Edmond About (1828-1885) fait partie des précurseurs de la science-fiction, même si son œuvre ne l'a abordée que d'une manière épisodique. Aussi saluerons-nous l'initiative des éditions Fernand Nathan d'avoir réédité ce livre dans une collection de poche. Les nombreuses rééditions qui en ont été faites témoignent de l'impact de ce récit auprès des lecteurs. Qui n'a pas lu dans sa jeunesse l'histoire du colonel Fougas, le héros de « L'Homme à l'Oreille Cassée » ?
Pour comprendre la genèse du livre, il faut savoir que si Edmond About s'est fait une réputation de nouvelliste et de polémiste, il n'en ressentait pas moins de l'attrait pour les progrès de la science. En 1862, s'inspirant de découvertes biologiques récentes, il publie trois romans qui touchent de près à la science-fiction. Ce sont dans cet ordre, « Le cas de M. Guérin », « L'homme à l'oreille cassée » et « Le nez d'un notaire ».
C'est au contact de l'éminent physiologiste de l'époque, Charles Robin, qu'il eut l'idée d'écrire « L'homme à l'oreille cassée ». Par ce savant, il apprit que de petites bestioles, les rotifères, peuvent être asséchées et survivre longuement, dans un état léthargique, et être ensuite ranimées, pratiquement ressuscitées. Partant de là, il se posa la question de savoir si une telle expérience pouvait s'appliquer à l'homme. Le professeur Robin, lui ayant assuré que rien ne s'y opposait (si ce n'est les moyens techniques), il n'en fallut pas plus pour que « L'homme à l'oreille cassée » voie le jour. Ainsi s'explique la genèse de ce livre.
L'histoire est simple. Un homme hiberné, le colonel Fougas, se réveille près de quarante ans plus tard et se trouve confronté à un monde qui a évolué et dans lequel il se trouve étranger. Ce paradoxe temporel entraîne des situations embarrassantes, notamment lorsque le colonel Fougas se pose comme le rival involontaire de celui qui doit être son petit gendre. De nombreuses touches d'humour parsèment la narration, par exemple lorsque le colonel essaie de retrouver sa famille. Et puis, il y a le côté tragique, le clin d'œil du destin ; celle qu'il aime dans cette nouvelle vie n'est autre que sa petite-fille. Dès lors, le colonel fait l'expérience de la solitude, seul abandonné dans un monde qui lui est étranger. La fin est inéluctable.
Le récit est bien mené mais on peut regretter toutefois qu'Edmond About n'ait pas approfondi les implications de ce paradoxe temporel et qu'il se soit contenté du côté anecdotique.
Quoi qu'il en soit, Edmond About a contribué à donner aux récits basés sur le merveilleux scientifique, tels qu'on les concevait à l'époque, une impulsion toute personnelle. Et puis, quand on songe qu'il existe aux Etats-Unis un certain nombre de gisants plongés dans un sommeil cryogénique, en attendant d'être « ressuscités » dans un avenir incertain, on ne peut qu'évoquer le cas du malheureux colonel Fougas et se dire que le génie d'Edmond About avait prévu cette situation un siècle auparavant.