En 180 pages, Roger Caillois présente ici un choix de reproductions se rattachant à l'art fantastique. Quel art fantastique ? Il s'explique sur ce point dans son Introduction, et développe le raisonnement qui a guidé son approche dans les chapitres suivants du livre.
À coup sûr, ce fantastique est avant tout subjectif. L'auteur ne s'en cache pas, et s'efforce de faire partager au lecteur, par l'analyse de certaines œuvres dont les reproductions accompagnent son texte, les raisons pour lesquelles il les juge fantastiques. Il exclut de sa présentation les œuvres qu'il rattache au « fantastique de parti pris », c'est-à-dire celles qui ont été créées expressément pour surprendre ; le « fantastique d'institution », qui englobe les contes, les légendes, la mythologie, etc. ; l'étrangeté qui résulte du simple dépaysement. Que reste-t-il ?
La stimulation de l'imagination par l'œuvre d'art paraît être, pour Roger Caillois, une condition pratiquement nécessaire au fantastique. Ce dernier se confond parfois avec une touche de mystère, voire avec ce qui n'est que saugrenu : autrement dit, la juxtaposition du quotidien avec le monstrueux lui paraît relever beaucoup plus strictement de son étude que, par exemple, le Jardin des Délices de Bosch. À cette dernière œuvre, il préfère (en tant qu'exemple de fantastique, s'entend) cette curieuse Tentation de saint Antoine de Jan Gossaert dit Mabuse où le seul élément inhabituel est la patte d'oiseau qui dépasse de la robe de la tentatrice.
Cette réduction du fantastique à ce qui ne sera, pour bien des lecteurs, que simplement énigmatique ou bizarre, s'accomplit au prix d'une limitation peut-être excessive du sujet. Roger Caillois écrit en effet (p. 46) : « Il faut au fantastique quelque chose d'involontaire, de subi, une interrogation inquiète non moins qu'inquiétante, surgie à l'improviste d'on ne sait quelles ténèbres, que son propre auteur fut obligé de prendre comme elle est venue et à laquelle il désirait parfois éperdument pouvoir donner réponse. » Est-il exagéré d'interpréter une telle affirmation comme la recherche d'une affinité intuitive, subjective, entre l'auteur de l'œuvre d'art et celui qui en prend connaissance ?
Roger Caillois éprouve une profonde attirance (toujours sur le plan du fantastique, est-il besoin de le répéter ?) pour les images d'écorchés. Ces êtres suppliciés, qui labourent ou méditent pendant que pendent leurs muscles et alors que leurs os sont partiellement à l'air, exercent sur lui une sorte de fascination ; il s'en explique, avec beaucoup de lucidité, au lecteur, mais il ne réussira pas à convaincre celui qui aborde ces images selon l'intention purement didactique de leurs auteurs, et en tenant compte du goût pour la décoration qui régnait à l'époque.
Mais qu'il partage ou non les convictions de Roger Caillois, le lecteur sera intéressé par l'exposé de sa démarche intellectuelle. Il goûtera en outre une abondance remarquable de reproductions, la plupart peu connues parce que rarement Incluses dans des ouvrages sur le fantastique. Et celles-ci pourront donner le départ à ses propres réflexions : une subjectivité déterminée peut en stimuler une autre.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/10/1965 dans Fiction 143
Mise en ligne le : 22/10/2023