GALLIMARD
(Paris, France) Date de parution : 13 septembre 1963 Dépôt légal : 1963 Première édition Roman, 220 pages, catégorie / prix : 13 F ISBN : néant Format : 13,5 x 19,5 cm❌ Genre : Fantastique
Quatrième de couverture
Robin Carabasse, jeune cinéaste qui se prétend malchanceux est ruiné par l'échec de son film Les Riverains de la mer. Il décide, conseillé par le clerc de notaire chargé de le saisir, de partir pour Trastéjous, dans le Midi, où vit le richissime ancien boucher Maltaverne, son oncle, afin de lui demander de l'argent. En cours de route, il trouve dans le fossé une étrange petite créature nommée Léa, écuyère de cirque et trapéziste : mi-femme, mi-chatte, en tout cas un peu sorcière, elle cherchait un maître : ce Robin excentrique et beau fait son affaire ; elle s'attachera donc à ses pas, consacrera désormais tous ses efforts à l'aider. Maltaverne, dans son domaine de Catoblepas, manigance justement de saboter une réception organisée en l'honneur de Marie Lampereur, ancienne dactylo, veuve riche et glorieuse revenue au pays natal où, quinze ans plus tôt, elle avait repoussé les avances de l'odieux boucher. Il chasse Robin. Mais Léa, subjuguée par la beauté et la gentillesse de Marie Lampereur et décidée à faire triompher les projets de son maître, va s'ingénier à monter une gigantesque mystification dans le but d'abattre l'oncle Maltaverne : elle veut marier ensemble Marie et Robin. Elle est sur le point de réussir, mais au moment où ils vont peut-être convoler, Marie et Robin se brouillent. Robin chasse Léa. Léa fuit. Et c'est seulement après la disparition de la petite écuyère dont l'âme est celle d'un elfe, que Robin découvre qu'il l'aime parce qu'elle est sa chance vivante, secrète, merveilleuse. Va-t-il pouvoir la rattraper ? Juché sur son "moto-velox", il la voit au sommet de la côte qu'il s'apprête à grimper. Et c'est sur un point d'interrogation plein d'un humour doux-amer que ce roman vif se termine, traité à la manière d'une oeuvre de Marcel Aymé ou de Chesterton.
Critiques
Je ne sais par quel bout prendre ce succulent bouquin, mais prenez-le, vous, par n’importe quel bout, et lisez-le en vous pourléchant les babines, à supposer que vous aimiez vous régaler d’un roman léger, drôle, gaillardement troussé et poétique en diable. La plume alerte de Robert Soulat ignore l’ennui ; il se divertit si visiblement à écrire qu’il est à peu près impossible de résister à cette joie de vivre communicative.
Sachez, pour commencer, que l’ouvrage est divisé en XXXIII chapitres (pas un de moins), lesquels portent des titres aussi proches du poème surréaliste que : « La malchance est une tubéreuse », « Le mugissement d’une vache antédiluvienne » ou « Le connétable de Bourbon courbé sous le faix d’un autobus ». Sachez aussi que le héros, Robin Carabasse, charmant jeune homme lunatique, est un moderne Marquis de Carabas qui, pour son infortune et son ravissement, rencontre son Chat Botté en la personne d’une radieuse enfant prénommée Léa. L’auteur décrit cette dernière avec tant de gourmandise qu’il serait coupable de ne pas lui laisser la parole :
« Elle avait de petits seins et un petit ventre. Les uns devaient être en poire et l’autre légèrement bombé. La bouche et le nez étaient minces, aigus, sauf lorsqu’elle respirait fort et que les lèvres et les narines se dilataient. (…) Elle avait les cuisses les plus inattendues, les plus incroyables, les plus douces, les plus puissantes, les plus émouvantes, des cuisses de commencement du monde, des cuisses comme des rivières, des cuisses comme celles de la femme infidèle de Lorca, des cuisses comme des plaines en été… »
Au couple Robin-Léa, fait pendant – dans la veine la plus grasse et la plus truculente – le répugnant, l’ignoble oncle Maltaverne, ex-boucher milliardaire, qu’on voit dans sa première apparition « se décrotter le nez d’un doigt luxurieux » et palper son « lieu géométrique » avec extase, et dont la distraction favorite est de se costumer en Mickey Mouse pour se livrer à ses vices inavouables. Et il y a aussi bien d’autres personnages : la suave Marie Lampereur, ancienne dactylo, ancienne reine de beauté, et riche veuve blonde et voluptueuse ; Alban l’homme aux gros genoux ; les savants-gangsters prospectant l’apolinium à l’aide de leurs compteurs Gégène ; sans oublier au passage Gamaliel le renard cartésien et un boxer géant et puceau répondant au doux nom de Patrick de Valgeneuse. Quant à Léa, on l’aura compris, ce n’est pas n’importe qui : une fille-chat, une chatte-femme, on ne sait pas trop, bref un peu fée un peu sorcière, et en tout cas pas du tout mais pas du tout catholique. À douze ans, elle tient son journal, dont voici un extrait tristement édifiant : « Je ferai jamais jamais jamais la femme avec un homme. Je haïs pas spécialement les hommes, mais ça serait pas honête. Qu’est-ce qu’il panserait, mon homme, si le lendemain matin il trouvait un chat dans son lit, à la plasse de moi ? » Au même âge, on la surprend nuitamment attirant à elle des hordes de matous gris. Entre autres sales habitudes, elle a celle de miauler sous le coup de l’émotion. Et entre autres malins tours de sa façon, le don de faire perdre sa virilité au malheureux Robin chaque fois que celui-ci veut l’approcher. Ce qui est, on l’admettra, une chose qui décemment ne se fait pas.
Un roman rabelaisien et tendre, écrit dans un style aimable et doucement folingue, c’est là depuis Marcel Aymé un produit suffisamment rare pour mériter la dégustation. Bref, que vous soyez amateur d’insolite ou de moules à gaufre, achetez – chat en poche, naturellement – La lune dans un seau d’eau.
Luc VIGAN Première parution : 1/4/1964 dans Fiction 125 Mise en ligne le : 31/12/2023