SOLARIS
, coll. Solaris (revue) n° 203 Dépôt légal : juin 2017 Première édition Revue, 160 pages, catégorie / prix : 12,95 $ ISBN : néant Format : 13,5 x 21,0 cm Genre : Imaginaire
Par le plus pur des hasards, j'ai lu ce numéro de Solaris à peu près au moment où je finissais ma lecture du Best Science Fiction of theYear volume 2 compilé par Neil Clarke et du Year's Best SF Thirty-Four de Gardner Dozois. Sans surprise, on retrouve plusieurs doublons au sommaire de ces deux anthologies américaines : « Touring With the Alien » de Carolyn Ives Gilman, « Things With Beards » de Sam J. Miller,« The Visitor From Taured » de Ian R. MacLeod, « Prodigual » de Gord Sellar, « Terminal » de Lavie Tidhar, etc. Un de mes textes préférés de l'année : l'altermondialiste « Cold comfort », de Pat Murphy et Paul Doherty, ne se trouve que dans le Dozois.
Ce qui frappe quand on compare les textes de SF publiés dans Solaris et ceux retenus par Gardner Dozois (ou Neil Clarke), ce n'est pas la richesse des idées exposées dans un year's best qui s’opposerait à la pauvreté des idées contenues dans une revue trimestrielle québecoise, autrement plus difficile à « monter »… non, ce qui frappe avant tout, ce sont les qualités narratives des auteurs anglo-saxons. Leur « compétence technique », si on tient absolument à utiliser des gros mots.
Andréa Renaud-Simard, née en 1985, récompensée par le prix Solaris 2017 pour son texte « Les Tisseurs », est fort probablement une très sympathique jeune femme, mais à aucun moment elle ne donne l'impression de savoir ce qu'elle veut raconter dans son texte à la Ursula K. Le Guin qui, au final, se présente avant tout comme un bordel innommable dénué de dramaturgie. Dans le même numéro, Michèle Laframboise – qui a nettement plus de métier que Renaud-Simard – bousille sa science-fiction politique par excès d’exposition, allant jusqu'à apostropher le lecteur, et donc le prendre pour un imbécile. Dommage, les idées sont bonnes.
[Digression]
Signant avec « Touring With the Alien » un texte (finaliste du Hugo) qui, à deux ou trois détails près, aurait pu être écrit il y a quarante ans, Carolyn Ives Gilman, elle, maîtrise son art narratif « À mort ». Elle introduit son contexte via une minuscule scène d'exposition :
« The alien spaceships were beautiful, no one could deny that : towering domes of overlapping, chitinous plates in pearly dawn colors, like reflections on a tranquil sea. » Qui a dit sense of wonder ?
Puis sa narratrice prend le relais, jusqu'à la fin du récit, bouleversante. J'ai pris le Gilman comme exemple pour ma digression, mais le Sam J. Miller, qui raconte la suite du film The Thing de John Carpenter (si si !) est techniquement encore plus bluffant. Et dans une veine plus littéraire, Ian R. MacLeod renvoie tout ce petit monde à l'école (d'écriture).
[Digression]
Dans ce même numéro de Solaris, on trouvera une nouvelle de fantasy horrifique signée Sébastien Chartrand, franchement convaincante, qui nous fait espérer que l'auteur reviendra à cette Renaissance italienne aussi effroyable que perverse. Et une nouvelle fantastique et légère de Geneviève Blouin, assez fun, où on fait posséder les malades par des démons avant les interventions médicales les plus périlleuses.
L'exercice du « Coin des revues » se répète chaque trimestre, presque toujours avec un Solaris au sommaire, et tel Bill Murray qui espère ne pas se réveiller au son de « I got you babe » de Sonny & Cher (1965), j'espère un jour pouvoir écrire que l'article rituel de Mario Tessier est raté. Ce ne sera pas encore pour ce numéro… son exploration SF de la « règle à calcul » est passionnante.
Un bon Solaris où la SF fait pâle figure et qui rappelle, bien malgré lui (d'où mon irrésistible digression), qu'on ne peut pas écrire de la SF aujourd'hui en faisant l'impasse sur la lecture de ce qui s'y publie de meilleur (espérons que les textes de Gilman, Miller, Murphy/Doherty, MacLeod – cités dans cet article – seront un jour publiés en français).
Thomas DAY Première parution : 1/10/2017 dans Bifrost 88 Mise en ligne le : 12/3/2023