Kris a failli connaître le succès avec son groupe de heavy metal, Dürt Würk, créé dans les années 80 avec ses amis de lycée. Mais après des années de concerts et trois albums, Terry, le chanteur, les a trahis et a brisé leur carrière au bénéfice de son nouveau groupe.
Trente ans après, Kris a tout perdu, croulant sous les dettes et vivotant comme réceptionniste de nuit dans un hôtel. Mais persuadée qu’il s’est passé quelque chose d’étrange la nuit où Terry leur a fait signer les contrats signifiant la mort de sa carrière musicale, elle décide de renouer avec ses anciens musiciens et amis pour se venger de Terry.
Forcément, quand on a grandi comme Kris dans les années 80 et écouté le même heavy metal, on ne peut qu’adhérer à ce roman écrit visiblement par un connaisseur et amoureux du genre. En lisant Détruire tous les monstres, on pense à Armageddon Rag de G.R.R. Martin. Si l’auteur du Trône de fer avait utilisé le fantastique et le hard rock des années 70 pour évoquer la fin du flower power et la disparition des mouvements de contestation de l’époque, Grady Hendrix utilise le fantastique et le metal pour nous décrire une société américaine obnubilée par la réussite et dont les femmes sont toujours les premières victimes, aussi bien physiquement que matériellement.
Loin de toute nostalgie, l’auteur nous raconte avant tout l’histoire de Kris, femme qui n’a pas envie de se laisser faire dans un milieu d’hommes. Personnage central du roman, elle n’est pas une simple héroïne badass : elle est dotée d’autant de forces que de faiblesses, de convictions que de doute ; et sa lutte contre un ennemi ayant passé un pacte faustien est jonchée de douleur et de pertes.
Si Hendrix est certainement l’auteur masculin actuel d’horreur écrivant les meilleurs personnages féminins (Melanie, le personnage secondaire est aussi très intéressant), son talent ne s’arrête pas là : Détruire tous les monstres est mené à un rythme endiablé (haha), alternant le passé et le présent sans temps mort. Le récit est par ailleurs une description rapide et féroce de la situation sociale américaine : si Kris et Mélanie ne survivent que grâce à des boulots non qualifiés aux conditions de travail exécrables, ceux qui ont choisi le pouvoir et l’argent vivent clairement dans un autre monde : ainsi l’ancien musicien propriétaire d’un centre de soin new-age ou le boys club du nouveau petit copain de Melanie, rassemblement de bellâtres musclés misogynes dégoulinants de mépris de classe.
Vendu comme un thriller, il serait dommage que les amateurs et amatrices de fantastique et d’horreur passent à côté de ce remarquable road trip musical. Grady Hendrix a depuis écrit plusieurs autres romans d’horreur de grande qualité, espérons qu’ils soient traduits et publiés dans nos contrées. Signalons enfin l’excellente traduction de Héloïse Esquié qui s’y connaît autant dans nos genres préférés qu’en musique bruyante.