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84K

Claire NORTH

Titre original : 84K, 2018
Première parution : Orbit (US), 22 mai 2018   ISFDB
Traduction de Annaïg HOUESNARD

BRAGELONNE (Paris, France)
Date de parution : 1er septembre 2021

Première édition
Roman, 512 pages, catégorie / prix : 20 €
ISBN : 979-10-281-1840-2
Format : 14,2 x 21,2 cm
Genre : Science-Fiction

Photographies de couverture : © plainpicture/NaturePL/Stephen Dalton.


Quatrième de couverture

Et si votre vie avait un prix ?
Pour commettre un crime, il suffirait de payer la facture.
Théo Miller connaît le coût d'une vie humaine - au centime près. Au Bureau d'audit des crimes, son rôle consiste à évaluer chaque dossier qui lui est confié et à s'assurer que les criminels paient intégralement leur dette à la société.
Mais lorsque son amour d'enfance est assassinée, tout change. Cette mort est la seule à ses yeux qui ne peut se résumer à une ligne de plus dans un bilan annuel. Car si les puissants de ce monde peuvent tuer en toute impunité, parfois le compte n'y est pas.

« Un roman extraordinaire qui côtoie le meilleur
du genre, comme La Servante écarlate. »
Cory Doctorow, auteur du Grand Abandon

« Un hymne dystopique pour le militant moderne,
un livre important et un thriller génial. »
Starburst

Claire North a écrit son premier roman alors quelle n'avait que quatorze ans. Comparée depuis à Philip Pullman, elle a publié de nombreux ouvrages retentissants comme Les Quinze Premières Vies d'Harry August. Entre 1984 et La Servante écarlate, cette dystopie sombre et dangereusement crédible a été saluée comme l'un de ses meilleurs romans.

Critiques

    Marx et Lénine l’ont affirmé, « l’État n’est qu’un instrument au service de la bourgeoisie », oubliant que, parfois, tel un Lé­viathan, il empêchait aussi les religions de se foutre sur la gueule. Vint Thatcher qui, du Léviathan, coupa ces appendices (éducation, santé, transport, aides sociales) utiles au peuple et que les deux grands anciens n’avaient pas su prédire. Dans 84K, Claire North imagine une Angleterre qui serait allée tout au bout de la logique thatchérienne, dans laquelle privatisations, externalisations et suppressions des crédits sociaux auraient atteint des niveaux tels qu’une population plongée dans une très grande misère y entrevoit (derrière des barrières) une petite élite qui en extrait sans limite la plus-value. Jus­qu’au point où même la police, la justice et la fiscalité sont passées entre les mains de la Compagnie (holding quasi métaphysique qui possède toutes « les compagnies qui possèdent des compagnies qui… », ad infinitum). Elle tient les manettes, elle fait des super profits en dégradant le service qui lui est concédé (super profits qu’elle augmente encore en détournant une partie des impôts qu’elle collecte pour l’État). Mettant l’État explicitement à son service, la Compagnie réalise ce qu’on appelle une capture du régulateur par le régulé – appliqué ici à l’État tout entier – et valide la thèse marxiste. Sans assurance privée, sans sponsoring privé, on n’est rien et on n’a aucun droit dans l’Angleterre de North ; jusqu’au droit de vivre en sécurité qui a aussi un prix. En effet, le système judiciaire est remplacé par un Bureau d’audit des crimes (où travaille Theo Miller, double littéraire du Winston Smith de 1984). On y évalue l’indemnité à payer en cas d’infraction, une indemnité qui dépend de la gravité de l’infraction mais aussi de considérations morales, des circonstances et de la valeur économique actualisée de la victime. Un pauvre, un malade, un étranger valent peu, d’autant moins quand on est assez riche pour pouvoir facilement payer. Ceux qui ne le peuvent pas, en revanche, sont condamnés au « hachoir », sorte de sweatshop moderne dont on sort aussi souvent mort ou « acheté » par un riche (à quelle fin ?) que parce qu’on a fini sa peine. Et il y a encore pire ; il faut bien se débarrasser des surnuméraires…

    Miller est l’un des rouages du système. Moyen, quelconque, pas spécialement courageux, il participe à le faire tourner en fixant le montant des indemnités à payer en cas d’infraction (indemnités censées aller à la victime, mais dont les « frais de gestion » absorbent une très grosse partie). Il obéit à la règle sans état d’âme, réalisant cette « banalité du mal » que suspecta Arendt en Eichmann. Et voilà qu’un jour une ex petite amie le contacte, lui apprend, avant d’être assassinée, qu’il a une fille et que celle-ci est retenue dans une prison du Nord. Pour la première fois de sa vie, Miller décide de réagir, d’aller chercher son enfant, et accessoirement de détruire le système.

    Raconté sur trois fils principaux, sur un mode proche du courant de conscience, le récit est haché par des sauts de temps, de narrateur, d’action, visibles souvent dans la mise en page même, avec sauts de ligne et interruption de phrases. Narration syncopée censée représenter sans doute l’état de con­fusion mentale d’individus qui n’ont plus de certitudes ni d’avenir clair, elle engendre une mise à distance du lecteur renforcée par l’impression tenace que North adore se regarder écrire.

    Sur le fond, le roman est trop proche temporellement et trop décalé socialement pour être crédible – on pense ici au Cadavre Exquis d’Augustina Bazterrica ; il ne suffit pas d’avoir un peu lu Marx et d’être très indignée pour écrire de la bonne dystopie. Orwell racontait une dystopie qui, à peu de choses près, existait ; North imagine une métaphore de ce qui dysfonctionne dans le monde. De ce fait, l’un était terriblement crédible alors que l’autre ne tient qu’à la qualité d’une métaphore malheureusement outrée – et on ne parle même pas de la volonté « d’élimination des pauvres » qui rap­pelle les errements de Pinçon-Charlot. Enfin, détail trivial mais caractéristique, là où Smith (1984) se révoltait pour la transgression et la liberté et où Bernard Marx (Le Meilleur des mondes) voulait sortir d’un réel insupportable, Miller brave le système pour sauver sa fille, motivation caractéristique d’une époque qui vénère ses enfants mais fait, hélas, un brin film catastrophe. Un roman pour com­plétistes de Ken Loach.

Éric JENTILE
Première parution : 1/1/2022 dans Bifrost 105
Mise en ligne le : 4/2/2025


Dans le futur proche, le Royaume-Uni, dont l’Ecosse s’est détachée, est sous la coupe d’un régime autoritaire où la plupart des missions régaliennes ont été privatisées et absorbée par une société, devenue La Compagnie, monopole para-étatique de facto. La justice, notamment, est transformée en système purement comptable. Pour chaque crime, un montant compensatoire est calculé par les employés du Bureau d’audit des crimes en fonction de la gravité de l’acte, mais aussi de la probité de la victime. Les personnes les plus riches peuvent donc commettre n’importe quelle exaction sans aller en prison, du moment qu’ils ont suffisamment d’argent pour payer la compensation. Quant aux pauvres, direction le hachoir, camps de travail moderne, STO privatisé aux conditions de travail épouvantables.

Théo Miller est salarié au Bureau d’audit des crimes. Il mène une vie morne, évitant de se faire remarquer en bien ou en mal, jusqu’au jour où sa petite amie de jeunesse, Dani, le recontacte pour lui demander de retrouver sa fille, dont Théo est peut-être le père. Malgré ses réticences, Théo va devoir se mettre à la recherche de cette fille qu’il ne connait pas, surtout après l’assassinat de Dani.

Dans un décor fort semblable au film Le Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón, Claire North nous décrit un Royaume-Uni terriblement réaliste où la logique ultra-libérale est poussée au maximum. Les droits humains ont été abolis, les gens doivent trouver des sponsors pour vivre correctement ou faire des études, les villes doivent s’adosser à des entreprises (changeant de nom comme un vulgaire stade de foot) et ce qui s’applique aujourd’hui aux délits s’étend dans 84K aux crimes les plus graves, permettant aux riches de commettre les pires forfaits sans crainte. Le récit commence dans la péniche de Nélia, qui trouve le corps sanglant et évanoui de Théo. Celui-ci va se souvenir de son passé, de manière décousue, et les pièces du thriller vont se mettre en place.

L’autrice en ajoute dans la déstructuration du récit par son écriture même : profondément hachée par moment, elle saute des lignes dans des phrases qu’elle ne termine pas, change de période ou de narrateur en milieu des paragraphes, rendant visuellement la confusion mentale de Théo, coupable depuis plusieurs années d’une usurpation d’identité. C’est assez perturbant sur les premières pages, mais on s’habitue vite à ce récit morcelé, à ces phrases inachevées, qui augmentent la réalité du récit, et en on profitera pour saluer le travail de la traductrice, Annaïg Houesnard.

Claire North, par le biais du thriller, marche dans les pas d’Orwell. Si le titre est une référence implicite à 1984, l’autrice pousse à l’extrême la logique libérale à l’œuvre en Angleterre depuis Margaret Thatcher là ou Orwell extrapolait sur les dictatures nazies et staliniennes. Utilisant comme personnage principal un citoyen moyen au passé peu reluisant, rouage mineur de la machine judiciaire, un Winston Smith au goût du jour, qui en se rebellant comprend sa responsabilité dans le fonctionnement du système, elle dresse un portrait tragiquement réaliste d'un futur possible, d’une efficacité implacable.

 

René-Marc DOLHEN
Première parution : 26/10/2021 nooSFere

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