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La Chose en soi

Adam ROBERTS

Titre original : The Thing Itself, 2015
Première parution : Londres, Royaume-Uni : Gollancz, 17 décembre 2015   ISFDB
Traduction de Sébastien GUILLOT

DENOËL (Paris, France), coll. Lunes d'Encre précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 13 janvier 2021
Dépôt légal : janvier 2021
Première édition
Roman, 416 pages, catégorie / prix : 23 €
ISBN : 978-2-207-14423-7
Format : 14,0 x 20,5 cm
Genre : Science-Fiction

couverture : © blacksheep-uk.com / Silhouettes : © getty images.


Quatrième de couverture

« La Chose en soi est un chef-d'œuvre,
un vrai, tout simplement. » Just a Word

1986. Charles Gardner et Roy Curtius sont isolés sur une base en Antarctique. Ils participent au programme de recherche d’éventuels signaux en provenance d’une intelligence extraterrestre. Si Charles est pragmatique et expansif, Roy est taciturne et, surtout, obsédé par la lecture de la Critique de la raison pure.
Leur cohabitation forcée va virer à l’inimitié à cause d’une lettre : une de celles que Charles a reçues et qu’il a accepté de vendre, sans l’avoir lue, à Roy qui ne reçoit jamais de courrier. La tension est à son comble lorsque celui-ci prétend avoir résolu le paradoxe de Fermi grâce aux textes de Kant. Serait-il devenu fou ? Représente-t-il un danger, alors qu’une tempête éclate à l’extérieur et qu’aucun secours n’est envisageable avant plusieurs jours ? La vision récente du film The Thing, de John Carpenter, n’est pas pour rassurer Charles…

À la fois roman d’aventures drolatique et tour de force littéraire érudit, La Chose en soi nous emporte dans un voyage effréné à travers le temps et confirme l’immense talent d’Adam Roberts.

Adam Roberts naît à Londres en 1965. Il enseigne la littérature anglaise à l'Université de Londres (Royal Holloway). Il a publié plusieurs ouvrages critiques sur la science-fiction ainsi qu'une vingtaine de romans, dont Gradisil et Jack Glass, qui a reçu le prix John W. Campbell Memorial et le prix de la British Science Fiction Association.

Critiques

    Un titre pareil évoque inévitablement Kant et le rapport à la réalité. Que le récit commence en Antarctique fait immédiatement penser à La Chose / The Thing, la novella de Campbell mise en film par Carpenter, un clin d’œil d’autant plus pertinent qu’il est question de deux chercheurs, Charles Gardner et Roy Curtius, à l’écoute des étoiles afin de résoudre le paradoxe de Fermi. Charles est un lecteur de SF qui correspond avec sa petite amie tandis que Roy est un taciturne lecteur de Kant, qui affiche sa supériorité intellectuelle par des silences appuyés d’un sourire en coin. Par défi, Charles lui vend une lettre de son courrier sans en avoir pris connaissance, geste stupide qui prend progressivement une importance croissante, car il ne peut qu’inférer sur son expéditeur et son contenu sans jamais en avoir confirmation. La métaphore, un peu facile, de l’impossibilité d’accéder à la connaissance complète d’un phénomène permet d’exposer la philosophie de Kant. Nos perceptions bridées par les limites conceptuelles de notre esprit expliquent l’absence apparente d’extraterrestres. Tout dérape lorsque Roy pense être parvenu à s’affranchir de l’espace, du temps et des liens de causalité pour accéder à la connaissance de la chose en soi, perspective qui ouvre des horizons insoupçonnés. Il tente de se suicider tandis que Charles manque de mourir de froid à l’extérieur de la station, après avoir brièvement vu derrière le voile du réel. Il gardera de ce traumatisme des séquelles, physiques mais aussi psychologiques, début d’une lente déchéance sociale.

    Après cette introduction très réussie, le récit se développe selon deux axes : d’une part la trajectoire de Charles, repêché par un mystérieux Institut afin qu’il prenne contact avec son ancien collègue, soigné dans un asile psychiatrique, d’autre part des tranches de vie de protagonistes de différents lieux et époques : le voyage de deux homosexuels vers 1900, Albert lecteur de Nietzsche et Harold de Wells ; Lunita amoureuse de deux hommes, dont Albie à Gibraltar, texte écrit à la façon de Joyce ; Thos au xviie siècle, victime des sévices sexuels de libertins, et au xxive siècle, un aperçu d’une société où les applications de la philosophie kantienne ont profondément changé l’humanité. Dans ce patchwork, on croit reconnaître, de façon diffractée, des éléments de la situation originelle, avec pour points communs une sexualité qui s’écarte toujours davantage de la norme, illustration de la disparition progressive des catégories mentales, et des visions incertaines, des fantômes, un adolescent notamment, qui surgissent inopinément et se multiplient dans le futur. L’ensemble n’est pas sans rappeler la structure d’un Mitchell dans Cartographie des nuages.

    Pour l’Institut, la seule façon d’accéder à la chose en soi est d’utiliser une Intelligence artificielle exemptée, par essence, des limites de l’esprit humain. Mais il risque fort d’échapper au contrôle de ses concepteurs. De son côté, Roy, affranchi des catégories mentales, se révèle être un individu toujours plus dangereux. Tout en se réservant des plages d’exposition des principaux éléments de la Critique de la raison pure, l’intrigue se déroule sur le mode effréné du thriller, et multiplie les motifs d’étonnement.

    S’il fallait faire la fine bouche, on peut d’une part douter que l’IA, construite par des humains, soit en capacité de penser différemment – son errance avec Charles montre que ce n’est pas le cas –, d’autre part regretter qu’Adam Roberts s’affranchisse un peu vite des vertiges métaphysiques au profit du grand spectacle, lequel reste néanmoins de qualité. Mais on aurait tort de bouder son plaisir : par ses exigences littéraires et la clarté d’exposition des concepts philosophiques (vous n’êtes pas sûr de comprendre le noumène de Kant ? Allez-y, c’est garanti sans prise de tête), La Chose en soi est un roman hautement recommandable, un de ces vertiges intellectuels qui font le sel de la science-fiction.

Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 1/4/2021 dans Bifrost 102
Mise en ligne le : 25/9/2024

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