SCYLLA
(Paris, France) Date de parution : 10 janvier 2023 Dépôt légal : novembre 2022 Première édition Roman, 272 pages, catégorie / prix : 15 € ISBN : 978-2-956009-52-8 Format : 12,0 x 17,0 cm✅ Genre : Imaginaire
Ouvrage ayant fait l'objet d'un crowdfunding du 1er mars au 2 mai 2022 (avec comme prix de lancement 10 €). Le scan de droite montre l'intégralité de l'illustration ayant servi pour le livre et que l'on retrouve sur la couverture, la 4ème, la tranche et les 2 rabats. À noter, chose assez exceptionnelle, que les épreuves de ce livre ont fait l'objet d'une illustration spécifique de Stéphane Perger, présentée ici en dernier scan. Les cartes dessinées par Arnaud S. Maniak sont situées sur l'intérieur des rabats et les 2ème et 3ème de couverture.
Existe en numérique au prix de 6 €, ISBN 978-2-956009-53-5 commandable directement sur le site de l'éditeur.
1 - Laurence JONARD, Une postface, pages 221 à 224, postface 2 - MELVILLE, Le Jeu de l'éveillée, pages 229 à 247, jeu
Critiques
Ha birviken ho kaohigellou Et jamais vos dépotoirs Ne wastint he brohenn dezi, Ne lui abîmeront la peau, Ken rust ha ken teo ha ma'z eo ... Qu'elle a très rude et très épaisse... ...Zoken ma zav bremañ an heol ... Même si notre soleil se lève maintenant War eun hedgwel merglet, Sur premier plan de rouille,
Gand eur veredad kirri-tan en e lagad, Avec un cimetière de voitures dans l'oeil, Rag eun heol glaz eo hennez, Car c'est un soleil vert, O hunvréal ennañ e-unan en deiz Qui se rêve lui-même le jour Hag o teuzi da noz Et se dissout la nuit E hunou ar Vretonned, Dans les sommeils bretons,
Extrait de "Ar men du" (la pierre noire), poèmes bilingues de Pierre Jakez Hélias, utilisé par Tri Yann dans An heol a zo glaz (le soleil est vert, 1981)
Sauda, musicienne bretonne d’une cinquantaine d’année, navigue entre le monde réel (le « bas-lieu ») et des mondes imaginaires, abreuvés de sources légendaires, où elle est accompagnée par diverses créatures surnaturelles. Alors qu’elle revient dans le monde réel, elle s’efface peu à peu de celui-ci, retrouvant des amis qui ont vieilli de vingt ans alors que seulement quelques mois se sont écoulés pour elle ; elle ne laisse qu’une faible empreinte dans leur mémoire, conduisant à redéfinir sa nature même et son lien avec ces mondes.
S’il est bien une œuvre qui me revient en mémoire à la lecture de TysT, ce n’est pas, comme le suggère la postfacière, un personnage de mes lectures adolescentes, mais cette chanson de Tri Yann consacrée à la lutte de la population bretonne contre la construction d’une centrale nucléaire sur le site de Plogoff (Plougoñ en breton, comme on peut le voir sur la carte ornant la seconde page de couverture du livre).
Car Tyst, s’il est avant tout le récit d’une fantasy mélancolique, à cheval entre le monde réel et des mondes imaginaires, où les animaux parlent, où le temps ne s’écoule pas de la même manière, est aussi ancré dans le territoire breton, sa culture, ses légendes et ses combats.
Plutôt que le domaine du silence, Tyst est le royaume du non-dit. Divagation poétique entre un terrain concret et une vision résolument originale de la fantasy par luvan, Tyst n’est pas une œuvre facile à suivre. Il faut accepter de perdre pied, de ne pas tout comprendre et se laisser porter par cet univers fluctuant. C’est aussi un ouvrage rempli de joies et de peines, de mélancolie lorsque Sauda découvre qu’elle disparait de l’esprit de ses amis du monde réel. Tyst s’éloigne aussi des clichés habituels de la fantasy : loin du héros solitaire promis à un destin extraordinaire grâce à une prophétie et dont le chemin est un long apprentissage, le roman s’articule autour d’une personne déjà mature entourée d’un collectif hétérogène composé de créatures mythiques et d’animaux parlants dont la quête est avant tout intime.
Enfin, comme dans une grande partie de l’œuvre de l’autrice, c’est un rapport unique à la nature, à la fois dans sa pureté originelle, sans ses altérations humaines, mais aussi une évocation des dégâts que l’on y porte, par le biais de cette matière verte, dans laquelle on verra au choix le nucléaire évoqué plus haut par Tri Yann ou la pollution massive des côtes bretonnes par les algues vertes provoquée par l’élevage intensif.
Tyst n’est pas une œuvre qui peut laisser son lectorat indifférent : soit on accepte ce voyage flou, soit on le rejette. Mais dans le premier cas, ce sera un flot d’émotions, de perceptions, d’étrangetés uniques qui ne pourra que toucher, voire chambouler, le lecteur ou la lectrice.
La postface présente le dernier né de luvan comme un conte breton sophistiqué, une high fantasy prototypale. Le fait est qu’il emprunte bien à la fantasy ses principaux motifs – même s’il les colore d’éléments science-fictifs. L’héroïne, le grand péril, les créatures surnaturelles, la quête à accomplir sont comme autant de balises dans un récit qui ne cesse de vouloir s’en écarter, de prendre la tangente pour « charmer le temps ». C’est que le voyage de l’héroïne se double, chez l’autrice et son lecteur complice, d’un voyage dans la mémoire, à la recherche de quelque chose que chacun a connu et oublié, quelque chose qui a fondé nos goûts, derrière lequel nous courons éperdument. Chez luvan, la conscience est liée à la rêverie. C’est parce qu’elle est consciente que tout se tient, et aussi qu’il y a un monde à part dans la fiction, un monde qui n’est pas réel, mais vrai. La passion de l’imagination est son moteur. Avec l’imagination, tout recommence : car « comme on fait son rêve on fait sa vie. » (Victor Hugo)
Ce plaidoyer pour l’imagination commence pourtant dans un cauchemar. Celui d’un monde futuriste, qui pourrait être le nôtre. Un monde d’après la troisième guerre mondiale, tombé sous la coupe d’une dictature militaire et rongé par les effets délétères de la « matière verte ». TysTpostulequ’à cet horizon visible (autrement appelé pays dormant) se juxtapose un envers « féérique », le pays vif, et qu’il est possible de guérir le réel en agissant dans l’imaginaire. Seuls quelques individus parviennent à passer d’un côté à l’autre, à l’aide de petits objets nommés sogas.
La musicienne Sauda Le Du est l’une de ces éveillés. Elle n’a rien de plus que les autres. C’est juste une femme fatiguée, une femme qui se cherche. Cette recherche l’amène à découvrir autre chose : l’anéantissement qui plane sur le réel menace aussi l’imaginaire.
Entourée d’une étrange compagnie d’êtres surnaturels, elle va se dresser avec ses modestes moyens de rêveuse lucide contre l’entropie grandissante, suivant le modèle typique de la quête qui se veut à la fois personnelle et universelle. Pour ça, il lui faut trouver entre les deux mondes (même trois, si l’on compte le pays veuf, ce nom qu’on donne dans TysT, aux rêves nocturnes) le plan – avec plus de pointillés que de flèches, il est vrai – d’une évasion. Plus elle fuit dans ces diverses strates de temps et d’espace, et plus elle s’avance en zone dangereuse, jusqu’aux écluses de la ville d’Ys entourées par la malebrume (autrement dit l’hiver ou la mort), qu’il faut symboliquement ouvrir pour que déferle la grande vague régénératrice. D’autant qu’il y a un autre risque à s’aventurer au-delà du réel. Celui qui traverse n’est plus tout à fait le même : il faut que le songeur soit plus fort que le songe, que le voyageur n’oublie pas le but du voyage, sinon il peut s’oublier et disparaître. Ici, l’apprentissage et la connaissance de soi sont les garants de la réussite.
Comme tout cela peut sembler bien abstrait, précisons que TysT plaira avant tout aux lecteurs adeptes de jeux littéraires et capables de larguer les amarres ; l’autrice – à dessein — donne peu de clés de compréhension. Inutile de paniquer, les enjeux sont intuitifs, et les personnages évoluent selon une logique propre aux rêves, aux contes, comme si tout cela était parfaitement naturel et limpide. Il y a une dimension ludique dans ce roman, qui tient à la manière dont le lecteur s’active à recoller les morceaux d’un puzzle narratif qui ne semble rien moins qu’improbable dans ses causes, son processus et ses effets.
En remède à l’époque étriquée, sans rêve et sans élan où nous vivons, TysT propose une utopie poétique et politique. luvan affirme l’imagination, la création, l’empathie comme composantes essentielles de notre existence. Réveillons-nous : rêvons, semble-t-elle nous enjoindre. Renouons avec l’éternel mouvement de l’imaginaire pour en faire surgir notre improbable avenir.