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Contes fantastiques

Auguste VILLIERS de L'ISLE-ADAM



FLAMMARION (Paris, France), coll. L'Âge d'or précédent dans la collection n° 3 suivant dans la collection

Recueil de nouvelles
Genre : Fantastique


Critiques

    Villiers de l'Isle-Adam demeure l'un des grands méconnus du siècle passé. Sans doute, son nom est-il vaguement Inscrit dans la mémoire des « lettrés moyens » ; mais son œuvre, combien l'ont seulement parcourue ?

    Une partie de cette œuvre appartient au domaine du Fantastique. Voici quelques années, une réédition de L'Eve future remit en lumière cet aspect d'un écrivain hors série. Gros roman, édifié au carrefour du Surnaturel et du Merveilleux scientifique (ce que l'on dénomme aujourd'hui la Science-Fiction), L'Eve future renferme un trésor d'idées étincelantes ; mais la complexité du sujet, la verbosité intarissable de l'auteur se donnant carrière sur d'aussi vastes dimensions, peuvent y déconcerter le lecteur néophyte. Que ce dernier ait l'occasion d'aborder par d'autres faces un talent étrange – mais très divers en son étrangeté – c'est chose éminemment souhaitable. C'est pourquoi Henri Parisot a été bien inspiré en rassemblant quelques textes plus courts de Villiers.

    Issu de la phalange surréaliste. Parisot s'était voué au culte des Lettres Fantastiques, longtemps avant l'engouement actuel Audacieux, mais plein d'un zèle sévère en ses recherches et ses choix, il fit de son propre « label » un critère de qualité, aux « Éditions des Quatre Vents » et chez Robert Marin. Récemment, il a réuni une précieuse somme des contes d'Hoffmann. Et voici qu'il aborde Villiers… 

    Avec Villiers, comme avec Arnim, comme avec Poe, nous sommes plus près du génie que du talent. Le génie, c'est parfois la démesure, l'anxiété psychique, ce sont les hauts et les bas d'une inspiration tourmentée. L'Eve future est un chef-d'œuvre en dents de scie. Et, aussi bien, mettons en fait qu'on pourrait donner de Poe une idée calamiteuse, par une sélection maladroite. Ici, avec le recueil qu'on nous offre, l'on a su grouper, et c'est déjà un réel mérite, des morceaux qui permettent de juger assez bien cette diversité étonnante qui caractérise l'imagination de Villiers.

    Le livre s'ouvre sur Claire Lenoir, qui, par sa seule forme, est un écrit fort singulier. Villiers a joué la difficulté en passant la parole à un personnage caricatural : Tribulat Bonhomet, type du faux savant, bouffi de prétention, se soûlant de sa propre jactance. Ce fantoche a hanté Villiers durant une partie de sa vie, comme, plus tard, le Père Ubu obséda Jarry. Ici, Tribulat, promu narrateur, conte ses rapports avec l'inquiétant couple des Lenoir ; il joue à l'apprenti sorcier en voulant se mêler de trop près aux aventures intimes de Claire. Et des circonstances dramatiques vont alors le contraindre, lui matérialiste impénitent, incrédule buté, à enregistrer « scientifiquement » ce qu'il faut bien appeler un phénomène métapsychique, une sorte de vertigineux mirage dont la femme est l'instrument récepteur. Sans doute, le postulat mis en œuvre par Villiers est-il si ébouriffant que nous croyons y entrevoir la pratique du « canular » en matière de fantastique, cela trente ans avant l'arrivée de Gaston Leroux ; mais enfin, la simple exhibition d'un Tribulat Bonhomet, imbécile survolté, éructant, est de celles qui donnent du relief à une œuvre. 

    Avec Véra, l'orchestration change, se fait suave. Nous atteignons l'un des hauts lieux de la littérature fantastique. Parisot a raison de comparer ce petit joyau à la splendide Ligeia de Poe. Ici comme là, il s'agit d'une lutte de l'Amour contre la Mort. Ne chicanons pas Villiers parce qu'il ouvre son récit avec une citation un tantinet adultérée : « L'Amour est plus fort que la Mort, a dit Salomon. » Le chantre du Cantique avait seulement proclamé que l'Amour est fort COMME la Mort ; et encore ne faut-il pas entendre cet aphorisme ainsi qu'un verdict de « match nul » après une empoignade sur le ring. C'est seulement une comparaison pleins de l'emphase orientale : « L'Amour est puissant, vigoureux comme…» Mais, d'autre part, constatons que, dans Véra, Villiers organise bel et bien un étrange combat, au fond de la retraite patricienne où le comte d'Athol s'est claquemuré, après avoir conduit sa bien-aimée au tombeau. Nous sommes là dans un univers orné, doré, capitonné, proche de celui que Huysmans créa pour Des Esseintes ; mais, alors que celui-ci ne faisait que cultiver son spleen, le comte d'Athol poursuit l'assouvissement d'un désir exorbitant, surhumain : il ne veut pas que Véra soit morte, il la déclare présente, il s'enfonce avec délectation dans le mythe. Ce serait simplement l'histoire d'un dément, s'il n'y avait l'adorable « chute » des dernières lignes, lesquelles transfigurent le récit en y introduisant le Fantastique sous sa forme la plus raffinée… 

     Après cette tragédie en serre chaude, L'intersigne nous apporte l'air vif du bocage vendéen, où, sous le clair de lune, on n'est pas sûr de distinguer les vivants des trépassés : c'est une nouvelle dans la bonne tradition classique.

    Il est possible que de sourcilleux amateurs ergotent sur la nature spécifiquement « fantastique » de trois autres contes placés dans ce livre ; mais, du moins, la bizarrerie, la « morbidezza » s'y trouvent, elles, à si forte dose, que ces textes s'insèrent sans dissonance dans l'ensemble.

    Le secret de l'échafaud aborde un problème qui a passionné d'authentiques savants, celui de la plus ou moins longue survie des décapités. En passant, mentionnons la curieuse tentative que fit Villiers de donner un « pendant » à ce conte avec L'instant de Dieu (qui ne figure pas ici). Le secret de lchafaud nous narre l'expérience – supposée – d'un célèbre chirurgien. Dans L'instant de Dieu, un prêtre voudrait, le couperet tombé, arracher un signe de repentir à un criminel endurci. 

    La torture par l'espérance et Catalina sont, apparemment, de simples « récits de terreur » ; mais, dans un cas comme dans l'autre, le lecteur se sent envahir par ce très particulier malaise propre à certains cauchemars, cette paralysie plus ou moins complète dont souffre le rêveur à l'approche d'un péril. Est-elle réelle, est-elle rêvée, cette évasion rampante, cette avance au ralenti à travers les geôles de l'inquisition, dont le chétif héros se demande « s'il ne serait pas déjà mort » ? Quant à Catalina, si l'on veut l'analyser froidement, on s'aperçoit que l'affaire relève de la folie furieuse, avec ce serpent géant ligoté autour d'une armoire ; mais il semble bien qu'en sa déraison même, la monstrueuse vision appartienne à la faune onirique, ou, tout au moins, à ces domaines où l'esprit s'égare parfois, dans l'entre-chien-et-loup du désœuvrement. Je me souviens qu'étant enfant, j'imaginais des invasions d'immenses reptiles, dans une avenue très calme, proche du logis. Pourquoi ces appétits d'horreur ? Mais, en admettant que Villiers ait voulu nous servir un phantasme de ce genre, en l'entourant de quelques oripeaux chatoyants, convenons que son tableau est une somptueuse, une hideuse réussite.

    Sur le style de Villiers, tributaire de son époque, quelques mots sont nécessaires. Sans doute représente-t-il l'abomination de la désolation, aux yeux de ceux de nos contemporains que leur puritanisme a conduits à ce que Claude Mauriac dénomme l'« alittérature ». Les gongorismes de Tribulat Bonhomet, encore qu'il s'agisse de boursouflures volontaires, sont de nature à les faire grincer des dents. Et quels sourires de pitié doivent leur arracher les ciselures de plume prodiguées dans Véra ! Mais une large part du « public lisant », exempte das partis pris d'école, saura goûter l'enchantement, très fin-de-l'autre-siècle, qui émane de ces pages. Nous arrivons en des temps où les préraphaélites et Gustave Moreau sortent de leur purgatoire, où l'on recommence à s'extasier devant les féeriques objets de Gallé, où Montesquiou-soi-même retrouve des porte-fleurs. On peut aussi bien réhabiliter cette prose opalescente. Et encore, et surtout, convient-il d'y apprécier, malgré les surcharges et les enjolivures, une remarquable clarté. On est libre d'aimer ou de ne pas aimer, mais on aurait mauvaise grâce à prétendre être gêné par des obscurités de langage, de récit, d'intentions…

    Avec quatre-vingts ans de recul, cette lecture de plain-pied a bien son prix. La vogue présente – et peut-être précaire – du Fantastique a provoqué l'éclosion d'une foule d'écrits alambiqués, flous, invertébrés, où les contorsions de phrases, que leurs auteurs paraissent prendre pour l'exercice du « beau style », ne servent souvent qu'à pallier une carence d'imagination. Cela devient du Fantastique de mots, de forme, d'humeur, parfois des manifestations d'inquiétant narcissisme, toutes choses qui déroutent, qui rebutent le lecteur de bonne foi, et pourraient présager la tombée en déliquescence du genre. Ce n'est nullement prendre le parti des « alittérateurs » que de déplorer certaines logorrhées malsaines. En tout cas, il est excellent de relire « nos » classiques, tel ce tumultueux Villiers de l'Isle-Adam – grand, malgré ses travers – pour y retrouver les lignes de force, les tendances-mères de la littérature fantastique. Justement parce que celle-ci répond à certaines nostalgies d'Au-delà – ce terme pris en son acception la plus large – parce qu'elle exige des gageures d'inspiration, elle doit imposer aussi une probité de la forme, la précision, la limpidité. 

Jean Louis BOUQUET
Première parution : 1/10/1965 dans Fiction 143
Mise en ligne le : 30/6/2023

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