Chicago, 1954. Quand son père, Montrose, est porté disparu, Atticus, jeune vétéran de Corée, s'embarque dans une traversée des États-Unis aux côtés d'une amie d'enfance et de son oncle George, grand amateur de science-fiction et éditeur du Guide du voyage serein à l'usage des Noirs. Pour ce groupe de citoyens noirs, il est déjà risqué de prendre la route. Mais des dangers plus terribles les attendent dans le Massachusetts, au manoir de M. Braithwhite... Les trois comparses retrouvent en effet Montrose enchaîné, près d'être sacrifié par une secte esclavagiste qui communique avec des monstres venus d'un autre monde pour persécuter les Noirs. C'est la première de leurs péripéties... Dans l'Amérique ségrégationniste, Atticus et ses proches vont vivre des aventures effrayantes et échevelées, peuplées de créatures fantastiques et d'humains racistes non moins effroyables.
Signé par un maître du genre, encensé par la critique outre-Atlantique, Lovecraft Country est un hommage au pulp et à la science-fiction des années 1950, un roman électrique d'une actualité déconcertante. La chaîne HBO ne s'y est pas trompée en décidant de l'adapter pour une série sous la houlette de Jordan Peele, le réalisateur de Get Out.
Né en 1965 dans le Queens, Matt Ruff est l'auteur d'une oeuvre à la lisière de la science-fiction, du thriller, de l'horreur et de la satire. Ses romans précédents ont paru au Seuil et au Masque. Lovecraft Country est son premier roman à être publié aux Presses de la Cité.
A l'instar de la pierre philosophale, la seule mention du nom d'Howard Phillips Lovecraft semble transformer le plomb des caractères d'imprimerie en or, du moins si l'on se fie à la profusion des essais, biographies, pastiches et autre variations autour de l'auteur de Providence et de son oeuvre. Bien connu dans nos contrées pour 3 romans, un titre de SF (Un requin sous la Lune) et deux thrillers (Bad Monkey et La proie des âmes, respectivmenet chroniqués dans les Bifrost 38 et 50), Matt Ruff apporte sa contribution à cet engouement, en livrant un Lovecraft Country où l'attrait pour l'univers lovecaftien tient plus de l'argument cosmétique que d'une véritable réécriture de ses motifs.Il ne faut pas longtemps pour constater que la menace indicible s'incarne surtout dans les valeurs méphitiques d'une ségrégation raciale plus que jamais profondément enracinée aux Etats-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, y compris au nord de la ligne Mason-Dixon. Un fait dont Atticus Turner, ex-vétéran de la guerre de Corée, fait l'amère expérience au quotidien, mais aussi son père Montrose, sans oublier toute sa famille et ses proches, tous membres de la communauté noire de Chicago. Et, si l'ont trouve bien des éléments surnaturels, voire science-fictifs dans Lovecraft Country, ils tiennent plus d'une sorte de pastiche des pulps dont Atticus et son oncle sont d'ailleurs de fervents lecteurs. Le roman de Matt Ruff s'apparente donc davantage à une satire légère de l'Amérique , confrontée ici à ses contradictions sur la question noire. On y apprend beaucoup sur la condition de cette part notable de la population,,toujours regardée avec méfiance et une bonne dose de condescendance, quant il ne s'agit tout simplement pas de racisme avéré. Les difficultés à se loger dans les quartiers blancs et les stratégies mises en oeuvre pour déjouer les obstacles enpêchant les colored people de louer ou acheter une maison remplissent quelques belles pages du roman. De même, sans chercher à en amoindrir les effets, Matt Ruff retranscrit la suspicion entretenue sciement autour de la communauté noire, accusée de nombreux maux sociétaux, notamment une délinquance associée naturellement à la couler de peau. Les brimades et intimidations de la police, par ailleurs inerte lorsqu'il s'agit de faire respecter les droits des Noirs, les insultes et violences racistes commises dans un climat d'impunité revoltant, tout ceci contribue à dresser un portrait guère reluisant de la société américaine de l'après-guerre, tout en revoyant le lecteur à l'actualité récente. Matt Ruff distille l'information, mêlant les allusions à l'Histoire aux ressorts plus divertissants du pulp. On découvre ainsi l'existence du Guide du voyage serein à l'usage des Noirs, que l'on pourrait taxer de trouvaille géniale s'in n'était historiquement attesté, mais aussi l'infamie des émeutes de Tulsa. D'aucuns pourraient juger le trait forcé, déplorant l'aspect manichéen du roman. Bien au contraire, dans un épisode des plus intéressants, Matt Ruff propulsepar magie une Noire dans la peu d'une Blanche. De Ruby, elle devient Hillary, profitant, non sanns une certaine culpabilité, de ce renversement de situation. Découpé en plusieurs chapitres formant autant d'aventures, Lovecraft Country donne la fausse impression d'un fix-up, variant ambiances et personnages. On y retrouve cependant le motif récurrent d'une secte secrète, exclusivement composée de WASP, organisant des rites impies pour contrôler le monde, mais également d'autres tropes du fantastique, comme celui de la maison hantée ou de la possession maléfique. Le lecteur de science-fiction n'est pas oublié, notamment à l'occasion d'un voyage sur une autre planète, via un télescope doté de capacités spéciales. Bref, dans l'ensemble, le roman de Matt Ruff reste une lecture légère, amusante, très référencée, non dépourvue de fond, mais peut-être un tantinet inaboutie et dilettante. En dépit de ce bémol, le sujet semble pourtant avoir attiré l'attention de HBO puisqu'une adaptation est d'oreset déjà prévue, sous la houlette de Jordan Peele, le réalisateur de Get Out. Il faut croire que Matt Ruff a su capter l'air du temps, d'une certaine façon.
Laurent LELEU Première parution : 1/7/2019 Bifrost 95 Mise en ligne le : 14/10/2023