Juhani KARILA Titre original : Pienen hauen pyydystys, 2019 Première parution : Helsinki, Finlande : Siltala publishing, 2019ISFDB Traduction de Claire SAINT-GERMAIN Illustration de (non mentionné)
La PEUPLADE
(Saguenay, Québec, Canada), coll. Fictions du nord Date de parution : 16 septembre 2021 Achevé d'imprimer : mai 2021 Première édition Roman, 440 pages, catégorie / prix : 27,95 $ - 22 € ISBN : 978-2-925141-01-3 Format : 12,5 x 19,0 cm✅ Genre : Fantastique
Quelque part en Laponie orientale, comme chaque année en juin, Elina a trois jours et trois nuits pour pêcher le seul et unique brochet de l'Etang du Pieu. Or, un cruel génie des eaux règne sur les lieux et complique tout. Elina n'a pas d'autre choix que de pactiser avec les forces surnaturelles des marais et d'affronter Jousia, son premier amour. Pendant ce temps, l'inspectrice Janatuinen enquête sur un mystérieux meurtre qui la mène à poursuivre l'héroïne. Avec l'aide d'excentriques locaux, les deux femmes devront associer leur fougue et leur fureur pour rétablir l'équilibre entre les mondes. Roman virtuose et drolatique, La pêche au petit brochet renouvelle la délicieuse folie qui a fait le succès de la littérature finlandaise.
Karila écrit de la littérature mondiale dans un esprit carnavalesque rabelaisien et avec des personnages dignes de Don Quichotte. (Jussi Leinonen)
Juhani Karila est né et a grandi en Laponie. La pêche au petit brochet, véritable phénomène littéraire en Finlande, a remporté plusieurs prix prestigieux où son écriture est comparée à celle d'Arto Paasilinna.
Critiques
Tous les ans, Elina doit revenir dans son village natal, un coin perdu du fond de la laponie, à une date bien précise pour pêcher le dernier brochet d'un lac en cours d'assèchement lorsque les chaleurs de l'été reviennent. Mais cette année, rien ne va : le lac est protégé par une créature aussi belle que malfaisante : un ondin, l'esprit des eaux. Et pour ne rien arranger, Elina est poursuivie par l'inspectrice Jananuiten qui la suspecte d'un meurtre.
On est habitué depuis quelques années aux romans de Johanna Sinisalo et à ce genre bien particulier qu'elle appelle elle-même le Finnish Weird, où des récits à priori réalistes basculent dans le fantastique et la science-fiction, utilisant notamment le folklore nordique. L'oeuvre emblématique de ce courant est certainement Jamais avant le coucher du soleil (actes sud) de la même autrice, où un journaliste d'Helsinki, en rentrant chez lui, sauve une créature qu'un groupe de jeunes frappait à terre. S'attendant à un pauvre animal, il recueille un troll qu'il héberge chez lui et avec lequel il développe une relation étonnante.
La pêche au petit brochet est dans le même esprit : ce qui semble commencer comme une simple partie de pêche est la conséquence d'une malédiction contractée par Elina plusieurs années avant. Car dans ce village, la magie existe vraiment et la présence de créatures fantastiques est parfaitement acceptée par la population locale. Mais à l'opposé de Sinisalo qui se sert de ses romans pour explorer les cotés les plus sombres de la société finlandaise et qui n'hésite pas à créer le malaise et secouer le lecteur, Juhani Karila reste dans l'humour et le merveilleux. Il compose un récit léger où rien n'est vraiment grave, déploie un comique de situation composé de quiproquos, de décalages entre la citadine rationelle qu'est l'inspectrice Janatuinen et les villageois adeptes d'explications magiques; il nous plonge avec douceur chez ces gens au parler et à la vie différente sans pour autant se moquer d'eux.
La pêche au petit brochet est un roman réjouissant qui nous emmène dans un monde où la réalité a fait un pas de coté, cédant la place au merveilleux pour le plus grand plaisir du lecteur. Juhani Karila a déjà publié deux recueils de nouvelles en Finlande; après la lecture de ce roman on ne peut qu'espérer que les excellentes éditions La Peuplade s'y interesse...
[Critique parue exclusivement dans la version numérique de la revue]
Une récente étude du World Happiness Report (oui, pareille institution existe…) révélait que la Finlande serait le pays le plus heureux du monde. Voilà qui suscitera, peut-être, des vocations d’émigration chez celles et ceux qui sont en quête d’un havre de bonheur en ce monde devenu généralement anxiogène, voire proprement désespérant. Mais avant que d’aller se réfugier en Finlande, on leur conseillera la lecture de cette formidable Pêche au petit brochet. Hormis un considérable plaisir de lecture, ce premier roman du finnois Juhani Karila leur permettra de sélectionner au mieux leur future région d’adoption…
Si l’on en croit en effet l’auteur, il est certains coins, ou plutôt recoins, de la Finlande, où le bonheur semble en rester à jamais au stade de la promesse. Il en va ainsi de « l’inepte Laponie orientale. […] Un ramassis herbeux de mottes indéterminées, comme si Dieu, après avoir réparti ailleurs ses pelouses, ses landes et ses forêts tropicales, avait plaqué le restant sur la calotte polaire. » Dans les rares bourgs comme égarés au sein de cette « alliance de […] vastitude et de […] vacuité », il n’y a décidément pas grand-chose à faire. Comme à Vuopio, principal lieu du livre, où les « distractions » les plus courantes sont l’espionnage du voisinage avec médisance en sus ou bien encore le harcèlement scolaire et les violences domestiques. Pour les plus pacifiques des habitants et habitantes de Vuopio, reste la pêche dans l’un des étangs sourdant de l’humide contrée. Parmi ces aficionados locaux des loisirs halieutiques, l’on compte Elina, l’héroïne du roman. À l’orée de celui-ci, cette native de Vuopio regagne son village, après en être partie pour étudier dans le Sud de la Finlande. Puis la voici bientôt partie pêcher (sans doute l’aura-t-on deviné) le petit brochet…
Mais loin d’être banale, et encore moins synonyme de détente, la partie de pêche s’avère bien vite aussi singulière que périlleuse. Et ce, pas uniquement parce que les moustiques pullulent à la faveur d’un été extraordinairement caniculaire, rappelant que la Laponie n’est pas épargnée par la catastrophe climatique en cours. En sus des myriades de ces envahissants et piquants insectes, Elina doit composer lors de sa pêche avec la faune pandémoniaque de Vuopio. Car sous le cercle polaire, « le vide horrifiant […] sécrète des monstres parcourant les tourbières ». Parmi ceux-ci, l’on compte « des kukkuluuraaja, farfadets narquois, des sinipiika, servantes des sous-bois » et autres teignons, grabuges et ondins. Tous témoignent à leur maligne manière de la survivance dans cette marge ultime de l’écoumène d’un surnaturel, dont participent aussi quelques-uns de ses hôtes humains. Elina possède ainsi certains talents sorciers, hérités de sa magicienne de mère. Et ces pouvoirs nécromants s’avèreront aussi utiles qu’une canne à pêche dans cette Pêche au petit brochet où la proie n’est pas celle que l’on pense, et de laquelle dépend pour Lena bien plus que le menu du jour…
Mais on arrêtera là de divulgâcher la trame de ce splendide roman, dont l’une des nombreuses et grandes qualités est un art narratif certain de la surprise. S’inscrivant dans la droite ligne de la Finnish Weird, ce surgeon subpolaire de l’Imaginaire, La Pêche au petit brochet cultive avec bonheur le réalisme fantastique teinté d’ironie. À l’instar notamment des œuvres les plus réussies de Johanna Sinisalo, Juhani Karila marie ainsi le prosaïque et l’extraordinaire de la plus convaincante des manières. Donnant souvent lieu à d’inédites et fascinantes visions, cette relecture du réel à l’aune de l’ange du bizarre n’empêche pas le surgissement de l’émotion. Car La pêche au petit brochet est aussi un roman d’amour aussi beau que touchant.
P.S. : On signalera, toujours chez La Peuplade, la parution de trois titres de la finlandaise Tove Jansson, la créatrice des Moumines. Si ces livres ne relèvent pas de l’Imaginaire, ils prolongent bellement l’univers de la mère des fameux trolls…