Lola Lokidor, la taxi-girl de l'espace, également masseuse comme nous l'apprend Rufus Tucru, son voisin amoureux qui vend des encyclopédies de Diderot et d'Alembert g'lactiques, a déjà connu chez le même éditeur un opus intitulé Deux Aventures spatiales et culinaires de Lola Lokidor & Rufus Tucru. Le couple semble bien parti pour poursuivre sur cette lancée, ce dont seuls les grincheux seraient susceptibles de se plaindre, ceux qui détestent les loufoqueries, l'absurde et les fulgurances surréalistes. Car, dans le genre, ce petit ouvrage est un vrai feu d'artifice.
Par exemple, l'origine de g'lactique vient de l'erreur commise par Lola en omettant d'écrire le A sur la patente de son Taxi Galactique, une erreur qui a fini par se répandre à travers le cosmos. L'anecdote est à peine croyable, mais la plausibilité n'a ici aucun droit de préséance. C'est ce qui explique le passage (vertical) de Lola à travers les murs de l'appartement de Rufus ou la mort (puis la résurrection) de ce dernier en raison d'un envahissant écosystème microbien. L'important, c'est l'invention langagière qui innerve ces pages, les jeux de mots et leur décomposition quasi systématique en sens second qui pourrait faire de l'auteur un champion de rébus, sans oublier les expressions prises au pied de la lettre : « Le lavage de cerveau, ce n'est rien. Ce qui fait mal, c'est le rinçage et l'essorage. » Cela vaut pour le lecteur qui doit garder son sens du calembour en éveil. Ici, pas de paresse stylistique ! Durant un temps, les expressions toutes faites furent d'ailleurs soumises à droit d'auteur, de quoi coûter un bras à ceux qui ne font pas l'effort d'éviter les clichés, mais aussi de générer de jolies tournures et d'hilarants à-peu-près destinés à les remplacer. Mine de rien, on navigue en pleine ivresse poétique et jubilatoire, comme dans cet intertitre : « Enfin, la nuit a mis fin à ses jours ». L'ensemble baigne dans un esprit « potache et nichons » assumé, qui égratigne au passage le wokisme et le politiquement correct ambiants, évoquant « des pianistes amnésiques, des crabes détectives, des philosophes manchots, tous épicènes » pour tromper la surveillance d'un implant me#too castrateur capable de reprocher à Rufus l'usage fautif de « droïde asexué », au lieu de non genré. La tentative d'intrusion de Lola Lokidor à l'hôpital Fleury-Nichon est un parfait équilibre entre humour polisson et délire à la Tex Avery.
Dans le registre très périlleux du nonsense, Philippe Caza se révèle brillant. En six jours et trois nuits, ces récits courts, qui brodent sur un thème du quotidien ou de science-fiction, mais on ne fait pas bien la différence, présentent toute la verve et la bonne humeur d'un auteur en pleine forme, bien décidé à ne pas rester « enfermé dans la caverne de son crâne ».
On en redemande !
Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 26/4/2024 nooSFere