Bernard Henninger a plusieurs cordes à son arc : il fut tout d'abord éditeur, avec le Souffle du Rêve, petite structure qui fit un peu d'auto-édition, mais édita également Sylvie Denis, Lorris Murail, Anne Lanièce et, point d'orgue, Ursula Le Guin avec le recueil Pêcheur de la mer intérieure. Il organisa également la convention de science-fiction de Semoy, en 2012. Mais sa principale activité reste l'écriture, comme l'atteste ce nouveau roman aux éditions Asgard, Impulsion.
Il suit les traces de Bénédicte, une vieille dame, appelée en pleine nuit pour s'occuper de Clyde, son enfant. Le livre, construit en de longs flash-backs, nous raconte alors l'histoire personnelle de Bénédicte : jeune étudiante ingénieure, elle participe à – et gagne – un concours organisé par un riche mécène. L'objectif : construire une sonde à destination de Pluton. Elle s'envole ainsi pour les États-Unis, où elle va concevoir le vaisseau. Elle y rencontrera également l'amour, sous la forme d'un mathématicien indien, Rudra, avec qui, en totale symbiose, elle mettra au point Clyde, cette sonde. Malheureusement, Rudra est très vite atteint d'un cancer et décède, la laissant orpheline.
Évacuons d'emblée toute ambiguïté : non, ce livre n'est pas un livre de SF. Ou alors, à doses homéopathiques. En effet, il y a bien ce projet de sonde pour Pluton, sous l'égide d'une fondation richissime, mais ce n'est pas cet aspect que Bernard Henninger a souhaité approfondir : les passages techniques sont assez vite évacués, et on note également une certaine naïveté quant à la maîtrise d'un cycle de développement d'un système telle qu'une sonde spatiale. Bref, l'exploitation scientifique qui est faite de Clyde est assez limitée. L'auteur, amateur de poésie, préfère se servir de ce postulat pour explorer l'envoûtement inhérent à la relation entre Bénédicte et Clyde par-delà l'éloignement. La vie de la jeune femme, puis de la femme mure, puis de la vielle femme, est rythmée par Clyde, les interventions nécessaires sur la sonde pour la tester, la mettre en sommeil ou la réveiller. Henninger explore cette relation avec sensibilité, jusqu'à une conclusion, certes peu vraisemblable, mais hautement symbolique.
Impulsion, c'est également un très beau portrait de femme. On sent que l'auteur s'est beaucoup investi dans la description du personnage de Bénédicte. Pétrie de contradictions, elle doute en permanence, alors que sa trajectoire devrait lui apporter des certitudes. Mais la remise en question permanente est, on le sait, le moteur d'une vie réussie, surtout si l'on parle d'une vie professionnelle d'ingénieure chevronnée. Tour à tour enjouée et d'humeur sombre, Bénédicte est omniprésente (peut-être un peu trop, car elle est sacrément bavarde), et la narration à la première personne du singulier participe beaucoup de la crédibilité de l'ensemble.
Au final, Impulsion se révèle un roman attachant, beaucoup moins préoccupé d'espace que la couverture ne semble le suggérer. Ou alors, si d'espace il est question, il s'agit de celui des rêveurs, pas de celui des techniciens. Une œuvre intimiste et personnelle.