Les deux nouvelles de Robert Lebel qui paraissent dans un recueil publié par les Éditions du Soleil Noir procèdent d'une conception surréaliste du fantastique. Toutes deux, elles évoquent une rencontre, véridique ou inventée, vécue ou rêvée, qui fut un signe, comme l'émergence dans notre monde d'un autre univers dont l'insolite se situe à le frontière du psychologique et du surréel. Toutes deux présentent un caractère initiatique, rapportent une expérience qui fut une étape dans la conquête de la réalité et de soi-même. Toutes deux enfin traitent eu fond des rapports de l'homme et du temps.
Dans la première et la plus longue. La double vue, le héros, peintre à la recherche de l'inspiration, découvre dans son immeuble, au terme d'une curieuse enquête, une sorte de société secrète à la doctrine tout ésotérique, qui réunit la nuit des épaves humaines dans un auditorium délabré, pour leur communiquer une sorte de foi, et qui est tout entière centrée sur une sorte de prêtresse orientalisante, la gardienne des lieux. D'abord simple curieux, le peintre succombe à l'envoûtement de la gardienne, mais bien plus à celui de la prêtresse qu'à celui de la femme. Malgré le cadre sordide dont elle s'entoure, ou peut-être grâce à lui, ne détient-elle pas une partie de la vérité ? Tout le talent de Robert Lebel a consisté à nous rendre proche, vraisemblable, presque immédiate, cette situation insolite, à élargir aux dimensions d'un univers le contenu d'une anecdote qui pourrait relever du fait divers ou du fantastique social à bon marché.
L'inventeur du temps gratuit est un autre personnage en marge que l'on pressent comme un exilé ou comme un ambassadeur d'un monde différent ou peut-être à venir. Il ne veut ni de la société ni de la domestication du tempe qu'elle signifie. Est-ce pour autant un anarchiste ? Rien de si simple. Et lorsqu'il se tait, la réflexion du lecteur se prolonge du côté de cette société future indécise qui aura d'autres usages et d'autres noms pour l'emploi du temps et que l'on pressent au-delà de nos horaires et de nos horloges.
Robert Lebel, on le voit, parle d'êtres en marge. Il en parle avec une voix subtile, presque secrète. Cette conception souterraine d'un certain fantastique peut paraître ancienne. Elle n'est jamais, sous sa plume, démodée. Mais seul le lecteur épris d'une certaine préciosité de l'idée plutôt que de la forme et d'une certaine rareté du ton, amateur de baroque littéraire, y trouvera son compte.
Le jury du Prix du Fantastique, composé notamment de Lise Deharme, Roger Caillois, André Pieyre de Mandiargues, Marcel Schneider, Robert Kanters, a décerné son prix pour 1965 au livre de Robert Lebel.
Gérard KLEIN
Première parution : 1/12/1965 dans Fiction 145
Mise en ligne le : 22/10/2023