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Les Estuaires de la Mort

Hermann LINS

Titre original : Vor den Mündungen   ISFDB
Traduction de Gabrielle WITTKOP

GALLIMARD (Paris, France), coll. Du monde entier précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 1964

Première édition
Roman, 232 pages, catégorie / prix : 13,50 F
ISBN : néant


Pas de texte sur la quatrième de couverture.
Critiques

    Avec son premier roman, Hermann Lins renoue avec une tradition du mystère, aujourd'hui enrichie et déchirée par le sentiment de l'absurde, de la littérature allemande. Il y oppose les habitants d'une ville : Ranstadt – des épiciers, satisfaits du jour et d'eux-mêmes – et les chiens-gris, maîtres de la nuit et de le steppe. L'équilibre est instable et le premier ouragan remportera. Tous le savent, ceux des villes, qui affectent de l'ignorer, et ceux de l'étendue, qui se préparent à la curée.

    La ville et les plaines sont également imaginaires, comme l'est Kugelkopf, image de l'écrivain, éternel médiateur de l'ordre et de la liberté, de la révolte et de la civilisation. L'attente du combat baigne dans une lueur fantomatique. Et c'est en cela qu'excelle Lins. Rien en lui de la sombre mesure d'un Buzzati, ni même du sens du grandiose propre à Jünger. L'univers de Lins est allemand en ce sens qu'il s'aventure aux frontières de l'humain. Au-delà, l'animal commence, et par lui ronflent les sarcasmes de l'obscur. Les estuaires de la mort débouchent sur un autre tempe eue le nôtre, et que nous reconnaissons pourtant au hasard d'un rictus.

    Car le combat entre la ville et l'étendue, entre les chiens et les loups, commencé il y a plus de sept mille ans, se poursuit sous nos yeux. C'est un combat sans trêve entre ceux qui se sont arrêtés et ceux qui passent. Le livre de Lins est significatif du passé proche, du présent et de l'avenir, en ce qu'il témoigne de l'existence des barbares qui surgissent parmi nous et qui rejettent les chaînes des civilisations. Hier, ils portaient un nom. Aujourd'hui, quand on est un Allemand de l'ouest, on les volt bien trop vite surgir de l'orient. Au total, il passe dans ces pages souvent ambiguës, voire maladroites, un souffle désespéré, comme une image de l'immense tourbillon qui tangente Ranstadt et qui l'emportera. 

    C'est un thème presque commun aujourd'hui, dans la littérature allemande, que ce sentiment d'appartenir à une civilisation d'épiciers, et d'être en même temps l'arrière-garde d'un monde voué au déluge. Il serait trop simple de l'expliquer par de pures considérations politiques et de croire qu'il naît de cette situation de marche orientale à laquelle l'échiquier des puissances aurait condamné l'Allemagne. Le mal est plus profond et Lins le nomme. Un monde d'épiciers appelle sur lui l'ouragan et le pillage. Ce sont les fantômes du passé qui remontent à la surface et que l'on Invoque dans l'espoir d'exorciser l'avenir. Le goût de la course folle n'a pas quitté l'Allemagne, et, sous l'argile, des fleuves noirs creusent de nouveau leurs lits vers les estuaires de la mort. 

    Il faut lire, malgré sa langue torrentielle et quelquefois fatigante, malgré ses longueurs, sa lourdeur, son didactisme, son lyrisme exacerbé, Les estuaires de la mort. Car ce récit fantastique est en même temps une mise en garde et peut-être un signe de la renaissance de la prose allemande.

Luc VIGAN
Première parution : 1/3/1965 dans Fiction 136
Mise en ligne le : 23/10/2023

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