Ursula K. LE GUIN Titre original : The Word for World is Forest, 1972 Première parution : New York, États-Unis : G.P. Putnam's Sons, 1972 Cycle : Ekumen vol. 2
Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Date de parution : mars 1987 Dépôt légal : février 1987, Achevé d'imprimer : février 1987 Retirage Roman, 248 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-221-00159-1 Format : 13,5 x 21,5 cm Genre : Science-Fiction
La planète Athshe était un vrai paradis sous le couvert de la forêt qui était le monde. Des humains y vivaient en paix, dont le corps était revêtu d'une soyeuse fourrure verte et qui ne mesuraient guère plus d'un mètre.
Puis d'autres humains, beaucoup plus grands, la peau lisse, tombèrent du ciel et entreprirent de défricher, c'est-à-dire de détruire, la forêt qui était le monde. Et ils ne se soucièrent pas plus des Athshéens que s'ils étaient des animaux sauvages, violant et tuant. Ils venaient d'un monde ruiné, surpeuplé, affamé de matières premières, de bois, de grains, et de terre vierges, la Terre.
Ceci est l'histoire de la révolte de Selver l'Athshéen qui devint un dieu dans la légende de son peuple parce qu'il lui apprit la haine, et de Lyubov l'ethnologue terrien qui sauva l'honneur de son peuple.
Le nom du monde est forêt (prix Hugo 1973) est un autre volet de l'histoire du futur imaginée par Ursula Le Guin et à laquelle appartiennent également La main gauche de la nuit (Hugo 1969) et Les dépossédés (Hugo 1975). ce roman est suivi d'un essai de Gérard Klein, Malaise dans la science-fiction américaine, qui propose une approche sociologique de cette littérature, et souligne l'importance de l'oeuvre d'Ursula Le Guin.
1 - Gérard KLEIN, Malaise dans la science-fiction américaine, pages 165 à 245, essai 2 - Gérard KLEIN, Introduction (version 1979), pages 167 à 169, introduction 3 - Gérard KLEIN, Malaise dans la science-fiction, pages 171 à 209, article 4 - Gérard KLEIN, Ursula Le Guin ou la sortie du piège, pages 211 à 245, article
Premier ouvrage 1979 pour la collection qu'anime G. Klein : un très beau texte, bien traduit. Cette œuvre se situe dans la grande fresque du cycle des Hains, bien que ceux-ci apparaissent peu — sinon à la fin, comme point de sagesse, de compassion (p. 160) « celui qui comprenait et serait lui-même au-delà de toute compréhension ». Le moteur du récit est l'affrontement de deux cultures, la terrienne et l'« autre ». La terrienne est représentée par plusieurs échantillons : Lyubov, le « spé », qui entre en contact avec les « autres », finit par devenir partie intégrante de l'« autre » au point qu'on peut parler de « trahison créatrice » ; à l'opposé, Davidson. Il incarne l'exacerbation pathologique d'une culture repliée sur ses propres critères et les érigeant en invariants universels ; niant tout enrichissement possible. Un « réaliste endurci », un « conquistador » (14) avec une mission (15) : faire de ce monde un paradis (11) ; transformer la forêt (le Monde, pour les Athséens, qu'il nomme « créates ») en un modèle terrestre. Il crée en fait « le dépotoir » (p. 9). Au nom de quelles valeurs ? (20) « les races primitives doivent céder la place aux races civilisées » ; « mettre fin à l'obscurité ». Ce réaliste se présente comme « l'homme véritable » capable de « prendre une femme et tuer un homme » (85). Entre les deux, l'administration militaire, les bûcherons, les fonctionnaires. Au loin, la Terre. En face les Athséens : en symbiose avec « le monde » — une civilisation qui a développé les maîtrises du rêve, aux rapports humains enrichissants, multiples, érotisés (98), valorisant l'espace intérieur, la partie féminine du peuple, alliant le sensible au pensé ; peuple parmi le monde, auquel il est rattaché par des mythes opératoires. Vu d'en face : des « créates » des « primitifs » des « singes verts » des « vaches du non-humain ». Nouveaux ordres : la Terre entrant dans la « ligue des mondes » (Hain) l'exploitation doit cesser — les humains se retirer. Sur la planète, le refus du « conquistador ». Face aux traîtres de la Terre, il va se rebeller, imposer « son ordre », mater les sauvages. En face, Selver, un « dieu » — qui a assimilé Lyubov, l'autre « rêveur ». Guerres, massacres. On peut rapprocher cette histoire de l'époque où — vraisemblablement — elle a été écrite (70-71) ; y voir une allégorisation de la guerre entre les USA et le Vietcong-« charlie », pour les soldats US ; avec cette dimension démente : défoliation de la jungle. L'avancée du récit confirme cette hypothèse : voir l'alternance des chapitres correspondant à celle des points de vue.
Cet aspect a pu paraître essentiel aux lecteurs de l'époque ; il reste présent aujourd'hui, mais en arrière-plan. L'actualité de l'ouvrage, sa présence est ailleurs. Peu dans la peinture du cas exemplaire (et non caricaturé) du capitaine, accumulant à son profit toutes ses « supériorités » — proche des héros des space opera stellaires, ou de cette nouvelle récemment publiée de Van Vogt, La forêt verte (in SF, Aubier Flammarion). Sinon dans le sort qu'on lui fait : au lieu d'exalter ce type d'homme comme porteur des valeurs dominantes, on l'isole, on en fait le porte parole d'une secte, celle que les « créates » nomment les « umins ». Plutôt dans la création de la société « autre », qui n'est pas un « monde à l'envers » ni une « utopie », mais un exemple d'altérité, à méditer, et où l'on peut prendre un extrême plaisir à se retrouver. Ce ne sont pourtant pas d'aseptisés « bons sauvages ». Ce sont des « autres », qui non seulement existent comme Ies « umins »mais semblent exister –sinon plus – « mieux ». Quand on sait la difficulté d'inventer des mondes – réellement différents on apprécie le tour de force de Le Guin (que Planchat a très agréablement rendu). Ce monde est donc une sorte d'idéal non transposable, ni utopie (qui serait « copiable » et programmatique) ni conte (ce qui le rejetterait dans le rêve pur). Il me paraît symptomatique que le rôle de pont entre les deux cultures soit tenu par quelqu'un (Lyubov) dont le nom – par sa racine – renvoie à « amour ». Il n'est le porte-parole d'aucun des deux groupes (ses paroles sont peu prises en compte, ses rapports sont perdus, ils n'interviennent pas) il sert de contact : on ne Iecomprend pas : on l'accepte ou on le refuse. Récit mythique de la naissance du droit fondamental à la différence Beau texte, qui pose des questions profondes au lieu de donner de clinquantes réponses. Le roman est complété par la reprise, enrichie de notes, de l'essai remarquable de G. Klein Malaise dans la SF. Il est intéressant de tester le roman à I'aide des hypothèses parfois audacieuses de l'essai, dont Fiction a déjà rendu compte.