ACTES SUD
(Arles, France), coll. Exofictions Dépôt légal : avril 2017, Achevé d'imprimer : mars 2017 Première édition Roman, 176 pages, catégorie / prix : 15,80 € ISBN : 978-2-330-07683-2 Format : 10,0 x 19,0 cm Genre : Fantastique
Le Déméter entre dans le port de Whitby en pleine tempête. À bord du navire sans équipage, le capitaine gît, sans vie, attaché au gouvernail tandis que, dans la cale, dorment de mystérieuses caisses pleines de terre. C’est ainsi que Dracula, dans le roman de Bram Stoker, arrive à Londres.
À partir des quelques lignes retrouvées dans la poche du capitaine, José Luis Zárate reconstruit la tragédie de la traversée.
La brûlure du soleil, la morsure du sel, la promiscuité exacerbent les sensations. Le capitaine, rongé de désir, rêve de goûter à la peau et au corps de ses hommes. Le vampire boit leur sang, mais le désir est une soif que rien n’étanche. Du pont à la cale, des appétits refoulés à la jouissance sans entraves, José Luis Zarate revisite brillamment la figure du vampire, cette insatiable machine désirante.
Né en 1966, José Luis Zárate est considéré comme un pionnier des littératures fantastiques au Mexique. Ses romans et nouvelles lui ont valu de nombreux prix.
Critiques
Que s’est-il passé à bord du Demeter, durant la traversée qui le ramena des côtes de Bulgarie à celles d’Angleterre, chargé de mystérieuses caisses de terre qui contenaient le comte Dracula ? Qu’est-il advenu de l’équipage ? Quelles angoisses ont pu ronger les hommes à bord ? Et surtout, quel était ce capitaine que les habitants de Whitby retrouvèrent mort, attaché à son gouvernail, lié par un chapelet et une volonté sans appel d’en découdre avec la mort ?
Pour répondre à toutes ces questions, José Luis Zárate décide de donner un peu plus de voix à cet homme dont on peut lire des extraits du journal de bord dans le Dracula de Bram Stoker. Il dit donc Je, et le quotidien du navire depuis le chargement de la cargaison par des hommes farouches : les bakchichs pour passer les détroits des Dardanelles et du Bosphore ; le lent voyage depuis les frimas du Pont-Euxin, à travers les bonaces enfiévrées de la Méditerranée, jusqu’aux brouillards pénétrants de la Mer du Nord ; le passage du temps et l’inexorable altération de chacun, rongé par ce qui lève en la solitude et la promiscuité, paradoxalement indissociables à bord d’un navire. Le roman dit avec subtilité cette altération, et en premier lieu celle que subit la matière du navire, travaillée par les éléments et en premier lieu le sel, présent partout, ce feu qui se délivre des eaux mais aussi de l’homme pour brûler de sa blancheur corrosive. Le sel devient le symbole de ce qui consume le capitaine qui, seul, demeure à bord, toujours seul, jusqu’au bout. Car il se tient droit, conscient de ce qu’il doit incarner, mais rempli de doutes face à son équipage, qu’il désire en secret d’un feu irrésistible, ce même feu qui a semé la mort pour ses anciennes amours qui le hantent… Troublante intimité qui se dessine avec l’Ombre de la cale et annonce l’ultime combat entre l’homme et le monstre.
José Luis Zárate se livre à l’exercice bien connu qui consiste à se glisser dans les interstices d’un récit fameux pour en exploiter les silences, exercice que peu d’écrivains savent faire avec autant de force et d’originalité que lui, affirmons-le d’emblée, tant il a su percevoir avec bonheur les riches latences d’un récit foncièrement polyphonique – celui de Stoker, donc –, sans jamais rester l’esclave de son modèle écrasant. Ainsi, en trois parties qui mêlent des registres d’écriture assez distincts, il nous présente d’abord l’homme, ses passions et sa lente possession par le comte qui lui apparaît sous forme de rat au fil des rêves. La deuxième est une reprise du livre de bord donné par Stoker mais redéployé, adapté avec souplesse au nouveau héros du texte. La troisième narre la délivrance des victimes et du capitaine lui-même. Le tout servi par un style poétique et précis qui nous berce d’hallucinations comme le fait la houle des mille reflets du soleil.
Vous l’aurez compris, La Glace et le sel est bien plus qu’une aubaine de narration qui se glisse dans le creux d’un chef-d’œuvre : c’est un splendide livre de mer sur notre humaine condition, sur la difficile acceptation de la faim et du désir, sur la vie de la chair, innocente et réconciliée avec soi.
À ranger non loin d’un Conrad. Et propre à nous faire attendre avec impatience la traduction d’autres œuvres de cet auteur mexicain fameux dans son pays.