TYPHON (éditions du)
(Marseille, France), coll. Les Hallucinés Date de parution : 26 février 2019 Dépôt légal : février 2019, Achevé d'imprimer : janvier 2019 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 978-2-490501-02-1 Format : 14,0 x 20,0 cm✅ Genre : Fantastique
À son arrivée sur l'île de la Barbade, un jeune peintre est accueilli dans une saisissante demeure : Eltonsbrody. Bordée par la mer et entourée d'une végétation luxuriante, la maison semble sortie d'un songe. Mais peu a peu, la beauté s'effrite. Est-ce le bruit du vent ou celui des âmes qui y rend le repos impossible? Ou, peut-être, s'agit-il des tourments de la propriétaire des lieux ?
Dans la lignée des chefs-d'œuvre d'Edgar Allan Poe, de H.P. Lovecraft et de John Carpenter, Eltonsbrody captive en faisant imploser le réel. Intrigant et obsédant, le roman happe le lecteur en le confrontant à l'empire des pulsions.
Né en Guyane britannique, l'actuelle Guyana, Edgar Mittelholzer (1909-1965) est un auteur métis. Découvert, après des années d'infortune, par Leonard Woolf, le mari de Virginia, Edgar Mittelholzer est le premier écrivain caribéen à avoir connu un succès en Europe. Mais rien n'apaise la haine de soi de celui qui se sent rejeté pour sa couleur de peau. De controverses en dépressions et face aux, déjà, prégnantes questions identitaires, il finit par se suicider en 1965.
1 - (non mentionné), Note des éditeurs, pages 11 à 12, notes
Critiques
1958. La Barbade. Mr Woodsley, peintre, est là quelques jours pour mettre sur toile les paysages enchanteurs de l’île. Hélas, les deux seuls hôtels de Georgetown sont complets. Sur les conseils d’un chauffeur de car, il demande asile à Mrs Scaife, une gentille et respectable vieille dame qui vit avec ses domestiques dans la vaste demeure défraîchie d’Eltonsbrody — le « manoir » local, perché sur Staden Hill.
Les trois premiers jours se passent très bien. Woodsley est accueilli avec une grande générosité par son hôtesse ; la maison, quoiqu’ancienne et un peu défraîchie, est confortable, les repas – préparés par Jack-man, la cuisinière – sont bons, et le peintre profite autant du calme des lieux que de la beauté sauvage du « côté écossais » de l’île, non loin de la ville de Bathsheba.
Mais voici que le soir du quatrième jour, Mrs Scaife vient de façon tout à fait inappropriée demander à Woodsley, dans sa chambre même, si rien ne l’a incommodé ce soir. Woodsley ne sait que répondre, tout va bien, rien n’est inhabituel si ce n’est la visite nocturne de la vieille dame. Il ne sait pas encore que, de là, tout va déraper et devenir de plus en plus étrange, inquiétant et choquant.
Eltonsbrody est un roman « gothique » de Edgar Mittel-holzer. Une grande maison à l’écart, sur une colline dominant des villages de cahutes. Un ci-metière non loin, où gît notamment le défunt mari de Mrs Scaife – à la tombe duquel elle voue un culte ; clairement, la veuve vit confite dans le souvenir omniprésent de son cher décédé. Elle est, en revanche, en froid avec son fils Mitchell et sa bru, et n’aime, de sa famille, que son petit-fils Grégory, que Mitchell lui amène de temps en temps. Son seul entourage est constitué de cinq domestiques aux tâches variées, tous Noirs – comme feu Mr Scaife – alors qu’elle-même est Blanche.
À Eltonsbrody, le vent souffle follement. Dans les arbres mais aussi, semble-t-il, à l’intérieur, en courants d’air entêtants. Et il n’y a pas que le vent. Les vieux meubles, les marches d’escalier, les planchers, tout craque. D’étranges odeurs fleurissent. Les ombres jouent des tours aux yeux de Woodsley. Et pourquoi ces trois chambres condamnées à l’étage ? Paranoïa ? Voire. Car plus les jours passent, plus la vieille dame s’avère étrange. Affirmant sans vergogne des choses folles, passant sans cesse de la dignité aimable à la provocation la plus outrancière, elle donne d’elle un spectacle maniaque qui amène à se demander si elle est une folle meurtrière, une folle qui fantasme une malfaisance rêvée, ou une vieille folle qui s’amuse à choquer. Disant toujours trop mais jamais assez, elle se place elle-même dans une posture « cachée en pleine vue » qui rappelle « La Lettre volée » de Poe. Car l’ambiance ici est clairement à Poe, un Poe illustré par Corben.
Au-delà du divertissement, Eltonsbrody est aussi un livre triste sur la malédiction des origines et les inégalités structurelles dans les sociétés coloniales. Derrière la carte postale – nature magnifique, mer traîtresse, couchers de soleil grandioses et poissons grillés –, la réalité est plus sordide. Les pê-cheurs pauvres de la Barbade vivent dans de misérables masures. Les champs sont encore de canne à sucre. Les domestiques d’Eltonsbrody – tous Noirs – parlent un créole très basique qui exprime leur absence d’éducation et n’ont que des noms sans Monsieur ni Madame, contrairement à Scaife et Woodsley. Mrs Scaife les aime pourtant, de son surplomb, comme des enfants. Et si feu Mr Scaife était noir, il était médecin et riche, ce qui faisait de son mariage avec la pauvre mais blanche Mrs Scaife un mariage « de haut en bas » et simultanément « de bas en haut » (cf. Bourdieu, Le Bal descélibataires) tant pour l’un que pour l’autre ; double intérêt bien compris qui, pourtant, fit un mariage d’amour. Mais de ce mariage naquit Mitchell, que sa mère n’aima jamais car il avait pris le côté noiraud de son père (comme Mittelholzer lui-même, issu aussi d’un couple mixte et qui en souffrit sa vie durant) et que, cerise sur le gâteau, il épousa une Portugaise créole. Et ici, dans ce malheur de Mitchell qui fait écho à celui de son auteur, c’est à Lovecraft qu’on pense. À la hiérarchie raciale de l’époque, à la vision racialiste d’un monde qui différenciait les droits selon d’obscures divagations biologisantes, et à la peur panique de ce sang impur qu’on ne peut dissimuler si on a la peau sombre. D’où, peut-être, dans Eltonsbrody, la quête folle des os et des squelettes qui devraient prouver que les différences ne sont que superficielles, mais qui est aussi une façon d’éliminer ce qui fâche : la couleur de la peau.
Dans les années 50, Mr Woodsley, un jeune peintre n’ayant pas prévu que tous les hotels seraient pleins, se retrouve sans logement à la Barbade, une île des Caraïbes. Un chauffeur de car lui conseille d’aller voir Mrs Scaife, une veuve vivant seule dans une grande demeure, Eltonsbrody. La vieille femme, heureuse de tromper sa solitude, l’accueille avec joie. Mais son comportement pour le moins excentrique, montrant une certaine attirance pour la mort, inquiète vraiment Woodsley lorsque elle semble heureuse d’apprendre le décès de son petit fils qu’elle semblait pourtant particulièrement aimer.
Edgar Mittelholzer est un écrivain à peu près inconnu par chez nous. Né en 1909 dans ce qui était à l’époque la guyane britannique, il a écrit plusieurs dizaines de livres, dont deux seulement sont disponibles en francais : celui-ci et Le temps qu’il fait à Middenshot, publié aussi aux éditions du Typhon. Il s’immolera par le feu en 1965.
Eltonsbrody est du pur roman horrifique d’ambiance. Ce qui commence comme une relation simple entre un jeune homme et une vieille dame prend, petit à petit, une tournure autre, d’abord par le comportement excentrique de la veuve, semblant s’amuser en parlant de mort et en inquiétant gentiment Woodley, mais aussi par un personnel de maison assez particulier, comme la belle Malverne dont la principale activité est de montrer sa poitrine à tous les hommes ou par cette maison dont certaines pièces condamnées laissent échapper de mystérieuses odeurs. Mais lorsque la veuve montre son vrai visage en se réjouissant de la mort de son petit fils bien aimé puis de la chute de Malverne dans l’escalier, le roman bascule dans une horreur très visuelle.
Pas de monstre à tentacule ou d’horreur indicible ici, nous ne sommes pas dans l’influence de Lovecraft mais plutôt dans une ambiance gohtique et caribéenne avec un culte de la mort naturaliste, fait d’os, de divination et de manipulation de cadavres. Utilisant le fantastique avec parcimonie, Mittelholzer maitrise parfaitement son roman et ce récit de 250 pages se lit d’une traite, plongeant le lecteur avec le narrateur dans la folie de cette vieille dame.