Tous les enfants s'inventent des règles à respecter. Mais pour Sacha, transgresser les Règles pourrait avoir de terribles conséquences. Lorsque Dima monte dans le train, il est loin de se douter qu'il va retrouver sa famille — une famille qu'il n'a jamais vue. Oublier une soupe dans un réfrigérateur peut avoir des répercussions inattendues. Que s'est-il vraiment passé ce chaud dimanche d'août pour que Maxime, huit ans, change au point d'affirmer à son institutrice : « Je suis la reine » ? Il y a quelque chose d'étrange chez Yacha, ce matin, mais quoi ? Est-ce vraiment son cœur qui s'est arrêté de battre ?
Grâce à ces six nouvelles finement ciselées, Anna Starobinets se place d'emblée parmi les meilleurs auteurs de fantastique contemporains.
Anna Starobinets, née à Moscou en 1978. fait des études de lettres avant de devenir journaliste puis de débuter une carrière littéraire. Dès ses premiers textes, elle est comparée à Stephen King.
Les éditions Mirobole sont une maison d'édition bordelaise créée fin 2012 ; le catalogue se répartit en deux collections, l'une consacrée au polar (Horizons noirs), l'autre au fantastique (Horizons pourpres). C'est dans cette dernière qu'est publiée ce recueil de nouvelles d'Anna Starobinets, auteure russe. Fort de six textes de longueur variée (le récit éponyme atteignant la taille d'une novella), il nous présente l'univers très particulier de celle que l'on surnomme parfois « la reine russe de l'horreur ». Et l'on comprend mieux pourquoi à la lecture de ces textes...
Cela commence très fort avec « Les Règles », où un jeune garçon a construit sa vie autour des règles qu'une mystérieuse voix intérieure lui dicte. Ses parents tenteront de lui faire cesser cet enfantillage, sans se douter des conséquences désastreuses qui en découleront... Une plongée suffocante dans l'intellect d'un garçon, aussi glaçant qu'incompréhensible, avec une économie de moyens redoutable. « La Famille » use d'une trame assez souvent rencontrée, celle d'un homme qui voit ce qu'il croyait être sa vie s'effilocher peu à peu, pour lui dévoiler une existence toute autre. Kafakaïen au début, ce texte bascule tranquillement dans l'inquiétant, Classique, mais efficace. Viennent alors deux nouvelles où il faut avoir le cœur bien accroché : dans « J'attends », tout d'abord, le narrateur ne peut se résoudre à jeter une soupe cuisinée par sa mère. Il la laisse donc pourrir au frigo jusqu'à ce qu'elle devienne... autre. Goûtu. Puis vient donc le plat de résistance, à savoir « Je suis la Reine », l'histoire d'un enfant qui refuse progressivement de se laver, et dont la chambre se transforme en bauge, où l'on aperçoit ramper des insectes... Normal, car son corps est en train d'être colonisé par des insectes. Le sordide le dispute au glauque dans ce texte qui parle tout autant des rapports au sein de la cellule familiale, qu'il s'agisse de la relation entre une mère et son fils, ou entre une sœur et son frère. « L'agent » exerce quant à lui une bien curieuse profession : il est payé pour respecter à la lettre des scénarios, par exemple pour se débarrasser d'une personne ou punir un enfant. Raconté à la première personne de manière très détachée, avec la part de mystère qui convient (quelle est exactement la nature de l'Agence ?), ce récit glace une nouvelle fois le lecteur. « L'éternité selon Yacha » nous présente donc Yacha, qui se rend compte un jour... que son cœur ne bat plus et qu'il est donc mort. Son entourage, à commencer par sa femme, ne le croit pas, mais doit bien se rendre à l'évidence. Mais comment gérer le cas d'un homme mort, mais qui est toujours bien présent et alerte ? Ce dernier texte rompt un peu le rythme du recueil : si l'humour (noir, très noir) était bien évidemment présent auparavant dans le livre, cette dernière nouvelle abandonne l'aspect horrifique pour une coloration un peu plus nonsensique ou kafkaïenne. Il n'en demeure pas moins extrêmement plaisant, même si plus anecdotique.
Bref, en six textes, on comprend qu'Anna Starobinets ait pu acquérir son surnom ; Les deux textes « organiques » (« J'attends » et « Je suis la Reine ») vont assez loin dans la description de scènes cradingues révulsantes, alors qu'à l'autre bout du spectre la froideur des « Règles » et de « L'agent » fait frissonner durablement. Du quotidien, Starobinets sait faire surgir l'inquiétant, y compris de lieux qu'on ne jugerait pas angoissants de prime abord, comme un réfrigérateur. Elle excelle à planter un décor rassurant, avant de vite le corrompre par la noirceur de ses visions ; et, hormis ponctuellement, on ne trouvera aucune rémission, aucun moyen de sortir de l'atroce. Le piège s'est refermé.
Mirobole annonce pour le mois de janvier 2014 un recueil de contes d'horreur d'Anders Fager, Les furies de Borås. S'il est du même tonneau que Je suis la Reine, d'Anna Starobinets, on saura que Mirobole est une maison d'édition à suivre de très près.