1 - Hervé ALVADO, Gautier et ses Contes fantastiques, pages 4 à 5, préface 2 - Hervé ALVADO, Les Contes d'hier à aujourd'hui, pages 6 à 7, article 3 - La Cafetière, pages 11 à 23, nouvelle 4 - Onuphrius, pages 25 à 60, nouvelle 5 - Omphale, pages 67 à 78, nouvelle 6 - La Morte amoureuse, pages 81 à 116, nouvelle 7 - Le Chevalier double, pages 121 à 132, nouvelle 8 - Le Pied de momie, pages 135 à 152, nouvelle 9 - Deux acteurs pour un rôle, pages 155 à 167, nouvelle 10 - Arria Marcella, pages 171 à 209, nouvelle 11 - Hervé ALVADO, Gautier et son temps, pages 218 à 225, notes 12 - Hervé ALVADO, À propos de l'œuvre, pages 226 à 239, notes 13 - Hervé ALVADO, Parcours thématique, pages 240 à 251, notes 14 - Hervé ALVADO, Lexique des noms propres, pages 252 à 254, lexique 15 - Hervé ALVADO, Lexique stylistique, pages 255 à 255, lexique 16 - Hervé ALVADO, Bibliographie sommaire, pages 256 à 256, bibliographie
Au temps déjà lointain où je ne connaissais des œuvres de Théophile Gautier que leurs titres, j’étais sûr de passionnément les aimer dès que je les pourrais avoir. Hélas ! la lecture des premières pages du « Capitaine Fracasse » m’empêcha d’aller au-delà de ce « Château de la misère » qui en constitue le premier chapitre. Et pourtant, il y avait là soixante grandes compositions de Gustave Doré des plus encourageantes… Un peu plus tard, j’essayai à diverses reprises de m’initier aux délices pagano-sensualistes de « Mademoiselle de Maupin », sans parvenir jamais à en dépasser la préface. Quant à « Émaux et Camées », je m’explique mal aujourd’hui d’avoir pu trouver, jadis, quelque agrément à leur perfection si savamment, si visiblement « fignolée » par le « bon Théo », ce « parfait homme de lettres », comme disait perfidement Baudelaire. J’eus aussi – j’ai encore, – de Gautier, les « Romans et Contes » et les « Nouvelles » ; mais, mis à part « La morte amoureuse », je m’étais seulement borné à les feuilleter sans grand enthousiasme.
Onze récits, composés entre 1831 et 1852 – et dont neuf ont été tirés de ces deux recueils – reparaissent présentement sous le titre de « Contes fantastiques », en un choix que nous offre M. José Corti.
Qu’en dire, maintenant que je les ai lus ? Pas grand-chose, sinon qu’ils m’ont paru dénués d’invention véritable et que leur manque d’originalité n’est que trop évident. D’ailleurs, Gautier ne faisait pas mystère de ses sources d’inspiration : Hoffmann, dont l’ombre est ici presque constamment présente, et, très épisodiquement, Chamisso. Tout cela a été excellemment démontré par M. Pierre-Georges Castex dans un important ouvrage – également édité par M. Corti – « Le conte fantastique en France », auquel je me permets de renvoyer le lecteur.
Je ne sais pas ce que sont ces « nouvelles fantastiques liées au thème du rêve » que M. Roger Caillois vient de publier, mais il m’a toujours semblé que l’onirisme et le fantastique devaient tout naturellement, et assez fréquemment, s’épauler, faire bon ménage. Pourtant, lorsque – comme c’est trop souvent le cas chez Gautier – le rêve vient en fin de compte tout expliquer et jeter bas tout fantastique authentique, je ne marche pas : l’auteur triche, et il y a tromperie sur la marchandise.
Cela dit, on trouve cependant quelque humour dans « Onuphrius », un charme conventionnel, mais parfois efficace, dans « La morte amoureuse », et une assez belle rencontre du « Chevalier double » avec lui-même, à l’ombre scintillante d’une forêt de sapins enneigés. Le volume s’achève avec « Arria Marcello » ; le meilleur, peut-être, de ces onze contes, le seul, sûrement, avec « La morte amoureuse », qui puisse se prévaloir d’un semblant d’atmosphère et de ce minimum d’« arrière-plan » sans lesquels il n’est point de récit valable. C’est aussi l’un des plus longs. Encore que le nombre de pages ne fasse rien à l’affaire, comme Maupassant, Bierce, le Pirandello des nouvelles et, plus encore. Tchékhov ou Saki – sans parler des spécialistes contemporains de la short story anglo-américaine – nous l’ont magistralement prouvé.
Curieuse histoire, d’ailleurs, cette « Arria Marcello ». Curieuse histoire d’un « envoûtement » mental, affectif, et dont Gautier nous assure qu’elle est un « souvenir de Pompéi », tout comme l’Allemand Wilhelm Jensen nous dira, un demi-siècle plus tard, de sa « Gradiva » (1903) qu’elle est une « fantaisie pompéienne ». Au reste, il existe bien d’autres analogies entre ces deux œuvres, et qui valent d’être relevées. D’autant qu’elles sont assez troublantes et que « Gradiva » jouit encore d’une certaine célébrité qu’elle doit aux surréalistes qui l’ont beaucoup prônée et, surtout, à une étude que Freud lui a consacrée, Chez Gautier, un jeune homme est « sous le charme » d’un moulage du sein d’une jeune Pompéienne morte, en l’an 79 de notre ère, lors d’une éruption du Vésuve ; chez Jensen, un autre jeune homme ne vit plus qu’avec l’image ou, plutôt, la reproduction d’un bas-relief représentant une jeune fille ensevelie, elle aussi, sous les coulées de lave du même cataclysme. Chez l’un et l’autre auteur, les deux jeunes hommes viennent pareillement à Pompéi où les attire le souvenir des deux jeunes mortes. Chez l’un comme chez l’autre, il est question de la maison d’Arrius Diomèdes. Chez l’un comme chez l’autre, les deux jeunes hommes retrouvent, dans les rues de Pompéi, les deux jeunes filles qui les hantent et dont ils sont naturellement amoureux. Toutefois, contrairement à ce qui se passe chez Gautier dont le héros est – on s’y attendait ! – la proie d’un rêve ou d’une hallucination, le jeune Allemand de Jensen est, lui, victime d’une prosaïque mystification amoureuse. C’est là le seul point notable par où ces deux œuvres diffèrent. Jensen avait-il lu Gautier ? Je laisse aux spécialistes de la littérature le soin de trancher la question.
Pour conclure, j’en appellerai au témoignage de Sainte-Beuve on sait qu’il ne prisait que très médiocrement l’œuvre de Gautier (cf. « Mes poisons ») ; et ce qu’il écrivait dans « Le Constitutionnel » du 30 novembre 1863, à propos des contes et des nouvelles de l’auteur du « Capitaine Fracasse », me paraît un bien équivoque compliment. Toutefois, cela reflète assez exactement mon point de vue : « Je n’ai point parlé, » note-t-il, « de cette quantité de jolies nouvelles (…) qui me font l'effet d’être du pur Gérôme en littérature…» ? Quand on sait que Gérôme, peintre officiel, abondamment médaillé, d’un métier aussi consommé que foncièrement académique, a signé, entre autres « chefs-d’œuvre », « Socrate vient chercher Alcibiade chez Aspasie », « La sortie du bal masqué », « Jeunes Grecs excitant des coqs » et certaine « Réception des ambassadeurs siamois par l’empereur, au palais de Fontainebleau », on se dit qu’après tout, pour fielleuse qu’elle soit, cette comparaison résume assez bien tout le « drame » de Gautier : il se voulut poète, romancier, conteur, critique, il ne fut jamais autre chose qu’un éblouissant peintre de genre.
Cela étant – et compte tenu des réserves qui précèdent – on se doit néanmoins de ne pas ignorer ces « Contes » si l’on veut vraiment connaître les débuts et l’évolution du fantastique en France. Balzac et Mérimée évidemment « hors concours », on se doit aussi de placer Gautier, sinon sur le même plan, du moins aux côtés des précurseurs et des pionniers français du genre : Cazotte, Nodier, Erckmann-Chatrian et Paul de Musset (1804-1880), frère aîné du poète des « Nuits », auteur d’une œuvre nombreuse, remarquablement écrite, injustement oubliée, et dont « Le maître inconnu » et singulièrement « Une vie du diable » sont de bien curieux romans fantastiques.
Une fois de plus, en réunissant ces « Contes fantastiques » quasi introuvables – et même s’il a eu, ce faisant, la main moins heureuse qu’en d’autres circonstances, – M. Corti, l’un des derniers et des plus farouches mainteneurs de la tradition du « libraire-éditeur », nous confirme, si besoin était, l’authenticité de sa courageuse et fière devise : « Rien de commun »
Roland STRAGLIATI Première parution : 1/5/1962 Fiction 102 Mise en ligne le : 29/12/2024