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Mange tes morts

Jack HEATH

Titre original : Hangman, 2018   ISFDB
Traduction de Charles BONNOT

SUPER 8 (Paris, France) n° (33)
Dépôt légal : mars 2018
Première édition
Roman, 400 pages
ISBN : 978-2-37056-105-3
Format : 14,0 x 20,0 cm
Genre : Fantastique


Quatrième de couverture

Cameron Hall, 14 ans. Disparu en rentrant de l’école ; rançon exigée. L’horloge tourne, la police est impuissante : c’est une mission pour Timothy Blake.
Timothy (nom de code « le pendu ») a un don. Il lit dans l’esprit des gens. Comprend tout avant tout le monde. Résout les énigmes les plus ardues. Le genre à s’ennuyer avec un Rubik’s Cube ou à connaître votre numéro de sécurité sociale par cœur. Mais Timothy a aussi un problème. Pas le fait d’être pauvre, non. Pas le fait d’être affublé d’un coturne toxicomane et parano prénommé Johnson. Un vrai problème, un problème, disons, comportemental. Qui fait que même le FBI répugne à travailler avec lui. Une vie sauvée, une récompense : ainsi fonctionne Timothy. Mais cette fois, et malgré l’appui de l’agent spécial Reese Thistle, il se pourrait que notre sympathique génie psychopathe ait trouvé à qui parler.

Ce thriller survolté et sans tabou ne vous laissera aucun répit. Accessoirement, il se pourrait qu’il vous incite à devenir végétarien.

Né en 1986 en Australie, Jack Heath peut déjà se prévaloir d’une imposante bibliographie jeunesse : une vingtaine de romans, régulièrement traduits et optionnés pour le petit et le grand écran. Mange tes morts, son premier texte pour adultes, ne saurait être conseillé, de son propre aveu, aux moins de 18 ans.

Critiques

   Timothy, dit « le pendu » (d’où le titre VO Hangman), est consultant auprès du FBI. On fait appel à lui quand les cas sont graves, quand des vies sont en jeu. Comme pour l’enlèvement du jeune Cameron. Cet adolescent doit être échangé contre une rançon. Le délai est très court. Et même si tout semble évident, rapidement, l’affaire va déraper. Aussi, notre jeune Sherlock, au pouvoir d’observation phénoménal et aux capacités d’analyse remarquables, aura fort à faire tant son adversaire est retors. Et les retournements vont se multiplier…

   Rien que de très banal, en somme, du vu et revu, relu, ad nauseam. À ceci près que notre héros a des habitudes alimentaires pour le moins gênantes : un besoin viscéral de manger de la chair humaine. C’est d’ailleurs la raison de sa collaboration avec le FBI : à chaque affaire résolue, il gagne le corps d’un condamné à mort fraichement exécuté. Découpé et caché dans son congélateur, ce cadavre lui permet de tenir jusqu’au cas suivant. Et à la récompense l’accompagnant…

   On s’en doute, ce roman est sanglant, violent parfois. Volontiers dérangeant. Quel chemin parcouru depuis l’apparition du Hannibal Lecter de Thomas Harris (trente ans, déjà) ! Fini, dorénavant, le rôle de simple témoin extérieur à l’action. Comme dans la série Dexter, qui invite le spectateur à suivre les pensées et les actes d’un tueur en série, avec Mange tes morts, le lecteur est plongé dans l’esprit, bien affûté, certes, mais complètement dérangé, d’un homme incapable de contrôler ses pulsions, incapable de lutter contre sa faim inextinguible, son addiction au steak humain bien saignant. Le portrait d’un héros repoussant, en somme, dont l’auteur se sort avec les honneurs, parvenant à rendre son personnage suffisamment attachant pour ne pas décourager les plus sensibles, tout en insérant quelques scènes réellement gore.

   L’enquête en elle-même s’avère en revanche moins convaincante, un brin simpliste malgré les errements, les fausses pistes et un lot de surprises dosées. Les dons de Timothy, présenté comme un petit génie, sont régulièrement mis à mal, et certains passages laissent clairement entrapercevoir les ficelles. En fait, l’auteur semble avoir hésité entre la narration d’un enlèvement et le portrait d’un monstre — avant d’opter finalement pour le monstre. Comme si Jack Heath, pour son premier roman adulte (l’auteur s’est illustré dans les récits pour la jeunesse), avait lancé les prémisses d’une série et voulu avant tout proposer un héros solide et crédible. Un choix dont il est ici permis de douter.

Raphaël GAUDIN
Première parution : 1/7/2018 dans Bifrost 91
Mise en ligne le : 8/5/2023


Naissance réussie d’un nouveau monstre…

« Le bacon est ce qui s’approche le plus du goût de la chair humaine : c’est une information cocasse que j’ai failli partager par mégarde plus d’une fois. »

Lorsque la police piétine et ne parvient pas à résoudre une affaire, comme celle de la disparition du jeune Cameron Hall, quatorze ans, c’est l’heure de faire appel à Timothy Blake, consultant civil du FBI, qui ne rend compte qu’à Peter Luzhin, directeur du bureau de Houston, Texas. Si l’on fait appel à lui, c’est parce que Timothy a des dons d’observation, de mémoire et de déduction exceptionnels, qui pourraient faire croire qu’il lit dans vos pensées et connaît vos plus noirs secrets. Cependant, Tim a un petit défaut, et ce n’est pas vous gâcher la surprise… euh pardon, vous spoiler le roman, que de vous en dévoiler l’argument principal, oh, sorry again, le pitch. Il ne faut pas porter de jugement trop hâtif, mais quand même… Tim est cannibale, et même si tous les goûts sont dans la nature, manger les gens, c’est mal. Une évidence dont n’a cure Luzhin, qui pour chaque affaire résolue récompense Tim en lui offrant un condamné à mort à emporter, la fin de l’un et la faim de l’autre justifiant les moyens. Il va sans dire qu’un tel pacte est à haut risque et Tim, tiraillé par un appétit que seule une bonne livre de chair humaine saurait apaiser, est souvent sur le fil du rasoir, surtout quand il a affaire à un kidnappeur machiavélique qui ne lui cède rien en rouerie, et quand l’agent spécial Reese Thistle est dépêchée par Luzhin pour lui venir en renfort, doux euphémisme pour cette mission de surveillance. « Le pendu » est sur la sellette (c’est le surnom de Tim), tout débordement lui est interdit, ce qui réduit l’efficacité de cet enquêteur officieux selon qui « rien n’est assez secret pour résister à une bonne dose de douleur et de peur ». Notons un choix de traduction curieux pour « Hangman », qui certes peut signifier « le pendu », le jeu, mais Tim est plutôt friand d’énigmes – comme celles proposées en tête de chaque chapitre – et surtout, c’est un bourreau (autre sens de « hangman »), se substituant parfois même à ceux des prisons, quand ses repas lui sont servis encore vivants.

Dans le numéro précédent de SF Mag, je me plaignais à propos d’Hemlock Grove de Brian Mc Greevy, paru chez le même éditeur, ou encore d’Annihilation de Jeff Vandermeer, de ce nouveau genre florissant de romans qui « lorgnent plus vers les standards et clichés télévisuels ou cinématographiques que vers la vraie grande littérature de genre ». Mange tes morts a aussi une filiation sérielle : une pincée de Hannibal pour le vice caché de notre héros, un assaisonnement à la sauce Sherlock pour ses dons d’observation et de déduction, et en plat de résistance, une bonne tranche bien saignante de Dexter, avec qui l’indéniable parenté n’est pas reniée par l’auteur. Il aurait bien du mal à s’en défendre : trauma originel en bas âge, abominable secret, travail avec la police, victimes coupables, ou reconnues comme telles, et pour lesquelles le facteur empathie est minime – mais quid des erreurs judiciaires et des condamnés à tort ? Autre point commun, comme Sherlock, Hannibal et Dexter, Hangman va avoir les honneurs d’une adaptation en série télé.

Bon ou mauvais signe ? Tout dépend du matériau, et de la façon dont il est traité. Dans le cas qui nous occupe, tous les voyants sont au vert. En effet, à la différence de certains romans récents qui m’ont peu emballé, Mange tes morts est enthousiasmant à plus d’un titre. Doté d’un vrai sens du rythme, du rebondissement et de l’inattendu, ce roman se dévore littéralement, happant le lecteur dans sa mécanique parfaitement huilée, sans grain de sable, sans incohérence, où tout s’enchaîne et tout s’explique, même les questions et les situations les plus épineuses. Soigneusement disséminés jusqu’à la fin du roman, les flashbacks nous éclairent peu à peu sur l’histoire dérangeante et la personnalité dérangée de « Timmy le Zarbi », première victime de son addiction, condamné à vivre en marge de la société. Fait rare chez ce genre de héros, celui-ci n’a pas les moyens de vivre confortablement sa vie de déviance, contrairement à Hannibal Lecter ou Patrick Bateman, le monstre d’American Psycho, monument du serial killer dont Heath reconnait aussi l’influence. Timothy est pauvre comme Job, ça se voit à ses fringues élimées, toujours les mêmes, ça se sent à sa désagréable odeur corporelle, quand il ne peut pas se laver, ça s’entend dans quelques remarques où affleure sa détresse, comme lorsqu’il confesse involontairement ne pas avoir les moyens d’aller chez le médecin, lui qui fait pourtant preuve de la plus extrême prudence quand il engage une conversation. Un statut de miséreux qui permet d’inclure un sous-texte social, qui nous parle de ce que c’est d’être pauvre en Amérique. Rassurez-vous, rien de lourdement didactique (tiens, un pléonasme ?), juste quelques touches et remarques qui font mouche, grâce aux vertus d’un humour noir mêlant tragique et horreur, sulfureux cocktail élevé au rang de grand art par Robert Bloch en son temps. Déjà réputé pour ses romans jeunesse, Jack Heath se distingue une nouvelle fois par cette incursion sans compromis et cette violente virée dans un univers que l’on qualifiait autrefois de « pour adultes seulement ».

Hervé LAGOGUEY
Première parution : 1/3/2018 (SF Mag 100, Mars 2018)
Mise en ligne le : 25/3/2019

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