Paul J. McAULEY Titre original : Cowboy Angels, 2007 Première parution : Angleterre, Londres : Gollancz / Orion, septembre 2007ISFDB Traduction de Bernard SIGAUD Illustration de Ed DARACK
LIVRE DE POCHE
(Paris, France), coll. SF (2ème série, 1987-) n° 32555 Dépôt légal : avril 2012 Roman, 648 pages, catégorie / prix : 8,60 € ISBN : 978-2-253-16460-9 ✅ Genre : Science-Fiction
1966. Sous la présidence de Richard Nixon, les États-Unis ouvrent des « portes de Turing » sur des univers parallèles : là l’Amérique est communiste ; ailleurs, elle a été envahie par diverses puissances.
Autant d’uchronies.
L’Amérique de ce Nixon, la Réelle, impose à ces versions sa conception musclée avec les Cowboy Angels, suivis par des expéditions militaires.
Jimmy Carter, élu, décrète la paix. Toutes les forces sont rapatriées sur la Réelle, et les Cowboy Angels mis à la retraite.
Adam Stone, un vétéran, est rappelé ; un autre vétéran, Tom est accusé d’avoir assassiné dans six univers différents six versions d'une mathématicienne spécialisée dans les portes de Turing.
Pourquoi ?
Dans ce thriller époustouflant, Paul McAuley mêle uchronies, univers parallèles, voyages dans le temps et action débridée. Un road movie d'une violence extrême, traversant plusieurs versions de l'Amérique.
Dans le dernier catalogue du Livre de Poche, Paul McAuley est désormais désigné comme « le nouveau Michael Crichton ». A partir de thèmes fortement SF, les derniers romans de McAuley s'orientent en effet de plus en plus vers des thrillers conventionnels que l'on sent destinés à séduire un plus large public et, pourquoi pas, Hollywood.
Cowboy angels est symptomatique de cette conversion progressive. Sur le thème des univers parallèles, McAuley imagine une Amérique du « Réel » (pas la nôtre, celle de l'univers où Alan Turing n'a pas croqué la pomme) lancée dans une folle croisade. Sous l'impulsion de sa version de Nixon, le « Réel » a pour ambition d'unifier l'ensemble des Amériques parallèles sous une même bannière – alors que certaines sont communistes, par exemple.
L'Amérique auto-proclamée Réelle envoie donc ses troupes à travers les portes de Turing pour porter la lumière de la démocratie et délivrer les opprimés – toute ressemblance avec des faits existants serait évidemment fortuite...
Cette idée toute simple permet au roman de débuter sous les meilleurs auspices, avec un prologue saisissant où se met en place le débarquement d'une Amérique à l'autre. Mais voilà que Jimmy Carter décide d'arrêter cette guerre incessante et de dissoudre la « Compagnie » censée préparer le terrain aux opérations militaires ? Ceux qu'on appelle les Cowboy angels sont mis sur la touche.
Alors qu'il coule ainsi une retraite paisible, le vétéran Adam Stone se voit contraint de reprendre du service, car son plus proche ami, Tom Wawerly a commis six meurtres, tous sur différentes versions de la même personne, une mathématicienne. Adam doit trouver Tom dans le multivers...
La mise en place est assurément alléchante, laissant présager une critique acérée de la politique américaine et une intrigue policière tordue à souhait. Hélas, McAuley se contente ensuite de dérouler les ficelles du thriller, avec certes du métier mais sans exploiter parfaitement ce cadre riche en possibilités. L'intrigue évolue vers une simple course-poursuite à travers l'espace-temps, avec une conclusion loin d'être ébouriffante d'originalité : les méchants veulent faire péter une bombe atomique et il faut les en empêcher !
Les péripéties contractuelles du thriller en viennent ainsi à étouffer la réflexion politique – qui n'évolue plus passé les premiers chapitres – ainsi que l'intrigue policière – la raison pour laquelle Wawerly a tué ne se montre guère convaincante. Même le jeu des voyages temporels devient vite assez confus et sans grand intérêt, avec une double sensation de déjà lu et de maîtrise imparfaite des paradoxes.
Grâce au talent d'écrivain de McAuley, Cowboy angels demeure un thriller tout à fait honorable, dont le début au moins mérite la lecture, mais qui laisse un sentiment de déception en regard de ses autres livres. Espérons que l'auteur n'évolue pas trop vers un « nouveau Crichton » mais qu'il garde sa personnalité propre, avec ses romans parfois difficiles mais souvent d'une grande richesse.
Il a suffit que l'Amérique « réelle » découvre en 1966, sous Nixon, le moyen de passer dans des univers parallèles grâce aux portes de Türing, pour que s'engage une lutte tentant d'imposer la démocratie partout où le communisme a triomphé. L'ampleur de la tâche nécessite l'emploi d'un service d'agents secrets aux pratiques pas toujours recommandables chargés de créer les conditions de la victoire, expédiant si nécessaire un contingent militaire pour appuyer sur place les défenseurs de la liberté. Les univers parallèles étant sans fin, cette guerre souterraine est également éternelle, c'est pourquoi Jimmy Carter, une fois président, y met fin, au grand dam de quelques gradés belliqueux et d'agents sur le terrain qui, comme Tom Wawerly, ne comprennent pas qu'on abandonne dans des univers parallèles des combattants incités à se soulever ni n'acceptent cette mise à la retraite anticipée. Ce n'est pas le cas d'Adam Stone, qui se retire sur un univers rural n'ayant pas connu la révolution technologique, jusqu'à ce qu'on lui demande de reprendre du service. En effet, Tom Wawerly, qui fuit à travers les mondes avec un art consommé de la discrétion, a entrepris d'assassiner toutes les versions d'une mathématicienne ayant travaillé sur les portes de Türing : Adam doit mettre fin à ce massacre et inciter son ami à se rendre. Mais il lui importe également de découvrir pourquoi cette femme est systématiquement assassinée et de comprendre les motivations secrètes de ceux qui l'ont missionné, car il devient vite évident que les dés sont pipés et que les véritables raisons de cette traque sont au cœur d'un projet d'une inimaginable ampleur auquel il est irrémédiablement mêlé.
Impossible, avec un tel scénario, de ne pas songer aux coups tordus imaginés par la CIA à travers le monde durant la période du cadre du roman, pas plus qu'on n'est surpris de constater que les USA, en découvrant ces territoires transversaux, tiennent à établir leur hégémonie partout où elle fait défaut. McAuley s'en donne à cœur joie en décrivant des Amériques parallèles aux destins politiques divers, agrémentant ces sociétés de détails qui peuvent concerner des auteurs de S-F à qui il rend hommage. Il développe également quelques aspects habituellement ignorés dans ce type de récit exploitant d'ordinaire les situations générées par de subtiles modifications affectant le quotidien d'un individu ou d'un groupe, ou empruntant les chemins plus globaux de l'uchronie. Ici, tout en jouant sur ces schémas narratifs avec un brio certain, les passages d'un monde à l'autre ressemblent fort à des voyages temporels ayant généré des paradoxes affectant l'époque d'origine, jusqu'à créer ces imbroglios inextricables mettant en scène plusieurs versions d'un même personnage traversant des sociétés ne différant de la réelle que par de menus détails, qui sont autant de pièges pour les visiteurs ne maîtrisant pas tous les codes. Hormis les sociétés rurales, les univers parallèles accessibles sont toujours relativement proches du réel, phénomène qui n'a jamais trouvé d'explication satisfaisante à ce jour. McAuley glisse des détails savoureux comme cette émission de télé-réalité qui permet de suivre le destin de célébrités dans des mondes où elles sont restées anonymes ou ont produit des succès inconnus ici, et aux joueurs de voir leurs « doppels » dans des trames divergentes les consolant parfois de leur vie présente. Autre originalité, la stabilité de quelques individus ou événements qu'on est assuré de retrouver dans les faisceaux les plus divergents, comme Elvis Presley, le Coca Cola ou McDo.
Plus convenue est l'intrigue proprement dite, récit d'espionnage mouvementé à l'action soutenue et souvent musclée, mais qu'on trouvera parfois répétitive. Elle réserve néanmoins nombre de surprises liées aux univers parallèles, imbriquant habilement les situations qu'ils génèrent avec les rebondissements de la trame romanesque. Un McAuley d'excellente cuvée !