L’anti-glace est une matière au potentiel hautement énergétique. Inerte à basse température, elle atteint son rendement optimal sous l’effet de la chaleur. Depuis sa découverte par une expédition anglaise dans les neiges du pôle Sud, elle a donné à la Couronne britannique le leadership mondial en cette seconde moitié du XIXe siècle. Un leadership qui ne fait qu’exacerber les tensions entre le Royaume-Uni, la France et la Prusse...
Jeune diplomate en mal d’aventures, Ned Vicars est à Ostende dans le but de contempler l’avènement d’une de ces merveilles scientifiques qu’autorise l’anti-glace. Mais il se retrouve bientôt bloqué, lui et une poignée d’autres infortunés, à bord du Phaéton, engin prodigieux qui quitte l’atmosphère terrestre en direction de la Lune. L’équipée fantastique commence. Une épopée steampunk débridée.
Un chef-d'oeuvre du genre, incontestablement.
Jean-Pierre Fontana, L'Écran fantastique,
Critiques
La conquête de la Lune aurait-elle pu se faire par accident ? La question appartient à l’uchronie et c’est en s’inspirant beaucoup de Jules Verne et un peu de H.G. Wells que Stephen Baxter y a répondu en 1993. Dans le genre steampunk, Anti-glace est une œuvre de jeunesse pour l’auteur — qui sera par la suite connu pour ses écrits de hard SF, dont le monumental cycle des « Xeelees».
Le roman débute par la lettre d’un fils à son père. Hedley Vicars, engagé dans l’armée britannique, fait le récit du siège de Sébastopol (1855) lors de la guerre de Crimée. Il y décrit sa rencontre avec Josiah Traveller, inventeur d’une nouvelle arme. Après des semaines de siège coûteux en vies humaines, un unique obus d’anti-glace est lancé sur Sébastopol. L’effet produit évoque, pour le lecteur de l’ère post-Hiroshima, une explosion nucléaire : lumière qui brûle les chairs, souffle dévastateur, ville en ruine. Et cette question : fallait-il utiliser l’anti-glace ?
Vers 1720, un astéroïde a traversé le système solaire, percuté la Lune et s’est brisé. Un gros fragment est resté en orbite autour de la terre, donnant naissance à une Petite Lune, alors qu’un fragment plus petit s’est perdu en Antarctique. Déniché par des explorateurs anglais, le bloc de matière rougeâtre révéla des propriétés étranges et explosives, et fut nommé anti-glace.
En 1870, l’empire britannique dispose de l’exclusivité de l’utilisation de l’anti-glace. La mainmise sur une telle source d’énergie lui assure une suprématie économique et industrielle dans le monde. Des trains à vapeur propulsés sur monorail franchissent la Manche le long de pylônes semi-immergés et tissent un réseau à travers le continent européen. Pour l’heure, la technologie anglaise domine. Si le souvenir de Sébastopol calme l’agressivité des pays européens à l’encontre de la couronne britannique, il l’exacerbe sur le continent. L’histoire est connue : suite à la dépêche d’Ems envoyée par Bismarck à Napoléon III, la France déclare la guerre à la Prusse. La retranscription du contexte politique et économique de l’époque est l’une des grandes qualités du récit.
Ce sont les beaux yeux d’une Française fatale qui précipitent le jeune diplomate Ned Vicars, frère de l’infortuné Hedley, vers les aventures extraordinaires dont il fait le compte-rendu dans la suite du livre. Car c’est pour la retrouver qu’il se rend en compagnie du journaliste Georges Holden, à l’inauguration de la dernière invention de Traveller, le Prince Albert, un paquebot terrestre mû à l’anti-glace. Peu gentlemen, des francs-tireurs décident de gâcher la fête, prennent le contrôle du paquebot et propulsent vers le ciel le Phaéton, l’appareil volant de Traveller, dans l’espoir de le détruire. À son bord se trouvent Vicars, Holden, Traveller et son valet Pocket, ainsi qu’un des francs-tireurs. Les voilà bientôt dans l’espace avec pour seule destination possible… la Lune !
De Verne, Anti-glaceemprunte à De la Terre à la Lune (1865), mais aussi à Vingt mille lieues souslesmers (1870). Dans l’esprit de l’hommage humoristique, le texte est écrit dans le style de l’époque victorienne et Baxter fait de ses personnages des caricatures vernien-nes. Entre le jeune benêt néanmoins héroï-que, le journaliste cynique, l’ingénieur fou et anarchiste, et le valet dévoué, la galerie des personnages participe à produire les clichés attendus dans un tel exercice. Comme celles qui l’inspirent, les aventures contées dans le livre sont tout à fait invraisemblables. Mais c’est en science que Baxter excelle, et il s’ingénie à corriger la physique derrière le merveilleux. Il se montre à la fois précis et délicieusement suranné, steampunk oblige. Le lecteur se prend au jeu de découvrir derrière le vocabulaire victorien des descriptions de la réaction d’annihilation, de la supraconductivité, etc. D’autant que Baxter en appelle aux scientifiques renommés de l’époque pour assoir sa démonstration.
Mélangeant gravité et humour dans un roman hommage aux pères du genre, Stephen Baxter propose avec Anti-glaceune uchronie steampunk qui parle de science et en mesure les détournements funestes, tout en visant la Lune.
Trois nouvelles inédites en français complètent l’univers d’Anti-glace, aucune ne s’intéressant directement à la Lune. « Phoebean Egg » se déroule des années après le roman et imagine un empire britannique dominant l’Europe grâce à la maîtrise de l’anti-glace alors qu’un œuf extraterrestre est trouvé sur Terre. « Ice War » propose une histoire alternative à celle du roman, dans laquelle la comète ne se serait pas fragmentée en 1720 mais aurait percuté la Terre. Dans l’esprit du pastiche, la nouvelle fait intervenir des personnages tels que Daniel Defoe, Jonathan Swift et Isaac Newton dans une histoire qui s’inspire de LaGuerredesmondes de H.G. Wells. « Ice Line » suit cette ligne alternative en 1805 et le Nautilus de Robert Fulton est utilisé contre les extraterrestres.
FEYDRAUTHA Première parution : 1/7/2019 dans Bifrost 95 Mise en ligne le : 3/11/2023
L'anti-glace a été découverte. Et la face du monde en a été changée. L'anti-glace, c'est une matière incroyablement énergétique, découverte sous la banquise, et qui a donné un coup de fouet à l'essor de la technologie. Grâce à Josiah Traveller, qui a eu la chance de tomber sur cette manne d'origine inconnue (extra-terrestre ?), la gloire du Royaume-Uni resplendit, même si on ne peut passer sous silence la terrible utilisation de l'anti-glace lors du siège de Sébastopol, qui s'est traduite par un nombre de morts invraisemblable. Mais, globalement, l'apport de cette nouvelle matière reste bénéfique, notamment pour l'industrie anglaise. Ned Vicars est un jeune diplomate anglais, qui tente de comprendre les arcanes de la politique internationale, entre les Français, antagonistes historiques, et les Prussiens emmenés par un Bismarck aux vues hégémoniques. La rencontre de ces deux personnages va déboucher sur l'une des plus fabuleuses aventures humaines...
Le Baxter prospectiviste laisse la place le temps d'un roman au Baxter suiveur de l’œuvre de glorieux aînés. Qui ont pour nom ici Jules Verne et Herbert George Wells. En effet, l'anti-glace est un parfait décalcomanie de la cavorite vernienne, les personnages embarqués dans l'aventure (on rajoutera Holden, un journaliste patriote, et l'inévitable domestique, société anglaise oblige) rappellent évidemment Barbicane ou Michel Ardan. Et, bien sûr, les péripéties en elles-mêmes sont directement recopiées de celles de De la Terre à la Lune : en effet, suite à un acte de terrorisme, les personnages sont propulsés dans un aéronef, certes un peu plus évolué que l'obus de Verne, mais qui fait pareillement office de vaisseau spatial particulièrement bien agencé. Et nos protagonistes de prendre le thé tout en faisant route pour la Lune... Dès lors, Baxter peut se régaler – et nous avec – en imaginant le navire parfait en termes de fonctionnalités offertes par l'anti-glace et d'aménagements astucieux. Et en termes de rebondissements, qui font malicieusement écho à la conquête spatiale telle qu'elle a réellement eu lieu : on assistera ainsi à la première sortie extra-véhiculaire, à un alunissage et autres accomplissements historiques. Et l'hommage vernien de laisser la place peu à peu à l'hommage wellsien...
Emmené par un Baxter particulièrement inspiré, ce roman extrêmement jouissif fait la part belle à l'aventure au parfum rétro, et se nourrit aux sources du genre (Verne, Wells) qu'il prolonge dans les implications politiques et éthiques de la découverte d'une telle matière quasi-divine. Un roman sans conteste moins fort qu'un Évolution, mais néanmoins d'une lecture recommandée pour qui souhaite retrouver le plaisir de ces fantaisies scientifiques d'antan.
Entre deux romans du « Cycle des Xeelees », Stephen Baxter a écrit sa première uchronie, Anti-Ice — mais pas la dernière (les deux séries inédites en français « Time's Tapestry » et « Northland »). L'Histoire, qu'elle soit passée ou à venir, est un domaine qui intéresse particulièrement notre auteur.
Anti-Ice débute en 1870 à Manchester, actuelle capitale du Royaume-Uni. L'Exposition universelle bat son plein ; sur le continent, la tension monte entre la France et la Prusse de Bismarck à cause de la fameuse dépêche d'Ems. La position britannique est déterminante depuis la découverte, une dizaine d'années plus tôt, d'un gisement d'antiglace en Antarctique. Avec cette matière, le Royaume-Uni est devenu la plus grande puissance mondiale. Qu'est-ce que l'antiglace ? Un composé qui tient de l'uranium et de l'antimatière, hautement instable et qui, réchauffée, dégage une énergie monstrueuse. Domestiquée, on emploie l'antiglace dans des applications civiles ou militaires.
Les beaux yeux d'une belle Française vont emmener le jeune Ned Vicars, diplomate vaguement benêt, dans les Flandres, sur les chantiers de construction du Prince-Albert, navire terrestre mu à l'antiglace. Mais un attentat contre ce Léviathan des terres va propulser Ned, littéralement, dans l'espace. Le voilà à bord d'une chaloupe de sauvetage en forme de fusée, en compagnie d'un ami journaliste, de Sir Josiah Traveller, découvreur de l'antiglace et inventeur génial par ailleurs (la fusée est de sa conception)... et d'un terroriste, naturellement de nationalité française. Très vite, il s'avère que l'engin spatial ne se dirige nulle part ailleurs que vers la Lune, où la petite compagnie va effectuer une excursion. Et Ned d'être le premier homme à poser le pied sur notre satellite, où l'attendent quelques surprises. Il sera temps de rentrer sur Terre, où l'Europe est à la veille de la guerre...
Troisième roman de l'auteur, à une époque où il n'écrivait pas des pavés de cinq cents pages, Anti-Ice est un divertissement mené à un train d'enfer, qui tient tout à la fois de Jules Verne (De la Terre à la Lune/Autour de la Lune) et des aventures de Tintin (Objectif Lune/On a marché sur la Lune) sans omettre, dans une moindre mesure, Les Premiers hommes dans la Lune de H. G. Wells. Quoique Anti-Ice soit une aventure d'inspiration nettement plus vernienne que wellsienne, mêlant non sans bonheur steampunk avec un zeste de hard science. On y retrouve également les thématiques de Stephen Baxter : le fort esprit d'initiative de ses protagonistes, la persistance de la vie, où qu'elle soit, ainsi que quelques interrogations sur l'Histoire et ceux qui la font. Un brin cocardier (Rule, Britannia !) ? Peut-être, mais on le pardonnera à Baxter pour le plaisir de lecture qu'il nous procure.
Pour ceux qui seraient tentés par cette parenthèse steampunk tout à fait bienvenue dans l'œuvre de Stephen Baxter, il se murmure qu'une traduction d'Anti-Ice serait prévue prochainement aux éditions du Bélial'...
Erwann PERCHOC Première parution : 1/4/2013 Bifrost 70 Mise en ligne le : 1/3/2018