PRESSES DE LA CITÉ
(Paris, France) Dépôt légal : janvier 2015 Première édition Roman, 300 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 978-2-258-10797-7 Format : 14,0 x 22,6 cm
« Le commencement, ce fut le jour où mon père m'emmena à l'endroit qui n'existe pas. »
Dans un monde qui tente de se relever de guerres qui ont épuisé les réserves d'eau potable, Noria apprend que ses parents profitent d'une source dont ils sont les seuls à connaître l'existence. Le gouvernement de la Nouvelle Qian contrôlant avec fermeté l'approvisionnement de ses sujets, un tel secret n'est pas sans danger pour sa famille... Noria doit se taire. Mais, lorsque les conditions de vie deviennent insupportables dans son village, la jeune fille commence à avoir des scrupules : ne devrait-elle pas se battre pour une société plus juste, quitte à se mettre en péril ?
Un premier roman envoûtant, qui nous présente un univers dans lequel la neige n'est plus qu'un lointain souvenir et qui, pourtant, nous donne d'incontrôlables frissons...
Née en Finlande, Emmi Itaranta vit aujourd'hui au Royaume-Uni. L'écriture est au cœur de son expérience professionnelle puisqu'elle a été – parfois simultanément – critique littéraire, chroniqueuse, dramaturge, scénariste et attachée de presse. Fille de l'eau, son premier roman, a rencontré un succès international.
Critiques
Dans un futur distant de quelques siècles, les ressources d’eau potable ont drastiquement diminuées et sont contrôlées par l’armée. Dans une Scandinavie sous influence asiatique, Noria, la fille du maître de thé du village, prend la place de son père alors que sa mère est partie enseigner dans une université lointaine. Sur leur terrain est dissimulée une source d’eau pure qui leur permet de faire le meilleur thé de la région, ce qui attire l’attention du nouveau chef militaire local.
Sous une couverture visant plus le public de twilight et autres romans pour adolescentes que les amateurs de science-fiction, avec un titre français peu attirant (le titre finnois semble être le livre du maitre du thé et le titre anglais est Mémoire de l’eau), se cache un roman de science-fiction original. Dans ce monde en pleine décomposition, bouleversé par la montée des océans, l’eau est la ressource la plus précieuse. Mais à la différence de Mad Max, un régime autoritaire (on ne voit guère que l’armée comme représentant de l’état au long du récit) maintient un semblant d’ordre, traquant et exécutant les trafiquants du précieux liquide.
Au milieu de cet environnement riche, la romancière ne nous livre que la vision de sa narratrice, jeune fille un peu naïve de la campagne, dont le monde tourne autour de ses parents et de sa meilleure amie. Et c’est certainement l’aspect le plus frustrant de Fille de l’eau : ce monde futur, à la conception soignée, au fonctionnement politique intriguant, n’est vu que par le petit bout de la lorgnette. Une fois cette frustration passée, on pourra néanmoins apprécier les points forts du récit : un personnage central réussi, subissant le passage à l’âge adulte avec la disparition de ses parents et la reprise de l’activité paternelle, aux prises avec un cas de conscience (que faire de cette source secrète alors que les habitants du village boivent une eau polluée ?).
Malgré un style un peu lourd ne collant pas vraiment avec l’éducation de la narratrice et la frustration de ne pas en découvrir plus sur son univers, Fille de l’eau est un livre prenant, renouvelant un sujet maintes fois traité. Premier roman d’Emmi Itäranta, écrit en parallèle en anglais et en finnois, sélectionné à de nombreux prix, dont le Philip K. Dick et le Arthur C. Clarke, il nous fait découvrir avant tout une auteure prometteuse.
Fille de l’eau est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Rendez-vous manqué avec la couverture, d’abord, complètement à côté de la plaque, et qui tente d’attirer le (jeune) chaland féminin avec une illustration digne des pires cauchemars bit’litogirly des éditions Milady. Avec le titre français, ensuite (auquel on préférera de beaucoup l’anglais, Memory of Water), partiellement hors sujet, lui aussi, et qui renvoie immanquablement à la bouse filmique de M. Night Shyamalan. Avec la traduction dudit roman, enfin. Car s’il m’est difficile de me référer au texte finnois (j’ai le finnois rouillé, voyez-vous), la surabondance de répétitions, d’imparfaits du subjonctif et de l’emploi du passé simple rebuteront le plus motivé des lecteurs de moins de, disons, 70 ans… un comble, au regard de la couverture !
Reste un premier roman qu’on imagine doté d’une belle langue sous les scories lourdingues. Une ambiance oppressante dans ce futur d’après les guerres de l’eau, dans ce nord de l’Europe privé d’hivers et sous influence chinoise totalitaire – l’environnement politique mondial, juste effleuré, n’en est que plus oppressant et suffit à mesurer l’ampleur de la catastrophe. Et un personnage principal, enfin, magnifique de justesse et de profondeur, dépositaire de la tradition zen séculaire antécatastrophe, pont entre deux univers condamné à la ruine. Un beau livre, sans doute, récit du désenchantement, mais pollué par son environnement éditorial français. Un rendez-vous manqué, vous dis-je. Qu’on ne peut que regretter.