Il y a beau temps que Jenny l’ouvrière, lâchée par son amant de cœur, ne s’asphyxie plus au charbon de bois. Mais, après avoir lu le très curieux petit ouvrage que Roland Villeneuve, docteur ès diablerie, vient de consacrer à l’envoûtement, on peut légitimement supposer qu’elle continue néanmoins – dans les cas extrêmes – à larder de coups d’épingle à chapeau la dagyde de cire façonnée à l’image de l’infidèle. On savait au reste, et de nombreuses coupures de presse nous le confirment ici, que la chose se pratique encore couramment dans nos campagnes.
L’origine de l’envoûtement se perd dans la nuit des temps : « À en juger d’après les peintures retrouvées sur les parois des cavernes, » nous dit Roland Villeneuve, « la pratique de l’envoûtement était déjà connue de nos ancêtres du Quaternaire. Les bisons, les mammouths et les rennes qu’ils dessinaient ou gravaient patiemment portaient des marques et des blessures reflétant celles qu’ils souhaitaient infliger au gibier ».
Partant de là, on aboutit à quelques belles et exemplaires et plus récentes affaires d’envoûtement, devenues classiques. Telle celle, parfois gaillarde, du curé de Bombon, qui fit grand bruit il y a une quarantaine d’années. À une époque où, cependant, les faits divers les plus fantasmagoriques foisonnaient superbement : du poltergeist de Ronquerolles, qui s’exhiba piteusement au Cirque d’Hiver, au grandiose et mythomane pseudo marquis de Champaubert, qui s’enterra vivant et qu’on retrouva mort.
Chemin faisant, l’auteur nous aura montré, avec, toujours, un plaisant humour sous-jacent, les multiples et souvent surprenants aspects que l’envoûtement – qu’il soit de haine ou d’amour – revêt au long des âges pour assurer son étonnante et vivace pérennité. Il nous aura aussi menés un peu partout sur la planète, du Libéria en Sibérie, et même à Brie-Comte-Robert, au cœur de cette innocente et proche Seine-et-Marne où il semble bien que, plus encore qu’en Bretagne, le Maléfice ait trouvé sa terre d’élection.
Quoique sceptique, au contraire de Jacques Yonnet qui, dans ses flamboyants et suspects Enchantements sur Paris, semble croire à l’efficacité de l’envoûtement, Roland Villeneuve nous indique tout de même, en les puisant aux meilleures sources, quelques-uns des moyens de s’en protéger et, surtout, de se prémunir du terrifiant « choc en retour ». Je vous laisse la surprise de découvrir (p. 90) comment il vous faudra, pour ce faire, transformer votre inoffensif lit-divan en une inviolable « cage de Faraday », à grand renfort de fils électriques.
Tout cela, qui témoigne d’une appréciable connaissance de la sorcellerie et autres « sciences maudites », s’achève sur une abondante bibliographie où l’on s’étonne de ne point voir figurer des ouvrages pourtant aussi notoires que l’Histoire de la magie, de Paul Christian (alias Paul Pitois), que Le musée des sorciers, de Grillot de Givry, que Le miroir de la magie, de Kurt Seligmann, et que l’assez récente Histoire de la magie signée François Ribadeau-Dumas… Avant cela, l’auteur traite, en un chapitre terminal – malheureusement assez sommaire à mon sens – de l’envoûtement dans la littérature. Quantité de noms y figurent, parmi lesquels on a plaisir à relever, aux côtés d’Achim d’Arnim, de Mérimée, de Barbey d’Aurevilly et de Jean Lorrain, ceux de Léo Perutz, de Gabriel de Lautrec, de Maurice Renard et de Jean-Louis Bouquet, avec – pour ces trois derniers – de judicieuses citations. Une dizaine d’illustrations hors-texte, d’où se détache un étrange et fort beau dessin de François Béalu, complètent heureusement le volume.
Roland STRAGLIATI
Première parution : 1/5/1964 dans Fiction 126
Mise en ligne le : 30/12/2023