Bienvenue à Quality Land, le pays de tous les superlatifs !
Tu vibres déjà ? Il y a de quoi ! Dans le futur, tout fonctionne à merveille : les algorithmes se chargent d’optimiser le travail, les loisirs et les relations. Quality Partner sait qui te correspond le mieux. Ton véhicule autonome sait où tu veux aller. Et si tu es inscrit sur The Shop, on t’envoie tous les articles que tu désires sans que tu aies besoin de les commander. Super pratique ! Plus personne n’est obligé de prendre des décisions difficiles – car à Quality Land, il n’y a qu’une seule réponse à toutes les questions : OK !
Pourtant, Peter Chômeur est taraudé par l’impression que quelque chose cloche dans sa vie. Si le système est vraiment si parfait, pourquoi trouve-t-on des drones ayant le mal de l’air ou des robots de combat souffrant de stress post-traumatique ? Pourquoi les machines sont-elles de plus en plus humaines, et les humains, de plus en plus mécaniques ?
Dystopie réjouissante, “Quality Land” est une satire drôlissime – et un tout petit peu inquiétante – du meilleur des mondes, capitaliste et tout numérique, que souhaitent nous vendre nos sociétés contemporaines.
Le rire est l’une des choses les plus difficiles à partager. Les humoristes comme les créateurs de séries comiques le savent pertinemment. Marc-Uwe Kling tente ici sa chance dans un roman qui, sous couvert de faire sourire à travers les aventures d’un raté – Peter Chômeur – dénonce les travers de notre société, en particulier notre dépendance envers l’informatique… pour un résultat somme toute assez médiocre.
Dans cet avenir satirique, donc, un pays – sans doute l’Allemagne — décide de changer de nom histoire de gagner en sympathie, d’être plus attirant, plus proche des désirs de ses concitoyens. Il s’appellera dorénavant Quality Land. Dans cette « splendissime » contrée, tout est classé, organisé selon des algorithmes tout-puissants. Nul besoin de commander un produit : à peine en ressentez-vous l’envie qu’un drone vous livre à domicile l’objet de votre désir. Quant à rencontrer le partenaire idéal, grâce à votre classement et l’analyse approfondie de vos centres d’intérêts, plus d’erreur possible. Mais tout cela fonctionne-t-il si merveilleusement ? C’est ce que nous découvrons à travers l’histoire de Peter Chômeur (le nom de famille vient de la profession du parent au moment de la conception : idée amusante et pas si anodine), dont le classement baisse dangereusement, au point de le voir rejoindre la cohorte des « inutiles » ; de Martyn Comité-Directeur, homme politique des plus stupide ; et de John of Us, le premier androïde candidat au poste de la présidence du pays.
Marc-Uwe Kling flingue à tout va. Mais sa principale cible reste l’utilisation frénétique et incontrôlée (donc incontrôlable) des algorithmes dans la vie de tous les jours, dans la moindre prise de décision. À travers cette fable un peu simplette, et dont le rythme faiblit assez souvent (l’un des principaux écueils de tout récit humoristique), il pointe des questions lorgnées depuis longtemps par les auteurs de SF – des questions résolument actuelles. Comment une société peut-elle survivre à l’invasion des algorithmes dans le quotidien de ses citoyens ? Comment être sûr que ces formules sont vraiment neutres et ne conditionnent pas nos vies ? Comment ne pas craindre qu’elles nous enferment dans des bulles, satisfaisantes puisqu’elles éliminent tout ce qui nous est étranger, mais déshumanisantes puisqu’elles suppriment par là-même toute possibilité de contestation et d’évolution ? Un thème qui préoccupe Marc-Uwe Kling, au point de tartiner çà et là divers laïus un peu longuets sur le sujet, travers répétitif de l’auteur qui ne fait pas toujours preuve de légèreté, privilégiant l’humour itératif, voire lourdingue, à une finesse qui aurait permis d’élever ce récit à un niveau plus agréable — n’est pas Jean Baret qui veut.
Quality Land part d’un postulat on ne peut plus inquiétant : conservons-nous notre libre-arbitre dans une société dirigée par les ordinateurs ? Le résultat est inégal, avec quelques moments amusants et plutôt bien amenés, mais beaucoup d’autres plus convenus, plus consensuels, à la limite de la recherche putassière du clic. Un produit dans l’air du temps, sans grand intérêt pour un habitué de SF. Qui doit cependant avoir plu outre-Rhin, puisqu’une suite est parue en 2020. Par ici, on ne se contentera même pas du premier…
Raphaël GAUDIN Première parution : 1/1/2022 Bifrost 105 Mise en ligne le : 6/2/2025