L’ENCHANTEUR révèle un des aspects les plus singuliers et les plus attachants de l’œuvre de Marcel Brion. Ce roman, écrit pendant la guerre, et qui, en raison des événements, parut en Suisse, fut vite épuisé à cause de son succès, mais resta peu connu des lecteurs français. Ceux-ci auront, aujourd’hui, la surprise de découvrir dans un livre composé en 1943, une technique audacieuse qui est presque celle d’un précurseur, en même temps qu’une profondeur de symbole étrangement captivante.
Le couple immortel des enchanteurs, Merlin et Viviane, revient à la vie et à l’amour, à une époque indéterminée qui est peut-être la nôtre et dans une Prague à la fois réelle et rêvée. Merlin est illusionniste, Viviane diseuse de bonne aventure. Ils aspirent à actualiser une fois de plus leur passion éternelle dans une recherche de l’impérissable et de l’absolu, entraînés par la fatalité de l’Éternel Retour. Leur destin est lié à celui des artistes du cirque Aislinn, acrobates, jongleurs, ventriloques, clowns, lanceurs de couteaux, mais le cirque n’est-il pas le lieu magique par excellence où se déploient les enchantements de cette autre réalité qui fleurit dans le surnaturel – un lieu hors de l’espace et hors de la durée où se rejoignent les êtres qui ont été de tout temps l’un à l’autre prédestinés ?
Une belle histoire enveloppée de cette atmosphère fantastique que nous ont rendue familière La Ville de Sable, la Chanson de l’Oiseau étranger, Château d’ombres, La Folle Céladon, la Rose de Cire, où le talent de conteur de Marcel Brion rejoint les poètes et les prosateurs de cette Allemagne Romantique qu’il nous a appris à comprendre et à aimer.
Critiques
Voici réédité cet Enchanteur sorti en 1947 chez Egloff et où reparaissent deux personnages disparus dans le roman depuis Tant pis pour toi de Gérard d'Houville : Merlin et Viviane.
D'emblée, nous sommes entraînés sur « les terres magiques de la haute illusion », quand, dans une chambre d'hôtel, nous surprenons le dialogue de Merlin et Viviane. Merlin, frappé par la tentation d'être un homme, reparaît en Tintagel, magicien de cirque.
Le roman, lent comme un ruisseau qui s'égare, est fait de rien : des rencontres de Merlin, désirant n'être qu'un homme, renonçant finalement à tous ses pouvoirs pour se coucher dans la mort. Mais à tout instant la narration, allusive et lente, s'arrête, paresse devant un tableau pittoresque, ou l'évocation d'un personnage secondaire. Nous touchons ici du doigt combien le fantastique est avant tout affaire de style et d'images. Marcel Brion les a « charmantes » au sens premier de magiques, étranges inspirées du foisonnement baroque, et grâce à elles, il métamorphose si bien le paysage le plus ingrat que nous acceptons que tout soit possible dans le faste baroque des palais à rocaille chers à l'auteur. La ville n'est pas nommée, mais c'est la vieille cité magique de Prague. Que s'ajoute encore la magie du spectacle : les clowns tristes, les ventriloques, les lanceurs de couteaux et les hypnotiseurs, et nous glissons dans un univers non pas fantastique mais magique.
Le fantastique suppose l'intrusion d'une autre réalité dans la nôtre, une confrontation, une opposition. Ici c'est le réel même, dans son ensemble et sous tous ses modes, qui rend tout possible. Rien n'étonne dans cet univers, pas même qu'une petite fille morte ait donné une âme à une poupée de ventriloque, qu'une idole de bois nourrie de sacrifices humains s'empare d'un homme, ou que le dialogue s'engage entre les êtres les plus divers.
Le roman faiblit dans les deux dernières parties, l'intérêt s'y disperse dans trop de voies, et puis ces demi-dieux qui envient la mort des hommes et la brièveté qu'elle apporte à leurs amours, nous n'y croyons pas. Alors que nous touche la féerie des mensonges qui l'emporte parfois en puissance sur la magie des enchanteurs. Mais ce sont là défauts mineurs.