RUE DE L'ÉCHIQUIER
(Paris, France), coll. Fiction Date de parution : 4 octobre 2018 Dépôt légal : octobre 2018, Achevé d'imprimer : janvier 2019 Retirage Roman, 304 pages, catégorie / prix : 19 € ISBN : 978-2-37425-129-5 Format : 14,0 x 22,0 cm Genre : Science-Fiction
Trois Etats de la côte ouest des Etats-Unis - la Californie, l'Oregon et l'Etat de Washington - décident de faire sécession et de construire, dans un isolement total, une société écologique radicale, baptisée Ecotopia.Vingt ans après, l'heure est à la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Pour la première fois, l'Ecotopia ouvre ses frontières à un journaliste américain, William Weston.
Au fil de ses articles envoyés au Times-Post, Weston décrit tous les aspects de la société écotopienne : les femmes au pouvoir, l'autogestion, la décentralisation, les 20 heures de travail hebdomadaire, le recyclage systématique, la relation passionnée à la nature, etc. Quant à son journal intime, il révèle le parcours initiatique qui est le sien ; d'abord sceptique, voire cynique, William Weston vit une profonde transformation intérieure. Son histoire d'amour intense avec une Ecotopienne va le contraindre à choisir entre deux mondes.
Récit utopique publié en 1975, livre culte traduit dans le monde entier, Ecotopia offre une voie concrète et désirable pour demain, et ce faisant agit comme un antidote au désastre en cours.
Ernest Callenbach (1929-2012) est un écrivain, critique de cinéma et journaliste américain. Il a fondé et dirigé la revue de cinéma Film Quaterly, mondialement connue.
« Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu'on ne le croyait autrefois. »
(Nicolas Berdiasff, cité par Pierre Versins dans son Encyclopédie}.
L'utopie est l'artefact littéraire et structuré des rêves et aspirations des hommes à vivre une existence plus juste et plus heureuse dans un monde meilleur. Expérimentation imaginaire, elle est selon Bloch « un organe de recherche méthodique de la nouveauté » et selon Darko Suvin « un procédé heuristique ou pédagogique de perfectionnement, un modèle épistémologique et non pas un pays ontologiquement réel » 1.
Maintes fois, durant son existence, la science-fiction a croisé l'utopie. Depuis les ancêtres Utopia de Thomas More (1516) ou La Cité du Soleil de Campanella (1623) aux récents Enfant d'Ibn Khaldoûnde Jacques Boireau (In Univers 07) en passant par L'étoile de ceux qui ne sont pas nésde Franz Werfel, Les Dépossédés d'Ursula le Guin et La nébuleuse d'Andromède d'Ivan Efremov, sans oublier le Varianacher à Michel Jeury (in Utopies 75) et le Gayhirna de Pierre Pelot (Transit)... Car pour Darko Suvin « toute la SF est sinon une fille, du moins une nièce de l'utopie — une nièce qui a honte de l'héritage familial mais ne peut échapper à son destin génétique » 1.
La structure littéraire du récit utopique est souvent très simple. L'auteur ou témoin utopique, rencontre un voyageur qui lui expose l'état social de don pays ; ou bien est amené à visiter le pays en question. Tel est le schéma d'Ecotopie qui ne se présente donc pas comme un roman, mais comme l'ensemble du « reportage et notes personnelles de William Weston », l'envoyé spécial du Times Post en Ecotopie, premier journaliste autorisé à visiter cet Etat, depuis sa création en 1980. C'est en effet cette année-là que trois Etats de la côte ouest des Etats-Unis : la Californie, l'Oregon et l'Etat de Washington, décidèrent de faire sécession du reste de l'Union et de vivre, isolés, selon des principes radicalement différents. (On retrouve le thème utopique par excellence du lieu clos isolé : île perdue dans l'océan ou planète perdue dans l'espace. Etat-enclave, région oubliée, société décalée dans un lointain futur, qui permet toutes les libertés).
Nous sommes en 1999. Vingt ans ont passé depuis le coup d'Etat Ecologique de 1980 et la fermeture des frontières. C'est l'heure de la reprise des liaisons diplomatiques, l'heure des premiers bilans. Tout au long de ses articles envoyés au Times Post et de son journal personnel qui, monté en parallèle, joue le rôle de contrepoint plus humain et moins didactique, William Weston développe les caractères essentiels de la civilisation écotopienne : le concept d'économie d'équilibre, la vie sans voiture, l'appel des forêts, les femmes au pouvoir, la totale disponibilité de chacun envers autrui, le recyclage systématique, l'autogestion, la décentralisation, le pari écotopien concernant la baisse du taux de natalité, les jeux de la guerre, etc...
Vivre l'écotopie, c'est-à-dire l'écologie utopique, entraîne une profonde mutation des mentalités, des relations, des structures : « L'homme, selon les Ecotopiens, n'est pas fait pour produire, comme on le pensait au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il se doit simplement d'occuper, sans faire de dégâts, la modeste place qui lui est réservée dans le continuum en perpétuel renouvellement constituée par l'ensemble des organismes vivants. » Cette nouvelle attitude philosophique est lourde de conséquences, puisqu'elle dynamite le culte du travail, entraîne une diminution de la consommation et ramène l'homme à une conception plus sereine de l'existence : « L'homme doit trouver son bonheur, non dans le fait de dominer les autres créatures terrestres, mais dans un équilibre entre ces créatures et lui. »
Equilibre, voilà le maître mot. « Notre système, explique Bert l'écotopien à Weston, poursuit son petit bonhomme de chemin tout tranquillement tandis que le vôtre est constamment secoué de convulsions. Le nôtre, c'est comme une prairie au soleil ; il s'y passe des tas de choses : des plantes poussent, d'autres meurent, des bactéries les décomposent, des souris mangent les graines, des faucons mangent les souris, un ou deux arbres se mettent à grandir et à faire de l'ombre aux brins d'herbe ; mais la prairie vit en état d'équilibre — sauf si des hommes arrivent et chambardent tout. » Comme on peut le constater la notion écotopienne d'équilibre refuse tout statisme, tout figement. De plus, comme l'optimum chez Sturgeon 2, l'équilibre, on y tend mais on ne l'atteint jamais.
Pour Jacques Rouveyrol, l'utopie « n'est rien d'autre que l'équivalent littéraire du concept philosophique d'Etat rationnel » 3 et son rôle est de s'opposer à la dégradation du système sociétal qui, en tant que système, est soumis aux lois de l'entropie et ne peut qu'évoluer vers le désordre : « La société utopique échappe, elle, au désordre, à l'entropie parce qu'elle place à sa tête le seul principe susceptible d'imposer l'ordre : la raison, une raison infaillible. Infaillible, donc inhumaine » 3. Et c'est là que réside toute l'originalité, et donc toute l'importance, d'Ecotopie. Ce n'est pas la raison qui est ici aux commandes de l'utopie, mais un principe, un principe naturel : le concept d'économie d'équilibre, mouvement écologico-sociopolitique perpétuel qui accepte très bien certaines manifestations irrationnelles (tels les jeux de guerre, assez proches des Jeux de l'Esprit de Pierre Boulle — J'ai Lu 458} et qui n'a strictement rien d'inhumain, bien au contraire, puisque inspiré du mécanisme écologique qui régit notre écosystème.
Les utopies sont généralement conçues en dehors de l'histoire, comme « modèles épistémologiques », d'où l'expression « utopique » qui est synonyme d'impossible. Mais il a été imaginé des utopies dont le but était d'être mis immédiatement en pratique. Ainsi les œuvres des socialistes utopiques du XIXe siècle (Saint-Simon, Owen, Fourier) ou l'utopie populaire du dominicain Savonarole au XVe siècle. Ainsi l'écotopie d'Ernest Callenbach.
Dans son ouvrage Utopies réalisables (10/18 n° 997), Yona Friedman distingue le projet, le rêve (ou Wishful thinking), l'utopie et l'utopie réalisable et ébauche une théorie des utopies : « a) les utopies naissent d'une insatisfaction collective ; b) elles ne peuvent naître qu'à condition qu'il existe un remède connu, susceptible de mettre fin à cette insatisfaction ; c) une utopie ne peut devenir réalisable que si elle obtient un consentement collectif ». Partant de l'insatisfaction collective née des méfaits de la pollution et sachant qu'il existe des remèdes écologiques, Ernest Callenbach tente, avec Ecotopie, de changer le consentement des lecteurs, opération clé dans la réalisation du projet d'une société écologique (car l'utopie réalisable, tout à fait à l'opposé du Wichhul thinking est à l'intersection du projet et de l'utopie) : « Car il ne suffit pas de découvrir un remède à une maladie, il faut que le malade consente à le prendre. »
Mais selon Yona Friedman, le double décalage (entre l'insatisfaction et la découverte de l'existence d'un remède d'une part, et la technique applicable et le consentement nécessaire pour l'application de cette technique d'autre part) ralentit pour au moins deux générations le développement de l'espèce humaine, ce qui fait qu'aucune situation insatisfaisante ne peut disparaître rapidement. Sur ce plan, le livre de Callenbach pêche sacrement par excès d'optimisme 4 ! Mais pour le reste, il leste de réalité ce qui n'aurait dû être qu'un pays « ontologiquement réel ».
« Quand vous voudrez » proclament Brice Lalonde et « les amis de la Terre ». Pourquoi ne pas leur répondre : « Maintenant ? ». 5
Notes :
1. Deux arbres au bord du Fleuve de l'histoire (Sur SF et Utopie) par Darko Suvin in Europe Spécial SFAoût-Septembre 1977). 2. Dans Si tous les hommes étaient frères, me permettrais-je d'épouser ta sœur ?Dangereuses Visions d'Harlan Ellison — J'ai Lu 627, Sturgeon décrit une société régie par un réel esprit écologique dans laquelle la recherche de l'optimum de survie a conduit à développer des rapports incestueux antre les individus. Ici la recherche de l'optimum de survie a contraint les Ecotopiens à fermer leurs frontières et à imposer le concept d'économie d'équilibre. 3. La mort de l'homme (SF et Utopie) par Jacques Rouvayrol in Europe Spécial SF — Op. cité. 4. Il pêche aussi sur un autre plan : ses 300 pages ne se lisent pas toujours sans ennui, car le poids du didactisme se fait trop souvent sentir. Mais n'est-ce pas la rançon payée, de tout temps, par la littérature utopique, « anatomie » (pour reprendre le mot de Northop Frye) d'une construction sociopolitique imaginaire, et qui se préoccupe fort peu du romanesque ? 5. Et pour se donner les moyens qu'implique une telle réponse, lire L'écologie, histoire d'une subversion (Edition Syros) par Claude-Marie Vadrot, journaliste au Canard Enchaîné et à Politique-Hebdo.
Vous ne l’avez sans doute pas su, mais ces satanés hippies ont pris le pouvoir dans les trois États de l’Ouest, imposant une sécession douloureuse aux États-Unis. Vingt années après cet événement traumatique, vers l’an 2000, l’Écotopia ouvre pour la première fois ses portes à un journaliste américain, William Weston. Pour cet envoyé du grand quotidien le Times-Post, ce nouveau pays apparaît à la fois comme une source de curiosité et de rancune. Son reportage est donc un bon moyen de combattre les préjugés, y compris les siens, afin d’établir la vérité sur les choix adoptés par les Écotopiens.
Écotopia reprend une formule littéraire ancienne, celle de l’utopie. Paru dans nos contrées en 1978 chez Stock, sous le titre de Écotopie, la fiction utopique d’Ernest Callenbach bénéficie d’une nouvelle traduction publiée chez Rue de l’Échiquier pour inaugurer la collection « Fiction » de l’éditeur. Une réédition bienvenue, offrant l’opportunité de découvrir un ouvrage relevant ouvertement de l’écologie politique, un OLNI de 1975, devenu rare sur le marché de l’occasion, et dont le propos se révèle plus que jamais d’actualité. Très honnêtement, c’est surtout cet aspect de Écotopia qui retient l’attention, comme un écho funeste aux inquiétudes et aux catastrophes de notre époque. Le dispositif narratif et l’écriture sont en effet d’une lourdeur et d’un didactisme bien décourageants. Ernest Callenbach mêle les articles publiés par le Times-Post aux extraits du journal personnel de Weston, témoignant de l’évolution du regard du journaliste sur l’utopie écologiste ouest-américaine. Le compte-rendu informatif côtoie ainsi le quotidien vécu, pendant que le devoir d’objectivité se frotte au ressenti intime du simple citoyen. Pour le lecteur d’aujourd’hui, quel intérêt à découvrir un ouvrage de plus de quarante ans, de surcroît fastidieux à lire malgré la nouvelle et excellente traduction ? Peut-être pour (re)découvrir un pan non négligeable de la contre-culture américaine, où l’on imaginait autre chose, histoire de rompre avec les sirènes de l’« American Way of Life ». Les problématiques soulevées par Ernest Callenbach et les réponses qu’elles obtiennent en Écotopia puisent en effet leur source dans l’écologie politique et radicale. Les solutions mises en œuvre par les Écotopiens démontrent qu’un autre monde est possible, mais elles appellent à une redéfinition complète des modes de vie, de consommation, de production et de gouvernance. Un renversement total de paradigme, sans doute un peu rude à digérer pour des populations profitant des bienfaits à court terme de la croissance. Écotopia est en effet une utopie écologiste fondée sur les prin-cipes de la décroissance économique et démographique. Les Écotopiens cherchent avant tout à réduire leur empreinte écologique pour aboutir à un état d’équilibre. Ils prônent le rejet du productivisme, du consumérisme, de l’individualisme et du capitalisme. Bref, les fondamentaux de la société industrielle. À la place, ils défendent l’idée d’une exploitation raisonnée des ressources, où prévaut le recyclage intégral. Ils pratiquent l’amour libre, tout en affichant leur préférence pour la vie en communauté, non sans éviter l’écueil du communautarisme. Chacun de ses membres a voix au chapitre, dans la plus élémentaire égalité, y compris des sexes, pouvant éliminer ses frustrations au cours de simulacres de guerre. Les Écotopiens développent enfin une économie de la parcimonie, où chacun bénéficie de garanties pour vivre décemment, ne rejetant pas la technologie lorsqu’elle sert leurs desseins, mais n’hésitant pas à user de la coercition pour mener leur projet à terme.
Ainsi, entre essai théorique, manifeste politique et fiction romancée, Ernest Callenbach dessine le portrait d’une société où l’utopie se mue en objectif désirable, car porteur d’un projet d’avenir optimiste. Et, même si Écotopia échoue sur le terrain de la littérature et du romanesque, l’ouvrage se montre visionnaire sur de nombreux points qui donnent à réfléchir à la lumière de la situation présente de notre monde.
Laurent LELEU Première parution : 1/1/2019 Bifrost 93 Mise en ligne le : 18/7/2023