GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 660 Date de parution : 1er avril 2021 Dépôt légal : mars 2021, Achevé d'imprimer : 8 mars 2021 Première édition Roman, 368 pages, catégorie / prix : F7b ISBN : 978-2-07-293107-9 Format : 10,8 x 17,8 cm✅ Genre : Fantasy
Plus de trois siècles après la Grande Nuit, Sheltel, l’île du centre du monde, se croit seule rescapée de la catastrophe. Mais un jour, la Main, sorcière chargée de donner la vie et de la reprendre, aperçoit un navire à l’horizon. Il est commandé par une pirate impitoyable, bien surprise de trouver une île au milieu du Désert Mouillé.
Si la Main voit en ces étrangers une menace pour ses secrets, Arthur Pozar, commerçant sans scrupules, considère les intrus comme des clients potentiels, susceptibles d’augmenter encore, si possible, son immense fortune.
C’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Qu’elle les mène à la gloire ou à la ruine, la sorcière, la pirate et le vieux marchand en seront les instigateurs, bien malgré eux.
Derniers jours d'un monde oublié est le premier roman de Chris Vuklisevic. Il a remporté le concours organisé pour les vingt ans de la collection Folio SF. Indéniablement, une nouvelle grande voix de l'Imaginaire est née.
Chris Vuklisevic est née en 1992 sur la Côte d’Azur et a grandi à Antibes, près des montagnes rouges de l’Estérel. Depuis 2011, elle vit à Paris où elle a mené des études en sciences du langage et en édition à la Sorbonne. Chroniqueuse pour La Bouquinerie Jeunesse, une émission littéraire de Radio Campus Paris, elle est aussi membre cofondateur de l’association Heptalone, qui offre aux écrivains des retours gratuits sur leur manuscrit.
Critiques
Sheltel, une île isolée depuis le cataclysme de la Grande Nuit il y a trois siècles. Elle était au centre du monde, passage obligé à équidistance des trois continents ; elle a disparu pour eux. Elle, de son côté, est sûre d’être seule à avoir survécu à la Nuit. Et voilà qu’elle est redécouverte par un navire pirate commandé par la capitaine Kreed. Pour le meilleur ou pour le pire.
Sheltel, isolée, en manque de ressources – même l’eau y est parcimonieuse –, a développé un système malthusien de rationnement et de contrôle des naissances qui épargne la maigre élite de l’île. Pour les autres c’est, outre la pauvreté, consanguinité interdite, malformations interdites, pouvoirs magiques sous contrôle ou éliminés, et la règle principale : « Quand une vie arrive une autre doit partir ». La royauté (les Natifs et leur peau reptilienne), le culte de la Bénie (qui achète par l’aumône la loyauté du peuple, contre les Natifs), la chefferie Ashim (d’ex-réfugiés jamais vraiment intégrés), et la Sorcière (une force tellurique incarnée) assurent l’ordre et allouent les ressources rares selon des règles ancestrales qui ne laissent place à aucun libéralisme politique. Le conflit politique larvé se joue entre eux ; le peuple est exclu et survit comme il peut dans un système autoritaire. Avec l’arrivé des pirates, tout changera peut-être, en dépit du conservatisme de puissants locaux qui ne veulent rien tant que garder leur pouvoir ou des manigances d’autres qui voient dans les étrangers une opportunité supplémentaire d’enrichissement. Time will tell.
Derniers jours d’un monde oublié est une histoire de fantasy politique racontée par l’entremise de trois personnages principaux (qui donnent leur nom aux scènes). La Sorcière, une puissance mystérieuse qui donne et prend la vie selon de cryptiques règles visant à assurer l’homéostasie de l’île – elle cache deux terribles secrets. Arthur Pozar, le vieux marchand, un riche qui s’est extrait de la misère et ferait tout pour ne pas y retourner – il conseille la Bénie et espère gouverner à travers elle. Erika, la pirate, « fille » de la capitaine Kreed – une machine à tuer qui voit ici une occasion de quitter le navire et de prendre sa liberté. Le roman est l’entrecroisement de leurs peurs, de leurs actions parfois irréfléchies, de leurs bassesses, de leurs moments de dignité, de leurs changements d’attitude. Pleins de contradictions, ces personnages font vrai, loin, si loin du manichéisme d’une grande partie de la production contemporaine. Aucun n’est juste ni bon ni mauvais (sauf peut-être le Natif), chacun est humain en ce qu’il est fait de facettes contradictoires que des lumières nouvelles vont éclairer différemment.
Les personnages sont une des forces du roman, avec la vraie cruauté que l’autrice n’hésite pas à montrer, l’ironie qu’elle déploie, et la manière plutôt habile par laquelle elle informe le lecteur sur son monde (dans les dialogues et par l’utilisation de vignettes informatives d’ambiance – une méthode reprise à Tous à Zanzibar).
En revanche, l’ouvrage laisse au moins deux insatisfactions. Certaines situations ou évolutions rapides semblent peu crédibles, et surtout on a l’impression de lire une pièce de théâtre plus qu’un roman. Beaucoup se passe en off, le saut d’un moment à l’autre est souvent trop brutal, le background global, tout juste entrevu et pas à la hauteur du background politique, donne une impression de théâtre d’ombres. On a l’impression de passer d’une scène à l’autre et d’un dialogue à l’autre sans vraie solution de continuité, de progresser sur les pas des personnages dans un monde aux contours imprécis, de n’être là que pour entendre ce qu’ils nous disent bien plus que pour le voir ou le vivre – les scènes nommées comme les personnages, tels les descriptifs des scènes dans le théâtre classique, amplifient encore cette impression.
Des qualités, donc, mais du travail encore. Souhaitons bon vent à Chris Vuklisevic après ce premier roman prometteur ! Elle a l’estomac dont devrait être fait la littérature. Reste à parfaire la forme des abdos.
- Comment ca, rmd, tu chroniques un livre de fantasy ? Déjà que tu t’es répandu sur les réseaux sociaux pour dire du bien d’Un long Voyage l’année dernière…
- Alors là, mon jeune ami, je te coupe : Un long Voyage était un roman de science-fiction dans un décor de fantasy, on ne me berne pas comme ça !
- Et plus récemment, tu n’as pas tari d’éloges sur le Sang de la cité …
- Oui, mais quand on me parle de vin et de bonne chère agrémentés de quelques meurtres, on me prend un peu par les sentiments… Et puis les gimmicks de fantasy sont plutôt légers dans ce roman.
- Et là, pour Derniers jours d’un monde oublié, quelle est ton excuse ?
- Euh, je vais en dire un peu de mal ? Après tout, c’est vraiment de la fantasy !
Folio SF aime bien se distinguer des autres collections de poche en publiant au rythme d’une fois par an (je n’ai pas vérifié mais ça ne doit pas être loin de cela) un livre inédit. Et cette fois, pour fêter ses 20 ans, la collection a organisé un concours pour trouver ce roman, découvrant ainsi une nouvelle autrice.
Un bateau pirate dirigé par la cruelle capitaine Kreed aborde une île au milieu de l’océan, un endroit supposé vide de toute terre. Cette île, Sheltel, fonctionne selon un système terrible de contrôle de la population : pour garantir sa survie malgré des ressources limitées, une sorcière, la Main, fait le compte de la population et pour chaque naissance exige une mort. S’ajoute à ce système une caste dirigeante, les Natifs, et deux communautés distinctes. L’île fonctionne ainsi, tant bien que mal, depuis 300 ans sans contact extérieur. L’arrivée du bateau pirate, avec dans ses bagages la possibilité mais aussi les craintes de renouer avec le reste du monde, va provoquer de nombreux bouleversements.
On le voit facilement dans ce résumé (qui laisse de côté de nombreux éléments spécifiques aux peuples de Sheltel) : le roman fait une grande place à un worldbuilding original. Une population isolée depuis plus de trois siècles, une organisation sociale unique, beaucoup de pouvoirs magiques ; et parmi les personnages une capitaine pirate et sa fille adoptive revêche, un marchand véreux tout puissant, une princesse sous sa coupe (la Bénie), un dirigeant mystérieux (le Natif), une sorcière décidant de la vie et de la mort de toute la population… Tout cela fera certainement plaisir aux amateurs de worldbuilding mais nuit quelque peu au rythme.
Mais passons outre ce décor chargé, que reste-t-il ? Trois personnages : Erika, la fille de la pirate, qui ne songe qu’à échapper à sa mère ; Nawomi, la Main omnipotente et isolée, et Arthur Pozar, le riche et vieux marchand. Si les deux premières sont vraiment réussies, Erika avec sa rébellion adolescente sans pitié et Nawomi avec sa recherche d’une vie normale rendue impossible par son rôle et son ascendance, Pozar est à la limite de la caricature dès son entrée en scène, ressemblant à l’oncle Picsou plongeant dans sa piscine de billets. Le récit va donc suivre alternativement ces trois personnages (aparté : est-ce vraiment utile d’indiquer au début de chaque chapitre le personnage concerné ?). Cette multiplicité de point de vue complète le worldbuilding en nous montrant plusieurs aspects de la société de Sheltel, mais allonge le récit et affaiblit le rythme jusqu’à cinquante pages de la fin où tout s’accélère brutalement.
Si Derniers jours d’un monde oublié est un roman original et ambitieux qui devrait plaire à de nombreux amateurs de fantasy, il souffre néanmoins de quelques défauts mineurs, comme un rythme un peu trop lent dû à un monde certainement trop riche par rapport à la taille du roman, laissant malgré tout quelques zones d’ombres; ainsi qu’un ton parfois trop moderne dans les interchapitres (et je ne parlerai pas de la présence de pastis…).