Qui a tué Jules Verne ? Est-ce son neveu Gaston qui, déjà, le 9 mars 1886, tire sur lui deux balles de revolver à bout portant ? Ou son fils Michel qui « rewrite » à partir de 1905, avec un talent indiscutable, ses romans posthumes ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un « assassinat volontaire » puisque l'artiste se tue - au sens propre - par le travail (deux ou trois volumes par an pendant plus d'un demi-siècle) ?
Bon père, bon fils, bon époux. Et pédagogue éminent, c'est sûr. Mais pourquoi fait-il emprisonner puis embarquer de force, pendant dix-huit mois, son propre fils sur un bateau en partance les Indes ?
Romancier de la science et inventeur des machines. Démocrate à l'éveil des nationalités. D'accord. Mais pour aussi expression des courants les plus rétrogrades de son époque (racisme, antisémitisme). Amateur de femmes, c'est certains, mais que signifie cette image de l'adolescent traînant tous les cœurs après soi qui envahit peu à peu ses romans ? Pourquoi affuble-t-il ses personnages de noms si bizarres ? Et que sont devenus ces deux ou trois mille cryptogrammes ou anagrammes qu'il compte pendant ses insomnies ?
Marc Soriano les a peut-être retrouvés. Dans une biographie à la fois tendre et cruelle - recherche interdisciplinaire et reconstitution romanesque - il aborde le « cas Verne » en suivant de multiple pistes, l'histoire, la psychanalyse, etc. Et en particulier celle du langage de l'artiste, continuellement remis en question par de surprenants calembours rassemblés en un index.
Verne, ce jeune veillard de cent cinquante ans, apparaît, au terme de cette enquête, comme un écrivain masqué, codé, à décrypter, porteur - comme le Sphinx - d'un étonnant secret qui est peut-être le nôtre.