Avec Heures creuses, Elsa Boyer part d’un phénomène que chacun connaît : ces non-temps dans des non-lieux, ces minutes qui se larvent grisâtres, ces suspensions de vie. Entre la métaphore et le fantastique, ce second roman, paru en 2013, ne se laisse pas classifier. La rêverie fantasmagorique côtoie l’anticipation dystopique.
C’est l’histoire d’une ville qui se laisse couler dans les heures creuses, d’un homme sans qualités survivant sans appétit, à la recherche d’un tout petit peu de sens, d’un tout petit peu de calme, à la recherche de Gertrude Jeckyll. Gertrude Jeckyll, femme sous-marin fendant l’air anxiogène des heures creuses, femme disparaissant sans cesse au bout d’un couloir, femme dissoute dans son bain trop plein. Car les heures creuses dissolvent tout, douces et violentes comme les rêves d’une adolescente, elles couvrent de sable le bitume.
La ville agonise sous un dôme invisible, envahie par les mécanismes lents des iguanes, éblouie par l’immobilité des immeubles vides, engluée dans un temps semblable au temps de la préhistoire, un temps d’avant le temps. Plus de montre ni de compteurs : l’invasion invisible se glisse partout où les signes s’effacent : panneaux de signalisation, livres, mots.
Tapi dans sa Lotus Esprit, l’homme sans qualités brûle le vent gluant des heures creuses à 200 km/h, discute avec des iguanes et des cellules, dort dans des hôtels de bord de mer, hallucine, rêve, accélère, vit – pour combien de temps – dans la pesanteur qui décompose ses pensées et ses gestes.
Rafaelle GANDINI MILETTO (site web)
Première parution : 1/3/2021 nooSFere