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Nouvelles du Temps et de l'Espace

Geneviève GENNARI



LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN (Paris, France)
Dépôt légal : 1964
Première édition
Recueil de nouvelles, 284 pages, catégorie / prix : 15 F
ISBN : néant
Genre : Science-Fiction


Critiques

    À prêcher pour de mauvais saints dans un langage enflé, on s'expose à n'être pas entendu. C'est le péril que court Louis Pauwels en préfaçant quelques nouvelles d'une pauvre pécheresse dont il sera question plus loin. On me pardonnera ce langage renouvelé de l'Écriture. C'est notre prophète qui me l'inspire.

    Dans sa préface, Louis Pauwels mêle le véridique à l'abominable. J'abandonnerai l'abominable à ses admirateurs habituels. Je ne crois pas, en particulier, que cet assemblage de mots si agréablement paradoxal qui sonne « réalisme fantastique » veuille dire grand-chose. Il est certes clair qu'on peut lui donner une signification après coup, comme on peut en donner à toute expression. Il est bien évident que l'on peut dire de tel texte ou d'un autre qu'il relève du réalisme fantastique ; cela ne lui ôte ni ne lui ajoute un centime de sens, sans en octroyer pour autant à une expression aussi plate. Aucun slogan, selon les chimistes, n'a jamais fait mieux mousser une lessive. Il arrive, néanmoins, qu'une phrase heureuse en fasse mieux vendre. C'est là une autre affaire et la seule qui nous occupe ici.

    Quant au reste, si l'expression de réalisme fantastique signifie que la littérature fantastique s'efforce d'être crédible à force de réalisme dans l'instant où elle est lue, puisqu'elle ne peut impressionner que lorsqu'elle rend l'irréel vraisemblable, elle a exactement le poids de la plus lourde des banalités et concerne sans exception toute la littérature de l'imaginaire. À l'inverse, si elle veut dire que la littérature réaliste doit, pour nous restituer le quotidien ou plutôt pour nous réveiller au quotidien, l'extraire un tant soit peu de l'ordinaire, elle englobe avec résolution absolument tout texte écrit, et peut-être même tout discours, depuis le prospectus jusqu'au western en passant par Zola. Il apparaît dans cette perspective que L'assommoir relève de la littérature fantastique au même titre que Le prisonnier de Zenda ou même que les œuvres mortelles de Paul Bourget à quoi me font penser les nouvelles de Madame Gennari. 

    Le propre d'un concept est de renvoyer à autre chose qu'à une collection arbitraire d'objets ou d'œuvres, et il me semble parfaitement évident que la notion de réalisme fantastique a précisément failli, au moins pour l'instant, à cette tâche. Elle s'élève néanmoins à la dignité d'une ronflante platitude qui dispense à l'occasion le critique et son lecteur des fatigues de l'analyse.

    Je passerai plus légèrement sur les inévitables références aux dieux d'une mythologie dont les autels commencent à être bien pourvus d'ex-votos : le nouvel humanisme, la sémantique générale, la faillite du rationalisme, et sur l'inéluctable et obscur oracle que l'on fait rendre à l'un de nos meilleurs mathématiciens en profitant de la gêne ou de l'hébétude où le jette une question dont l'insondable prétention est fonction directe de l'ineptie.

    Cela dit, Louis Pauwels dit quelque chose qui vaut d'être examiné lorsqu'il écrit : « Je reviens au fantastique pur, lequel n'existe pas, sinon dans l'esprit d'historiens de la littérature pour qui celle-ci est comme le Duc de Guise pour ses exécuteurs : plus grande abattue que vivante », ou encore après avoir cité Marcel Schneider : « Quelque absolu de gratuité, quelque mystérieuse essence hors nature, serait-ce donc cela, le fantastique ? Qu'est-ce qu'une création de l'esprit sans contenu d'informations, sans attache d'aucune sorte avec la connaissance passée, présente ou à venir, et sans communication aucune avec le réel visible ou caché ? Les contes de fées eux-mêmes reflètent l'enseignement traditionnel sur la conduite de la vie intérieure… – Et quelques lignes plus loin (pendant lesquelles il faut subir malheureusement un énoncé finaliste qui n'a d'autre valeur que celle d'une profession de foi) : « Poser un fantastique pur, c'est poser une littérature pure, c'est-à-dire une activité créatrice qui ne devrait rien à rien, close sur elle-même, se suffisant. » 

    Ce sont là des propos auxquels, tels que je les ai cités, je ne puis que souscrire. Car le propre de la littérature, y compris de la littérature fantastique, c'est de renvoyer à quelque chose, ou plutôt à une modalité du monde réel. Ce n'est pas cette fois une banalité, mais bien une erreur de langage que de parler de littérature pure. La littérature ne peut plus se priver de signification, même si celle-ci n'est pas immédiate, que l'homme d'oxygène. Et si je n'accompagne pas de mes vœux les brocards que Pauwels lance au nouveau roman, c'est qu'il renvoie, sous ses meilleures formes, à quelque chose, le langage, même lorsqu'il semble choisir pour atteindre à une réalité aussi complexe les voies de l'incertitude. 

    Lorsque Pauwels établit, au contraire de Marcel Schneider, une continuité entre le fantastique et la science-fiction, il a cent fois raison. Je crois que le fantastique et la science-fiction, sous leurs formes extrêmes, renvoient à des univers et à des concepts profondément différents, mais j'estime avec Pauwels qu'ils renvoient, l'un et l'autre, à quelque chose, à des croyances, à des connaissances. Je doute que nous partagions les mêmes idées sur la nature, sur la signification de ces connaissances ou de ces croyances, mais je sais que nous sommes convaincus l'un et l'autre de l'impureté, de la matérialité de toute littérature et, autant que toute autre, des littératures de l'imaginaire. Je ne dirais pas, comme lui peut-être, que c'est ce qui fait leur grandeur, mais seulement qu'elles sont telles et que nous, lecteurs, les prenons pour ce qu'elles nous disent et non pour ce qu'elles feignent de nous refuser. 

    Malheureusement, les cinq nouvelles de Geneviève Gennari constituent une piètre illustration de ces nobles thèses. Elles ne renvoient avec beaucoup d'obstination, tant par leur style que par leur fond qui s'y moule comme dans un gant, qu'à un univers médiocre, infatué, creux, empreint de snobisme, de sottise et de la pensée la plus réactionnaire qu'il m'ait été donné depuis longtemps d'examiner. De toute évidence, elles ont été écrites pour la moitié ouest de Paris. La mort en Cornouaille nous expose, à grand renfort de poncifs élégants, la pauvreté du monde des riches telle que les riches aiment à se l'entendre conter afin de mieux se persuader de leur misère. Au terme d'une croisière pour grands de ce monde, qui permettra à Madame Gennari de nous décrire avec une suave pitié les malheurs physiologiques des puissants (par l'argent, par le talent, par l'intelligence, par la beauté, sublime quadrige qui vient à point nommé prendre la relève du trio bien connu du trône, de l'épée et de l'autel), la morale surgira de l'amour, de la mort et de la sagesse millénaire des Celtes. Tout y passe, la Jobardise des Américains, la puérilité enthousiaste du savant, le cynisme dur-amer du médecin allemand ex-nazi et le propos surréaliste de la belle névrosée Irlandaise dont l'âge ne cesse, malgré la fraîcheur de son teint, de se révéler plus avancé jusqu'à atteindre, qu'on me pardonne la brutalité de la tournure, sans doute celui de la narratrice. 

    Avec L'hélicoptère de papa, nous sombrons dans la technocratie et sacrifions aux hommes qui nous préparent, purs et durs, en toute responsabilité, un univers directorialisé où ils savent néanmoins, lorsqu'ils ont « de la classe », ménager en guise de liberté un zeste de catastrophe. Et ce qui ne va pas, c'est la faute de la masse, stupide, bruyante, ignorante et coléreuse dès qu'elle échappe à la prévoyance des chefs. De toute évidence, Madame Gennari est du côté des préfets. Elle sait que ce sont les héros des temps modernes. Elle le proclame. Chacun les siens. Certains pensent que les hommes du service public sont au service du public. Madame Gennari semble penser que le public est au service de la gloire. C'est dans le vent. Je vous ai dit que cette littérature-là était une littérature d'arrondissement. 

    Le dernier tour est en principe une nouvelle de science-fiction. Le puriste y détectera une petite erreur qui ne lui ôte en fait rien. Il y est dit en effet que la Terre, ayant tout à fait cessé de tourner à la suite de manœuvres frauduleuses, présente toujours la même face au Soleil ; cela signifierait qu'elle opérerait encore un tour sur elle-même dans le temps de sa révolution. Ça ne va pas loin. L'histoire non plus. 

    Le dernier train est assez dans la manière de Buzzati. Je veux dire par là qu'il s'agit d'une histoire désespérée, désespérante et au total insignifiante. Il ne lui manque que la somptuosité brève de l'écrivain italien pour être de qualité. 

    J'ai conservé Le dernier pape pour la fin parce que c'est la dernière histoire et aussi l'apothéose. On y voit dans un monde cette fois tout à fait directorialisé ou même collectivisé (quelle horreur !), où même les préfets ont cessé d'être des héros, un pauvre vieillard nègre, qui a refusé toute carte d'identité (et par extension quelque chose comme la sécurité sociale) parce qu'il est le pape, le dernier pape, emprunter un train interminable pour rejoindre les derniers chrétiens, et finir par accomplir un miracle qui a le goût d'être psychologique plutôt que mystique. Rien de commun dans le thème, on le voit, avec Hara-Kiri. Un beau morceau de littérature édifiante. Je vous livre ceci, à vous lions de l'arène : « Pourquoi la femme lui faisait-elle cette charité ? Ainsi ce serait cette Blanche Inconnue qui aurait été la dernière Samaritaine de tous les temps ? » C'était tout de même plus supportable sous la plume de Graham Greene. 

    Quant à l'expression, Madame Gennari donne volontiers dans le sublime contenu et la noblesse de ton ; dans son univers, la quête est toujours pathétique, la dignité muette, la noblesse certaine. C'est une dame qui connaît les sentiments. Ni ceux de l'avenir ni les miens. Ceux du seizième arrondissement qui, comme chacun sait, grignote comme un chancre toute la planète.

    Au total, je n'ai pas l'impression que Louis Pauwels ait lu ces nouvelles avant d'écrire sa préface. L'a-t-il fait depuis ?

Gérard KLEIN
Première parution : 1/7/1965 dans Fiction 140
Mise en ligne le : 3/7/2023

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