SCRINEO
, coll. Space Opera Dépôt légal : octobre 2018 Première édition Roman, 352 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 978-2-36740-585-8 Format : 14,0 x 21,0 cm❌ Genre : Science-Fiction
Un space opera d’aventure, avec de beaux et forts personnages féminins, et la plume élégante d’Estelle Faye !
45e siècle. L’Humanité s’est étendue à toute la Voie Lactée. La nouvelle frontière, ce sont les Nuages de Magellan, mais les expéditions pour y aller se font rares. Vingt siècles plus tôt, l’humanité a maîtrisé l’énergie sombre, une ressource quasi illimitée, mettant ainsi fin aux guerres pour les énergies fossiles. Ont suivi plus de mille ans de liberté, d’exploration, d’avancées… Puis, insidieusement, de nouveaux jeux de pouvoir et d’influence se sont mis en place, conduisant à la multiplication des hors-la-loi et des pirates. Un mythe court dans la galaxie, selon lequel des pirates auraient créé sur une planète une république idéale, hors du pouvoir des Compagnies. Dans l’un des derniers postes frontières avant les Nuages, Dan, une jeune serveuse idéaliste, chante de la country dans un bar pseudo texan tout en rêvant de grandes métropoles stellaires. Elle est fascinée par Mary, une cliente taciturne dont on dit qu’elle aurait fait partie de l’expédition d’annexion de la planète légendaire.
Critiques
C’est un futur à la fois très proche et très lointain que donne à lire Les Nuages de Magellan, dernier roman en date d’Estelle Faye, prolifique auteure de l’Imaginaire français(on renverra le lecteur curieux aux critiques de ses ouvrages dans nos n° 55, 70, 76 et 87). En effet, rien de plus éloigné de notre contemporaine condition que cet univers dans lequel l’épuisement fatal de la Terre a contraint l’humanité à se déployer à travers l’espace. Grâce à leur maîtrise des voyages intersidéraux et de l’art de la terraformation (entre autres innovations science-fictionnelles dépeintes ici), femmes et hommes du XXIVe siècle ont ainsi colonisé la myriade d’astres formant la Voie Lactée. L’ordre qui a découlé de cette gigantesque entreprise n’a, cependant, rien que de très familier pour les lecteurs et lectrices de 2019. Les Compagnies — un consortium d’entreprises tout puissant — ont soumis l’univers ainsi redessiné à la loi d’airain du capitalisme le plus débridé, confortée par un autoritarisme pas moins brutal. Les inégalités socio-économiques et politiques les plus extrêmes se sont ainsi propagées jusqu’aux Nuages de Magellan, nouvelle frontière de l’écoumène. Dan, l’une des protagonistes du roman, est l’une de ces damnées des étoiles. Habitante d’un planétoïde misérable, la jeune femme y survit plus qu’elle n’y vit en exerçant le métier de serveuse au Frontier, un bouge d’outre-espace. Seule l’incertaine perspective d’une carrière de chanteuse — Dan pratique un équivalent futuriste du blues — lui permet de conjurer le désespoir suscité par son écrasante condition. Du moins jusqu’à ce que sa route croise celle de Mary. Pilier du Frontier, la femme parle peu mais boit beaucoup, cherchant ainsi à noyer un passé en tous points hors-normes — mêlant piraterie interstellaire et amour lesbien avec une cyborg. Bientôt rattrapée par ce passé durant lequel elle défia les Compagnies, Mary doit fuir le planétoïde. Non sans embarquer Dan dans son vaisseau, elle aussi en délicatesse avec les Compagnies. Et le duo d’ainsi s’engager dans une odyssée spatiale aventureuse et révolutionnaire…
C’est un space opera très politique qu’Estelle Faye s’efforce de composer avec Les Nuages de Magellan. Portant un regard critique sur la domination économique, le roman s’affirme encore féministe et libertaire. Pour ce faire, il s’empare de motifs SF le plus souvent associés à des personnages masculins et straight pour les appliquer à ses protagonistes féminines et queer. On pourra ainsi trouver à Mary des allures d’Albator féminin et lesbien. Quant à Dan, jeune femme en route vers l’héroïsme intersidéral, elle n’est pas sans évoquer le juvénile Skywalker de l’épisode IV de Star Wars. Autant de références affleurant dans Les Nuages de Magellan : un livre qui semble être irrigué par un imaginaire plus bédéistique et cinématographique que romanesque. Pareille entreprise d’empowerment narratif et de métissage générique dessinait un séduisant projet. Mais celui-ci échoue finalement à convaincre. La faute en incombe à une écriture rien moins que singulière. Le style des Nuages de Magellan s’avère le plus souvent bien plat, cédant parfois à la tentation du cliché. Une manière de comble esthétique pour un roman voulant exalter la différence avec un grand D ! Difficile dès lors de se sentir emporté par cette histoire de femmes fortes ou en passe de le devenir, sur fond de révolution stellaire…
Damian Sabre, un leader parmi les pilotes rebellés sur la planète Ankou, lance un plaidoyer vibrant afin que les Hommes puissent retrouver la liberté de mouvement et l'esprit d'aventure et de découverte des pionniers qui s'élancèrent jadis à l'assaut de la galaxie. Face à eux, les Compagnies qui gèrent toute circulation dans l'espace ont tôt fait de mater la fronde et de la manière la plus définitive qui soit.
Non, ce n'est pas là le résumé du livre mais celui de l'événement dramatique relayé par tous les canaux de communication de l'univers et qui va provoquer la fuite de Dan, jeune serveuse attirée depuis longtemps par les étoiles, soudain recherchée par les Compagnies pour dissidence. Son départ précipité la jette dans les pattes de Mary, une mystérieuse habituée du rade dans lequel travaillait la serveuse et qui semble avoir de sérieuses raisons pour quitter elle aussi la planète rapidement. On dit que Mary a été en rapport avec les pirates à la grande époque. On dit que les pirates ont fondé une société hors de portée des Compagnies sur une planète connue d'eux seuls. On dit...
En moins de deux chapitres, le ton et le cadre de l'histoire qui va suivre sont donnés. L'aventure se déroule à la croisée du récit d'initiation et du Space Opera. La narration suit alternativement les voix de Dan et de Mary, et si on peut être agacé par le ton un peu répétitif et geignard de la première qui s'émancipe et s'affirme lentement, les personnages dans leur ensemble sont suffisamment caractérisés pour suivre avec plaisir les pensées de l'une, les souvenirs passablement trafiqués ou les images obsessionnelles de l'autre.
La réussite d'un récit d'initiation réside dans le talent que déploie l'auteur pour enchaîner les situations permettant à ses protagonistes de progresser et de se développer. Or, et même si en fait de Space Opera Dan et Mary vont surtout stationner longtemps sur une planète en particulier, point de fatigue ni de longueurs ici. Ceci grâce à une longueur correcte du récit, qui permet le déroulement efficace de tous les fils narratifs sans atermoiements inutiles, et une variété intéressantes dans les paysages et les communautés rencontrées. Cette large partie du récit est aussi l'occasion pour les héroïnes de rencontrer d'autres personnages particulièrement atypiques. La part belle est faite aux caractères féminins, à tel point que sur l'espace de quelques chapitres, on peut avoir l'impression que le masculin est seulement réservé à des seconds rôles permettant au récit d'avancer.
L'aventure a beau avoir pour toile de fond l'épopée épique des pionniers et des pirates qui leur ont succédé avant de disparaître à leur tour, elle s'ancre dans un certain réalisme loin des odyssées fantastiques imaginées au mi-temps du siècle dernier. En effet, si l'imagerie des pirates dans la galaxie est maintenant presque un poncif du genre, elle y tient naturellement sa place tant il existe une parenté entre la navigation maritime et l'exploration des airs puis de l'espace. Par ailleurs, l'existence de Compagnies qui exercent un contrôle strict sur les voies de circulation trouve également ses sources tout au long de la longue histoire du commerce, depuis les phocéens jusqu'aux comptoirs dans les océans Indien ou Pacifique, en passant par la Hanse germanique. Dans un mode peut-être plus métaphorique, cette opposition entre grandes puissances et dissidents libertaires est tout aussi représentative de ce qu'est le World Wide Web à ce jour, pirates compris.
Estelle Faye signe donc là un roman dont les ressorts ne sont pas près de manquer d'actualité. Les nuages de Magellan est un roman court, au style facile à lire, qui s'inscrit dans une certaine déclinaison moderne du Space Opera, où les batailles rangées et les héros invincibles laissent place à des factions plus mouvantes et des personnages plus profonds, et il est en définitive une agréable lecture.