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L'Échiquier du mal

Dan SIMMONS

Titre original : Carrion Comfort, 1989
Première parution : Dark Harvest, 1er janvier 1989 (roman initialement coupé en deux pour l'édition française)   ISFDB
Cycle : L'Échiquier du mal (omnibus)

Traduction de Jean-Daniel BRÈQUE
Illustration de Bastien LECOUFFE-DEHARME

GALLIMARD (Paris, France), coll. Folio SF précédent dans la collection n° 500 suivant dans la collection
Dépôt légal : juin 2016, Achevé d'imprimer : 13 juin 2016
Retirage
Roman, 1024 pages, catégorie / prix : 15,50 €
ISBN : 978-2-07-046183-7
Format : 12,7 x 19,0 cm
Genre : Fantastique

Format semi-poche.


Quatrième de couverture
Ils ont le Talent.
Ils ont la capacité de nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir.
Ce sont des vampires psychiques.
 
Né en1948, Dan Simmons est l'auteur de près de vingt-cinq romans, tous genres confondus. Parmi eux Hypérion et, son chef-d'oeuvre, L'échiquier du mal.
Critiques

    Trente ans après sa sortie, L’Échiquier du mal est un roman dont on aborde la relecture avec une certaine appréhension. Parce qu’à l’époque, il a été un véritable phénomène éditorial et littéraire (consacré par le prix Bram Stoker et le British Fantasy Award), parce que dans le genre on a vu passer depuis quantité d’œuvres tout aussi volumineuses mais trop souvent indigestes, parce que, surtout, il aborde des thématiques casse- gueule (la Shoah, la théorie du complot) qui nécessitent d’être traitées avec mesure, ce dont Dan Simmons n’a pas toujours fait preuve.

    Sur la forme, L’Échiquier du mal n’a pas pris une ride et s’avère aujourd’hui encore irréprochable à tous points de vue. Malgré sa taille imposante, il s’agit d’un page-turner imparable impossible à lâcher avant la fin, enchaînant scènes d’action spectaculaires, cliffhangers éprouvants et moments de pur cauchemar. Simmons s’appuie sur une écriture d’une précision admirable et un sens du rythme parfait. La mécanique est l’une des plus belles qu’il nous ait été donné de lire.

    Sur le fond, le roman n’a rien perdu non plus de sa pertinence. À partir d’un pitch somme toute très basique (dans l’ombre, une poignée d’individus dotés d’une capacité hors du commun, le Talent, qui leur permet de prendre le contrôle de l’esprit de n’importe quel individu, influent sur l’évolution du Monde), l’auteur aborde des questions toujours autant d’actualité trente ans plus tard, et il le fait avec toute la prudence nécessaire. Il ne s’agit pas pour lui de réécrire l’Histoire à l’aune de sa fiction, mais d’éclairer certaines tendances et comportements humains. Les monstres que Simmons met en scène n’incarnent pas un hypothétique Mal absolu, ils sont une version à peine exagérée d’hommes et de femmes corrompus par le pouvoir à leur disposition comme on en croise sans arrêt dans l’actualité : politiciens, prédicateurs, affairistes, producteurs hollywoodiens, etc. Un pouvoir qui leur sert avant tout à assouvir leurs désirs les plus primaires, qu’il s’agisse de leurs pulsions sexuelles ou de leur sadisme. De fait, il s’agit moins pour eux de créer le désordre mondial que d’en tirer profit.

    Le roman est d’autant plus dérangeant qu’il est en partie raconté du point de vue de ces prédateurs, et le regard qu’ils portent sur le monde est d’une abjection de chaque instant. Face à eux, Simmons met en scène une poignée d’individus aussi fragiles que déterminés : un rescapé des camps obsédé par l’horreur qu’il a vécue, une jeune femme cherchant à donner un sens au meurtre de son père, victime collatérale des jeux malsains auxquels se livrent les vampires psychiques, et un policier que rien ne prédisposait à affronter un tel adversaire. Trois personnages auxquels on s’attache, et que l’on va suivre dans leur (ô combien !) douloureux combat.

    Baignant dans une ambiance de paranoïa aiguë permanente, offrant quelques incroyables morceaux de bravoure, proposant une vision juste et sans concession de la société américaine (son racisme endémique, sa fracture sociale, le cynisme de ses élites), L’Échiquier du mal reste, trente ans plus tard, d’une justesse et d’une virtuosité qui forcent le respect.

Philippe BOULIER
Première parution : 1/1/2021 dans Bifrost 101
Mise en ligne le : 21/8/2024

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition DENOËL, Lunes d'Encre (2010)

     Un saisissant prologue dans le camp de concentration de Chelmno, en 1942. Le jeune Saul Laski lutte pour survivre. Puis, sans transition, nous nous rendons à Charleston, Caroline du Sud, le 12 décembre 1980. Trois petits vieux se réunissent pour prendre le thé. Rien de plus innocent, en apparence... Mais les trois convives se livrent à un étrange petit jeu, et comptent les points : un pour chaque mort. Et parmi les victimes, un certain John Lennon... Ces vieillards ne sont en effet pas comme les autres : ils ont le Talent, qui leur permet de manipuler les êtres humains pour leur faire accomplir leurs quatre volontés. Et celles-ci se résument souvent à cette ultime réalité : le meurtre. Pour eux : le Festin, qui entretient leur force et leur permet de « rajeunir ». Ce sont des vampires, à leur manière ; mais pas de vulgaires suceurs de sang encombrés des oripeaux gothiques, ni même « rationalisés » (à l'instar de ce que Simmons fera un peu plus tard dans Les Fils des ténèbres) : ce sont des vampires psychiques...

     Ainsi débute L'Echiquier du mal, à n'en pas douter un des plus fameux romans de Dan Simmons avec le très différent Hypérion. Un roman-fleuve, et un monument de terreur. Et, ce qui nous intéresse ici, une relecture inventive et fascinante du mythe du vampire. Les allusions ne manquent pas, qui émaillent l'ensemble du roman. Un exemple sélectionné dans les premières pages :
     « De toutes les terreurs que s'est infligées l'humanité, de tous les monstres pathétiques qu'elle s'est inventés, seul le mythe du vampire conserve encore quelques vestiges de dignité. Tout comme les humains dont il se nourrit, le vampire obéit aux sombres pulsions qui lui sont propres. Mais contrairement à ses ridicules proies humaines, le vampire utilise des moyens sordides pour parvenir à la seule fin qui puisse justifier de tels actes : son but est tout simplement l'immortalité. Quelle noblesse. Et quelle tristesse. »

     En bon thriller paranoïaque, L'Echiquier du mal mêle ce canevas de théorie du complot. Derrière les puissants de ce monde se dressent les vampires psychiques, qui tirent les ficelles de leurs marionnettes humaines. On les trouve aux côtés du Führer dans l'Allemagne nazie. On les retrouve à Dallas le jour de la mort de John Fitzgerald Kennedy. On les croise enfin sur les scènes de meurtre les plus improbables, celles qui défient en apparence la logique. Ainsi le massacre sur lequel la réunion de Charleston débouche. Un vrai casse-tête pour le shérif Bobby Joe Gentry, et pour la jeune Noire Natalie Preston, dont le père figure parmi les victimes. Seule une explication, aussi improbable soit-elle, peut éclairer le drame ; et c'est le psychiatre Saul Laski qui la leur fournit : Laski est conscient de l'existence de ces vampires psychiques depuis ses cruelles années à Chelmno et Sobibor. C'est là-bas, dans l'enfer des camps d'extermination, qu'il a rencontré l'Oberst, ainsi qu'il désigne encore après toutes ces années son cruel bourreau. Terrible flashback : dans la nuit polonaise, une partie d'échecs où les pions sont des êtres humains, où chaque prise signifie la mort ; puis une chasse à l'homme où les dés sont pipés... Saul Laski traque l'Oberst, désormais William Borden, depuis toutes ces années. Et Gentry et Natalie de se joindre à lui pour faire la lumière sur les meurtres les plus obscurs, et obtenir enfin justice... quitte à se transformer à leur tour en meurtriers.

     Mais les vampires psychiques ne se limitent pas au trio de Charleston. On en croise vite d'autres, à Beverly Hills — le producteur Tony Harrod, détestable personnage qui est une des plus belles réussites du roman — ou au FBI. Et la vérité se fait bientôt jour : tous, ou presque, ne sont que des pions dans une gigantesque partie d'échecs à grande échelle. Et le sort du monde entier pourrait bien reposer dans les mains du vainqueur...

     L'Echiquier du mal est assurément un chef-d'œuvre du genre. L'argument promotionnel nous dit que Stephen King, à la lecture de ce roman, a salué en Dan Simmons son rival le plus redoutable. Et on le concèdera volontiers... Rares sont les œuvres horrifiques à dégager une telle puissance narrative, doublée d'un déconcertant sentiment de malaise, provenant de l'arrière-plan de la Shoah — encore imprégné de tabou — et de l'atmosphère générale de théorie du complot.

     Il serait cependant dommage de s'arrêter sur cette impression, ou d'être rebuté par la longueur, que d'aucuns jugeront sans doute excessive- — mais peut-on véritablement y enlever quoi que ce soit ? — , de cette fresque. L'Echiquier du mal se révèle en effet être un page turner d'une efficacité sidérante, et c'est sans effort ou presque que l'on se laisse guider par l'auteur, sûr de son art, tout au long de ce roman-fleuve (en « intégrale » chez « Lunes d'encre », scindé en deux tomes chez Folio « SF ») à la trame complexe. La plume de l'auteur, magnifiquement servie par la traduction de Jean-Daniel Brèque, est d'une justesse constante, et le roman accumule morceaux de bravoure et scènes d'anthologie, palpitantes scènes d'action et séquences cauchemardesques, éclats de suspense et introspection bouleversante. Et l'on se passionne aisément pour l'entreprise folle de ces éternelles victimes que sont Saul et Natalie, et pour les manœuvres obscures et cyniques de leurs puissants adversaires.

     N'en jetez plus : L'Echiquier du mal est un chef-d'œuvre de terreur, une lecture incontournable pour les amateurs du genre. Et pour les autres aussi, tant qu'on y est.

Bertrand BONNET
Première parution : 1/10/2010
dans Bifrost 60
Mise en ligne le : 12/1/2013

Prix obtenus
Bram Stoker, Roman, 1990
British Fantasy, August Derleth Award, 1990
Locus, Roman d'horreur, 1990


Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Jean-Pierre Fontana : Sondage Fontana - Fantastique (liste parue en 2002)  pour la série : L'Échiquier du mal

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