Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
Romans Fantastiques - 2

Gaston LEROUX



Robert LAFFONT (Paris, France)
Dépôt légal : 1961
Première édition
Recueil de romans, 646 pages
ISBN : néant
Genre : Fantastique

Édition reliée avec jaquette.


Critiques

    Le 22 avril 1925, dans son cabinet de travail du Palais de l’Étoile du Nord, à Nice, Gaston Leroux confiait à Frédéric Lefèvre : « Eh bien, je suis né le 6 mai 1868. C’est la vérité mathématique. Mais la vraie vérité humaine, c’est que j’ai cinquante ans et que je suis bien décidé à avoir cinquante ans le plus longtemps possible ; jusqu’à ma mort qui, je l’espère, arrivera le plus tard possible. » Elle arriva très vite, le 15 avril 1927. Leroux avait alors cinquante-neuf ans. Mais, selon « la vraie vérité humaine », il était beaucoup plus jeune que cela ; il avait l’âge de Rouletabille. Ou plutôt il ne connut jamais – comme son héros – que la fleur de l’âge, car il fut toujours étonnamment jeune. Et il l’est demeuré. Il n’est, pour s’en convaincre, que de lire l’éblouissant, le poétique tome 2 de ses Romans fantastiques qui se faisait attendre depuis bientôt trois ans. On y trouve, en un total de 650 grandes pages, trois romans : Le fauteuil hanté, Le cœur cambriolé, La double vie de Théophraste Longuet, plus une assez longue nouvelle, L’homme qui a vu le diable, publiée pour la première fois vers 1910.

    Je ne m’attarderai guère à ce dernier récit, quoique il ne soit pas sans mérites, nos lecteurs en connaissant déjà une version peut-être bien plus efficace, et que Leroux avait quelque peu remaniée en l’écourtant d’un bon tiers.

    Quant au Fauteuil hanté (1912), c’est une histoire fort singulière, et l’un des très bons romans de l’auteur. On y voit un terrible siège de velours qui, bien qu’apparemment anodin, n’en « tue » pas moins successivement, spectaculairement, trois académiciens de fraîche date, à l’instant qu’ils vont prononcer sous la Coupole leurs discours de réception. Un jour, pourtant, ledit siège trouve finalement « à qui parler », en l’héroïque personne de Jules-Louis Gaspard Lalouette, marchand de tableaux, auteur de divers opuscules, lequel devra à sa bravoure de stupéfier Paris et, au fait d’être « l’académicien qui ne sait pas lire », de passer à la postérité.

    Avec Le cœur cambriolé (1921), l’œuvre sûrement la plus romantique, la plus lyrique de Leroux – dont on nous donne ici un texte repris et très sensiblement amélioré par l’auteur lui-même, quoique d’un quart plus court que celui que l’on connaît généralement – avec Le cœur cambriolé, le ton change du tout au tout : Hector et la « chère, chère, chère Cordélia » s’aiment depuis l’enfance. Ils sont riches ; ils sont beaux ; on les marie ; et ils s’installent en Normandie. Pourtant, la jeune femme ne saurait être tout entière à son amour : déjà, dès avant les noces, un étrange peintre anglais, Patrick, s’est rendu maître de son cœur et de son esprit par le moyen de procédés spirites qui, sous le couvert d’un « commerce psychique », mettent en œuvre de biens troublantes « correspondances d’âmes ». Hector et Cordélia, conscients du péril qui menace leur bonheur, s’enfuient en Italie. Mais Venise leur sera fatale, où Patrick les rejoindra. Et ce sera la fin. Une fin inexorable, fulgurante, et que je laisse au lecteur la surprise de découvrir. Pauvre « chère, chère, chère Cordélia »…

    Pour La double vie de Théophraste Longuet (1904), pour cet authentique chef d’œuvre d’humour noir, qui est bien, avec La reine du Sabbat, La poupée sanglante, Les Mohicans de Babel, Mister Flow et quelques autres, l’un des maîtres livres de Leroux, c’est la première fois qu’on en peut relire le texte intégral, sa réédition publiée en 1929, par les héritiers du père de Chéri-Bibi, ayant été amputée par leurs soins de près d’un quart pour répondre à de discutables impératifs de librairie. On sait peut-être que La double vie avait d’abord paru en feuilleton, vers la fin de 1903, dans le grand quotidien parisien Le Matin. On sait sûrement moins qu’y figuraient, à l’occasion d’un concours organisé par ce journal, des indications relatives à un prétendu trésor de Cartouche et susceptibles de conduire à la découverte de l’un des « Trésors du Matin ». Quoi qu’il en soit, il s’agit tout de même là de bien autre chose que d’un quelconque ouvrage de circonstance. Je l’ai déjà résumé par ailleurs, à propos d’une pièce qu’en avait tirée Jean Rougeul et qui, représentée il y a près de cinq ans au Théâtre Gramont, n’y connut, naturellement, qu’un succès d’estime, ce qui revient à dire que ce fut un four noir. Je rappellerai cependant pour mémoire que Théophraste Longuet, fabricant de timbres en caoutchouc tout juste retiré des affaires, coule des jours paisibles – pas pour longtemps, hélas ! – entre une femme infiniment désirable et un ami très cher infiniment séduisant. Mais le vrai sujet n’est point là ; encore que de se savoir trompé ne contribue pas peu à pousser Théophraste à de biens regrettables extrémités. Le vrai sujet, c’est Louis-Dominique Cartouche, dit « l’Enfant », ou plutôt le récit des conséquences effroyables, cocasses ou surprenantes de sa « résurrection », quand ce bandit fameux décide sans préavis de se réincarner, le mercredi 28 juin 1899, dans le corps du falot Théophraste, cent soixante-dix-huit ans après qu’on l’a roué vif en place de Grève au joli temps de la Régence et des fabuleux agiotages de la rue Quincampoix.

    Voilà, pour l’essentiel, ce que sont les thèmes des trois « romans fantastiques » du présent volume. Mais l’essentiel, chez Leroux, n’est pas plus l’essentiel que « la vérité mathématique » n’est à ses yeux « la vraie vérité humaine ». L’essentiel, pour lui, c’est tout le reste. C’est un goût véhément du « vert paradis des amours enfantines » et de l’amour fou, qui ne sont, au vrai, qu’une seule et même passion (cf. Le fantôme de l’Opéra, Chéri-Bibi, Balaoo, Le cœur cambriolé, La poupée sanglante, Mardi-gras, Mister Flow) ; c’est un humour narquois, féroce, et tendre cependant, qui ne s’embarrasse guère du « bon bout de la raison » ; c’est un lyrisme échevelé, mais qui sait toujours ce que parler veut dire ; c’est un étonnant climat poétique – tellement étonnant même qu’on voit mal pourquoi les surréalistes l’ont pu négliger au bénéfice de Fantômas, ce Maldoror des calicots. Bref, c’est tout cela et bien d’autres choses encore. Tout cela qui fait que les cuistres spécialisés dans la dissection des romans policiers tirés au cordeau n’ont jamais rien compris au Mystère de la chambre jaune, pas plus d’ailleurs qu’au « charme de son presbytère » et qu’à « l’éclat de son jardin ».

    En dépit, ou à cause du plaisir constant qu’on prend à la lecture de ces Romans fantastiques, on ne peut que regretter de les voir aussi libéralement parsemés de coquilles, dont deux au moins méritent d’être citées : « Mais c’est sa lumière à elle » pour « Mais c’est sa manière… » (p. 203) et celle, surtout, qui nous assure (p. 547) que le petit commis de M. Houdry « poussa un point d’exclamation ». Et dire qu’il y avait autrefois des correcteurs d’imprimerie – tous « anars », d’une érudition confondante, fidèles au feutre noir à larges bords et à la lavallière – qui « vingt fois sur le métier remettaient leur ouvrage, le polissaient sans cesse et le repolissaient », et dont tout me porte à croire qu’ils couchaient avec leur Littré. Sans en demander tant à nos correcteurs actuels, on aimerait tout de même bien les voir faire un petit effort.

    Le commis de M. Houdry vient de me remettre en mémoire deux des plus extraordinaires histoires que je connaisse, qui figurent dans La double vie de Théophraste Longuet, et que je m’en voudrais de ne pas signaler. L’une met précisément en scène ledit M. Houdry, patron boucher de son état, qui, tuant chaque jour clandestinement « son » veau, ne se doute guère à quel point il a tort de se gausser des avertissements de Théophraste, lequel ne cesse de lui seriner que « ça finira par se savoir chez les veaux ». L’autre a trait à l’horrifique essorillement de M. Petito, professeur d’italien, que ce même Théophraste perpètre avec brio sur la toile cirée de sa table de cuisine.

    Ce même essorillement, on le retrouvera plus tard, avec des variantes, bien sûr ! dans les premiers Fantômas, comme on y retrouve au reste l’inexplicable disparition d’un train – train qui se muera postérieurement en métro au profit d’une nouvelle série d’aventures dues au seul Marcel Allain – disparition très exactement calquée, quant à la technique, sur l’un des épisodes de La double vie.

    Je souhaiterais, pour finir, qu’il se trouvât quelque jour des critiques et des essayistes, de ceux qui se sont justement acquis une large audience – je pense à vous, Roger Caillois, Claude Roy, Jean-Louis Bory, qui aimez ou aimeriez sûrement l’auteur du Cœur cambriolé – pour élever la voix et dire très haut que Gaston Leroux avait bien mieux que du talent. Afin que cela « finisse par se savoir ailleurs que chez les veaux ».

Roland STRAGLIATI
Première parution : 1/7/1964 dans Fiction 128
Mise en ligne le : 28/12/2023

retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87292 livres, 112201 photos de couvertures, 83728 quatrièmes.
10815 critiques, 47164 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3915 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD