Christian BOURGOIS
(Paris, France) Date de parution : 7 septembre 2023 Dépôt légal : septembre 2023 Réédition Biographie, 540 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 978-2-267-05051-6 Format : 12,0 x 20,0 cm✅ Genre : Fantasy
« Ce livre a pour support les lettres, le journal et d'autres documents laissés par le professeur J.R.R. Tolkien, ainsi que les souvenirs de sa famille et de ses amis.
Tolkien lui-même n'aimait guère l'idée d'une biographie. Ou plutôt il lui déplaisait qu'on l'emploie comme une forme de critique littéraire. « Je tiens fermement », écrivit-il un jour, « que retracer la vie d'un écrivain est une manière fausse et entièrement vaine d'approcher son oeuvre. » Cependant il se rendait certainement compte que la remarquable popularité de son oeuvre rendait hautement probable la parution d'une biographie après sa mort, et il semble même qu'il s'y soit quelque peu préparé, car pendant les dernières années de sa vie il a joint des notes explicatives et divers commentaires à un certain nombre de vieilles lettres et de manuscrits. Il écrivit aussi quelques pages de souvenirs d'enfance, et on peut croire qu'il espérait que ce livre ne serait pas tout le contraire de ce qu'il aurait souhaité.
En l'écrivant, j'ai voulu raconter l'histoire de la vie de Tolkien en évitant toute évaluation critique de son oeuvre d'imagination. En partie par respect pour ses opinions, et aussi parce qu'il me semble que la première biographie d'un auteur n'est pas nécessairement le meilleur endroit pour porter des jugements littéraires qui refléteraient après tout le tempérament du critique tout autant que celui de son sujet. J'ai tout de même essayé d'indiquer quelques-unes des influences littéraires et autres qui ont infléchi l'imagination de Tolkien, dans l'espoir de jeter quelque lumière sur ses livres. ».
Humphrey Carpenter, Oxford, 1976.
Critiques
Parue en 1977, soit quatre années après la mort de l’auteur du Seigneur des anneaux, J.R.R. Tolkien, une biographie est la seule biographie de l’écrivain anglais. Biographie officielle, réalisée avec les témoignages des proches, elle suit le format le plus classique de ce type d’ouvrage : un récit chronologique allant de la rencontre de ses parents jusqu’à sa mort.
Sur près de 500 pages, Humphrey Carpenter, qui fut professeur dans un collège d’Oxford et y rencontra Tolkien, nous détaille la vie personnelle, universitaire et littéraire de l’écrivain. On y découvre un homme perfectionniste, à tel point qu’il ne parvient pas à achever nombre de ses travaux, laissant de coté sa carrière de chercheur universitaire pour peaufiner ses écrits, les recommençant et les corrigeant sans fin, tant et si bien qu’on en vient à se demander par quel miracle il a pu terminer le Hobbit ou le Seigneur des anneaux.
Centré sur la création de mondes imaginaires, le livre nous dresse le portrait d’un homme détaché du quotidien, dont les amitiés sont liées à d’autres hommes en fonction de leur amour pour les légendes nordiques et la création littéraire qui s’y rapporte. Seuls les chapitres sur la première guerre mondiale, où Tolkien, officier spécialisé en transmission, ne passe que quelque mois sur le front avant de revenir en Angleterre, semblent connectés au monde réel ; sa principale activité extra-universitaire étant sa dévotion à l’église catholique. On sait depuis que Tolkien s’intéressait malgré tout à l’état du monde, comme en témoigne sa lettre condamnant sans équivoque le nazisme lorsqu’un éditeur allemand a voulu traduire le Hobbit en 1938.
L’ouvrage est aussi, à travers Tolkien et sa femme Edith, une description de la vie d’un couple petit-bourgeois anglais du début du siècle, où le mari décide de tout en fonction de sa carrière et où la femme n’a qu’à suivre, supportant une vie ennuyeuse qui ne s’éclaircira qu’à la retraite de son mari.
Rédigé dans un style clair et agréable, J.R.R. Tolkien, une biographie est un ouvrage important et unique par ses sources (les amis et enfants de Tolkien sont décédés depuis) qui intéressera tous les amateurs et amatrices de l’œuvre de l’écrivain, détaillant ses inspirations, son perfectionnisme, montrant les origines et la construction de l’œuvre. On regrettera juste un défaut mineur : une traduction perfectible (une révision ne lui ferait pas de mal).
Tous les connaisseurs le savent : Tolkien n’aimait guère l’idée d’une biographie, parce qu’il pensait que « retracer la vie d’un écrivain est une manière fausse et entièrement vaine d’approcher son œuvre ». Il y a quelque chose de fascinant dans ce jugement a priori du travail biographique mené à bien par Humphrey Carpenter, car à lire son remarquable ouvrage, on découvre justement comment est né « Le Seigneur des anneaux », en particulier et plus globalement le « Légendaire » tolkienien : premières années de J. R. R. Tolkien en Afrique du sud, la perte de ses parents, sa conversion au catholicisme (initiée par sa mère), ses études sans le sou à Oxford, son don pour les langues mortes, l’horreur de la Première Guerre mondiale, sa maladie et les fatigues à répétition de son épouse Édith. Et puis le calme d’une vie studieuse, l’amitié avec C.S Lewis. On voit naître le Mordor dans le champ de bataille de la Somme ; l’amour des arbres et des forêts se dessine de l’enfance jusqu’à la fin de la vie de l’écrivain ; les personnages du « Seigneur des Anneaux » et de Bilbo le Hobbit apparaissent ici et là sous d’autres noms, d’autres visages : Gandalf est un guide de montagne à l’impressionnante barbe, Sam Gamegie est l’archétype du soldat anglais fier et idéaliste, etc. L’entreprise au long cours d’Humphrey Carpenter (qui passa huit mois chez Christopher Tolkien, cinq jours par semaine, rien que pour étudier les archives familiales) impressionne à bien des égards.
En 280 pages (à peine), d’une incroyable densité, Carpenter expose la vie de Tolkien, la porte au grand jour, explique le rapport de l’auteur avec le Catholicisme, la guerre, le mariage et la paternité (pas aussi idylliques que pourraient le laisser supposer la rédaction de Bilbo le Hobbit et, avant ça, Roverandom : Tolkien faisait régulièrement preuve d’un immense égoïsme). On perçoit le poids du « Seigneur des Anneaux », d’abord dans la vie de son auteur, puis dans le monde entier, un poids qu’on peut évidemment rapprocher au fardeau que devient l’anneau Unique pour son porteur : Frodo/Frodon. On s’amuse aussi d’apprendre que Tolkien a beaucoup joué au rugby, n’aimait pas voyager dans les pays qui le fascinaient pourtant, détestait cordialement les œuvres de Shakespeare et ne trouvait guère d’intérêt aux grands philosophes grecs qu’il fut évidemment obligé d’étudier à Oxford.
J.R.R. Tolkien, une biographie est un exemple saisissant de travail méticuleux où, avec une constance admirable, le sérieux et la précision l’emportent sur la passion ; par définition, certains aspects de la vie de Tolkien sont moins palpitants que d’autres, mais passée la page cent, au moment où le « Légendaire » tolkienien commence à émerger de l’esprit de son démiurge (grosso modo à la fin de la Première Guerre mondiale), tout amateur du « Seigneur des Anneaux » ne pourra qu’être happé par les détails (parfois intimes) d’une des plus impressionnantes success stories littéraires.
Thomas DAY (site web) Première parution : 1/10/2014 Bifrost 76 Mise en ligne le : 21/4/2020