[Critique parue exclusivement dans la version numérique de la revue]
Ce premier roman met en scène trois personnages, au cœur d’une métropole habitée par une puissance monstrueuse et assassine. Ce premier monstre du roman, invisible et cruel, restera plus insaisissable encore que celui de Planète interdite. Mais on sent son effet sur toute la société, scotchée aux chaînes d’information en continu pour apprendre ses derniers méfaits – et peut-être qui il est ou ce qu’il est.
C’est sur cette question de l’identité du monstre en trame de fond que se déploie l’aventure de David, Alice et Dominique. David est un cadre moyen, marié et père de deux enfants. Plutôt sportif, sûr de lui, pas de Rolex mais bientôt sans doute, installé dans sa berline, il profite de l’absence de sa famille pour errer dans la ville en quête d’une aventure d’un soir, après s’être embué l’esprit de quelques drogues. De temps à autre, des visions de corps saignants s’emparent de son esprit et il se met à dévorer des kilos de viande.
Alice est une enseignante mal dans sa peau : peu à l’aise avec un corps banal, sans vocation pour son métier, célibataire marquée par le divorce de ses parents, elle est incapable de s’ouvrir à autrui. Alors le soir, devant sa télévision, elle modèle maladroitement des statuettes en argile, reste d’une vague ambition d’enfant d’être un jour artiste. Jusqu’à ce que sa dernière statuette semble s’animer d’une vie propre…
Dominique est à l’orée de la vieillesse, et insatisfait. Il est homme mais aurait voulu toute sa vie être une femme. Retranché dans une vaste demeure qu’il a transformée en cabinet de curiosités, il a ouvert un restaurant de mensonges, où grâce à ses filtres magiques, il concocte des plats qui délieront les langues et feront se parler sincèrement les convives qui viennent y manger. Bien évidemment, Alice et David, réunis par le hasard d’un site de rencontres, vont se retrouver dans le restaurant de Dominique et s’y mettre à nu.
Les Monstres se veut un roman tout à la fois philosophico-psychanalytique, à dispositif et d’ambiance. La question centrale est : qui sommes-nous vraiment, au fond de nous ? À quoi aspire-t-on quand on se défait des fausses ambitions et des petits compromis quotidiens ? Quels sont nos monstres intérieurs et comment peut-on les domestiquer pour être plus vrais, plus sincères avec soi-même ?
La fiction repose sur un dispositif énonciatif qui permet de distinguer les trois personnages : à David, le narrateur dit tu, à Alice vous, et de Dominique il dit il/elle.
Les chapitres sont courts et font s’alterner chacun de ces points de vue. Ils sont répartis en dix sections, chacune ouverte par la définition d’une créature imaginaire, souvent monstrueuse. Charles Roux veut écrire également un roman d’ambiance, tout en prenant le temps de bien exposer le profil psychologique de ses personnages avant de les faire se rencontrer tous trois, ce qui ne se produit qu’à la moitié du roman.
On retrouve assez exactement l’esprit de notre temps, un peu trop sans doute car finalement Les Monstres ne nous apprend pas grand-chose de plus sur nous : les personnages sont assez archétypaux, et le propos général n’a guère de mystère. La lentille que pose l’auteur sur nos vies est transparente et, finalement, l’invitation à réenchanter notre existence en sachant rompre avec le quotidien mensonger tombe à plat. Reste l’ambiance. Mais on est loin, très loin, par exemple, de la nuit féérique des Amants de Louis Malle qui a noué ces questions dans une intensité dramatique exceptionnelle.
Arnaud LAIMÉ
Première parution : 1/7/2021 dans Bifrost 103
Mise en ligne le : 19/12/2024