormaux, à la manière de Charles Fort, pour en faire une sorte de contre dictionnaire des idées refusées. C'est la base de son « filtre de réalité », ce avec quoi il interprète le monde. Sans cela il est perdu, il ne peut pas parler : d'où la nécessité de réécrire le banal adultère de sa sœur en empruntant les phrases à Weird Tales (un morceau d'anthologie !). Ce n'est donc pas de la SF. Mais celle-ci n'est pas absente, elle constitue le barjot comme individu (en ce sens il est l'homme d'une culture SF peut-être dévoyée...)
Je pense que la littérature US se porterait tout aussi bien sans ce roman. Mais que si l'on ôte de la culture SF Ubik et d'autres chefs-d'œuvre de Dick, il y aurait comme un manque. Parlons de l'attirail. Alors ici il n'y en a pas ? Si je comprends bien, parler d'une maison de l'adultère, des gosses, des bagnoles, de la télé-cet ensemble de gadgets qui situent un roman comme psychologique et/ou américain — ce n'est pas s'encombrer d'un attirail. L'attirail c'est la culture des autres. Il fallait y penser. Bon. Cela dit, cette réflexion stupide amène quand même à une réflexion. D'une part Dick met ici en gros les mêmes fantasmes que dans ses œuvres de SF. D'autre part, ici, ils sont englués dans une tradition culturelle qui les banalise : le roman reste intéressant, mais non pas original. Quand il met en scène ses hantises dans un roman de SF, ils forment un véritable feu d'artifice, ils nous entraînent dans des univers de vécu sauvage. Pourquoi ? Est-ce la vertu de l'attirail SF ? En ce cas j'en redemande !
Excité par ces remarques stupides d'un chroniqueur, j'ai pris le mors aux dents. Mea culpa. Ce roman est vraiment intéressant. En soi d'abord, car il situe Dick dans la littérature du mainstream, où il aurait sa place, comme Kazan. Mais surtout il nous permet de nous interroger sur la vertu de ce détour par l'imaginaire de la SF, détour qui est loin d'être une évasion, mais un moyen d'aller enfin de l'autre côté, du côté de la logique du désir.